On ne peut pas révéler son vrai nom, ni dire où elle vit, ni nommer l’organisme qu’elle dirige ou ses partenaires internationaux. Mais Fatoumata – nom d’emprunt – a trouvé un moyen de nous raconter une partie de son histoire, tout comme elle et ses collègues trouvent des moyens d’aider des membres de la communauté LGBTQ+ en Afrique de l’Ouest, où de nombreux pays criminalisent les relations homosexuelles.
Fatoumata était de passage à Montréal en août pour participer à la conférence internationale d’Égides, qui a réuni des militant·e·s et des chercheur·e·s engagé·e·s dans la communauté LGBTQ+ francophone. Ici, on célèbre Fierté et le drapeau arc-en-ciel flotte devant plusieurs bâtiments publics – une image impensable dans les pays où travaillent Soleil et plusieurs autres participant·e·s.
Au Mali, par exemple, non seulement les relations sexuelles entre personnes du même sexe sont illégales, mais toute personne qui fait la « promotion » ou « l’apologie » de l’homosexualité, en public ou en privé, risque jusqu’à sept ans de prison et une amende de 500 000 francs CFA – un peu plus de 1 200 $, soit l’équivalent du revenu annuel médian du pays. Fatoumata, qui se décrit comme «membre de la communauté», a commencé son implication en 2011. À l’époque, selon elle, il y avait une certaine liberté de parole : une travailleuse du sexe, une personne vivant avec le VIH, une membre d’une minorité sexuelle ou un·e employé·e d’un organisme communautaire œuvrant auprès de ces populations pouvaient s’exprimer relativement ouvertement. Ce n’est plus le cas aujourd’hui.
Au Burkina Faso, l’homosexualité a été interdite en 2024, peu avant son bannissement au Mali. En Côte d’Ivoire, les personnes LGBTQ+ ne vivent pas dans l’illégalité, mais font face à des discriminations et à des manifestations homophobes parfois violentes, les forçant à fuir leur domicile. Elles subissent de la discrimination en emploi et dans l’accès aux soins de santé. Beaucoup sont rejetées par leur famille ou emprisonnées sous de faux prétextes, raconte Fatoumata. Pour certaines, la migration clandestine vers l’Europe devient la seule porte de sortie.
Son organisation travaille sur les questions de santé sexuelle, de défense des droits et d’accès aux services. Surtout, elle bâtit une communauté pour des personnes qui ont perdu la leur. «C’est important que les gens se sentent en sécurité dans notre organisation, qu’ils se sentent écoutés, qu’ils aient l’impression d’être en famille.»
L’impossibilité de parler ouvertement d’homosexualité dans certains contextes rend le travail de Soleil et de ses collègues particulièrement délicat. « Nous essayons de nous conformer aux politiques pour éviter toute confrontation. Nous ne pouvons plus parler de nous-mêmes comme avant, mais nos activités continuent et notre porte est ouverte », explique-t-elle. « La communauté LGBTQ+ locale est petite et tout le monde se connaît. Les gens se disent : “N’hésite pas à aller à tel endroit, ils pourront t’aider.” »
Le groupe trouve aussi des alliés – avocats, professionnel·le·s de la santé, fonctionnaires – parfois dans des lieux inattendus. « Certains fonctionnaires nous ont même suggéré la terminologie à utiliser dans notre documentation pour rester conformes aux lois! »
Malgré leur débrouillardise, des organisations comme la sienne ont besoin de financement et de soutien extérieur pour survivre. Fatoumata est venue au Canada, en partie, pour demander de l’aide. « Avec le départ des bailleurs de fonds, avec la fermeture de l’USAID [l’Agence américaine pour le développement international, qui finançait des ONG dans plus de 60 pays, et qui a été fermée par l’administration Trump en 2025, NDLR]… il y a peu de chances que certaines organisations puissent continuer à vivre et à servir la communauté dans
deux ans. »
Fatoumata est une personne résiliente et instruite, avec une formation variée, des contacts
internationaux et – fait rare – une famille qui soutient et comprend son engagement. Elle pourrait partir, comme l’ont fait certains de ses compatriotes, mais ce n’est pas dans ses plans. « Si je pars, l’organisation ferme. Qui offrira les services à la communauté? Si tout le monde part, qui restera? Partir n’est pas la solution. Il faut continuer à se battre. »
La 3ᵉ Conférence internationale francophone d’Égides, qui s’est tenue à Montréal du 31 juillet au 3 août 2025., a rassemblé plus de 350 activistes (dont «Fatoumata»), politicien·e·s, chercheur·e·s, artistes et philanthropes de plus de 30 pays (avec en en plus quelque 450 personnes connectées à distance).