En publiant son récit de poésie narrative CHEER, Laura Doyle Péan vous invite dans l’univers du cheerleading, avec ce que ça implique de performances exaltantes, de quête de perfection et de ce sentiment d’inadéquation quand on n’a pas la couleur de peau, le poids, la texture capillaire, l’expression de genre et l’orientation sexuelle recherchés par les adeptes d’uniformité.
Tu as publié Cœur Yoyo il y a cinq ans. Qu’as-tu fait depuis ?
Laura Doyle Péan : Les études ont été centrales. Quand Cœur Yoyo est sorti, je venais de
terminer ma première année d’université en droit. Depuis, j’ai gradué. Entre les deux, j’ai passé plusieurs nuits à étudier la jurisprudence. En parallèle, j’ai participé à plusieurs projets de création collective.
Quelle place le militantisme a-t-il occupé durant cette période ?
Laura Doyle Péan : C’est ce qui motive ma création. Sur le terrain et sur les réseaux sociaux, j’ai été très impliqué.e dans la justice climatique, dont la campagne pour le désinvestissement des énergies fossiles à l’Université McGill. On a gagné en 2024 ! En ce moment, il y a une campagne similaire pour le désinvestissement de l’institution dans l’industrie de l’armement. Je m’implique aussi beaucoup dans la justice migratoire.
Quand tu as participé aux auditions pour joindre l’équipe de cheer de ton école, pourquoi avais-tu l’impression que tu ne serais pas sélectionné.e ?
Laura Doyle Péan : J’avais une image très limitée du cheerleading. Dans ma tête, c’était seulement pour les cool kids et je n’en faisais pas partie. En plus, la gymnastique n’a jamais été mon point fort. Quand j’ai intégré l’équipe, je n’étais pas la personne qui faisait des back flips. J’imaginais que ça jouerait en ma défaveur. Au fond, je me basais sur ce que j’avais vu dans les films américains et je n’étais pas cette personne-là : celle qui date le footballeur, qui est blonde, très mince, souvent blanche, avec une petite clic d’ami.e.s.

Comment tes années de cheer ont-elles mis en relief tes différences ?
Laura Doyle Péan : Le cheerleading est un sport basé autant sur la performance athlétique que sur le spectacle, alors l’image est primordiale. À mes débuts, la façon dont cette idée était approchée correspondait au stéréotype du film américain. On était deux-trois personnes avec les cheveux bouclés et on devait se raidir les cheveux pour la compétition, afin de présenter une image d’équipe. Ma meilleure amie venait chez moi et on passait 5 h à essayer de plaquer mes cheveux. C’était un peu l’enfer et ça ne donnait pas un super beau résultat !
Le contexte mettait aussi en lumière ton expression du genre et ton orientation sexuelle.
Laura Doyle Péan : Oui, tout à fait. Ce n’était pas nécessairement discuté. Même si j’étais en bons termes avec mon équipe, on n’était pas des ami.e.s très proches et on ne jasait pas de nos vies personnelles. Souvent, j’avais l’impression d’être la seule personne queer, ce qui n’était probablement pas le cas. À la fin du secondaire, j’étais out et j’avais ma copine. J’avais peur que ce soit un enjeu. Je sentais que certaines choses me gardaient à part. Cela dit, on était là les un.e.s pour les autres.
Qu’as-tu vécu de positif dans ce sport ?
Laura Doyle Péan : Il y avait un désir de prendre soin des autres. Durant mes premières
années, une coéquipière a eu ses menstruations pour la première fois et elle a paniqué.
On l’a aidée à se sentir bien et on lui a procuré ce dont elle avait besoin. Quand certaines
personnes avaient des problèmes avec leur famille, on en discutait. Si d’autres avaient des enjeux de mutilation ou d’anorexie, on le remarquait, parce qu’on était en proximité avec nos corps respectifs. On prenait donc le temps de voir comment ça allait.
Aujourd’hui, tu n’hésites pas à faire résonner ta voix. Étais-tu aussi vocal.e à l’adolescence ?
Laura Doyle Péan : Je crois que oui. J’étais très impliqué.e, notamment dans le comité des allié.e.s contre l’homophobie à mon école secondaire. Je l’ai joint en troisième secondaire, parce qu’on n’avait pas le droit de le joindre avant, étrangement…
Le 2 mai dernier, La Presse a publié un article sur la grande hésitation des jeunes queers à faire partie de ces comités, par peur de représailles. Tu en penses quoi ?
Laura Doyle Péan : Quand j’ai lu le texte, ça m’a rendu.e vraiment triste. À mon école, on a dû lutter pour créer le comité. Comme j’en parle dans le livre, la direction était très fermée à cette idée. Ça a pris beaucoup d’efforts de la part des élèves et de certain.e.s profs pour que ça existe. La direction a cheminé pour comprendre que c’était pertinent. Aujourd’hui, j’ai peur qu’on assiste à un effet balancier, comme on le voit souvent à travers l’histoire. Durant les périodes économiques difficiles, les gens ont souvent besoin de boucs émissaires et ce sont souvent les personnes queers et les personnes migrantes qui deviennent la cible de leurs attaques.
CHEER peut résonner chez les adultes, mais le livre va certainement rejoindre les ados.
Tu as également publié Opération Fleur de nuit, un livre jeunesse. T’adresses-tu aux jeunes dans l’espoir d’ouvrir les cœurs et les esprits ?
Laura Doyle Péan : J’ai deux missions en parallèle. D’une part, je veux que ça touche des
jeunes qui vivent ça, que ça leur donne de l’espoir et que ça leur rappelle qu’iels ne sont pas seul.e.s à vivre ça. Aussi, j’espère que ça va parler à des jeunes qui ne vivent pas du tout ces expériences-là pour les aider à comprendre l’Autre et à faire preuve de plus d’ouverture.
INFOS | CHEER, de Laura Doyle Léan, aux Éditions de la Bagnole, 2025, 226 pages.
Roman 14 ans et +