Le 17 mai dernier, à l’occasion de la Journée internationale contre l’homophobie, la France a dévoilé à Paris son tout premier mémorial en hommage aux personnes LGBTQ+ persécutées à travers l’histoire, incluant les victimes homosexuelles de la déportation sous le régime nazi.
Installé dans les jardins du port de l’Arsenal, près de la Bastille, le monument a été conçu par l’artiste Jean-Luc Verna. Il s’agit d’une imposante étoile en acier pesant plus de trois tonnes. « C’est un gros machin pour qu’on le voie, pour qu’on le voie enfin », a confié Verna dans les pages du magazine têtu·. L’œuvre possède deux faces : une noire, en mémoire des corps brûlés et des drames passés, et une autre réfléchissante, évoquant le présent et le ciel changeant de Paris, symbole de l’opinion publique en constante évolution.
Une reconnaissance lente à venir
On estime qu’entre 5 000 et 15 000 personnes ont été déportées à travers l’Europe pour homosexualité durant la Seconde Guerre mondiale. En France, les historiens avancent des chiffres variant de 60 à 200 cas. Pendant longtemps, le sort des personnes arborant le triangle rose est resté dans l’ombre. Ce n’est qu’à partir des années 1980 que des œuvres culturelles ont commencé à aborder ce pan méconnu de l’histoire.
Le témoignage de Pierre Seel, Moi, Pierre Seel, déporté homosexuel, a joué un rôle clé dans cette prise de conscience. Interné en 1941 à Schirmeck, en Alsace annexée, Seel a brisé le silence avant de s’éteindre en 2005. Depuis, plusieurs plaques commémoratives ont été installées, notamment à Mulhouse et au camp du Struthof.
En 2022, une exposition inédite, Homosexuels et lesbiennes dans l’Europe nazie, a été présentée au Mémorial de la Shoah à Paris. Sophie Nagiscarde, directrice des affaires culturelles du Mémorial, y voit un intérêt croissant : « Il reste encore beaucoup de travail de recherche à faire sur le sujet », souligne-t-elle.
Un tournant politique et symbolique
Du côté politique, c’est Lionel Jospin qui a ouvert la voie en 2001 en appelant à reconnaître les persécutions contre les minorités durant l’Occupation. Jacques Chirac lui a emboîté le pas en 2005 en évoquant explicitement les homosexuels victimes du nazisme.
Contrairement à d’autres villes comme Sydney ou Amsterdam, Paris n’a pas opté pour une forme de triangle rose, symbole nazi des détenus homosexuels, préférant un monument plus inclusif pour représenter toutes les victimes LGBTQ+. « Ce n’est pas juste un symbole, c’est un outil de transmission, un acte de reconnaissance publique et un rappel qu’on doit rester vigilants », insiste Jean-Baptiste Trieu, président de l’organisme Les “Oublié-e-s” de la Mémoire.
Anne Hidalgo, la mairesse de Paris, a elle aussi souligné l’importance de reconnaître officiellement cette histoire trop souvent ignorée : « Reconnaître, c’est dire que ça s’est passé et qu’on ne veut pas que ça se reproduise », a-t-elle déclaré. De son côté, Jean-Luc Romero, responsable à la mairie pour la lutte contre les discriminations, a résumé en une phrase : « On n’oublie pas, pis on reste vigilants. »

