Personnalité complexe et tourmentée, rebelle et marginale, Pierre Vallières a été qualifié tour à tour d’ « Indépendantiste, socialiste, révolutionnaire, felquiste, terroriste, péquiste, militant gai, internationaliste mais aussi chrétien 1. » On pourrait rajouter qu’il a été critique d’art et cofondé la galerie d’art La Relève située sur la rue Saint-Denis en face du carré Saint-Louis.
Aujourd’hui, il est surtout connu comme militant de la gauche et de la cause indépendantiste. « Dans les années 1960, note Jean-François Nadeau, Pierre Vallières sonnait une sorte de réveil des consciences à lui tout seul… 2 » Il ira jusqu’à dénoncer la situation du Québec devant l’ONU à New York. Un geste qui lui vaudra d’être arrêté et emprisonné.
C’est lors de son séjour carcéral qu’il entreprend son célèbre pamphlet, Nègres blancs d’Amérique. Autobiographie précoce d’un terroriste. Comparant le combat des Québécois à celui des Afro-Américains, il incite à prendre les armes si l’on veut accéder à l’indépendance. Né le 22 février 1938, Pierre Vallières « a grandi dans le quartier populaire et ouvrier des Usines Angus, à Montréal, où la misère était au rendez-vous. Cela l’a profondément marqué 3 », l’amenant à se tourner résolument vers les plus démunis de la société. Entre autres, il créera dans le quartier Centre-Sud l’organisme Au pied du courant afin d’aider les moins nantis car, toujours, « c’est la quête de justice, sous de multiples formes, qui l’anime dans ses engagements sociaux 4. » Une quête de justice issue sans doute de l’incessante recherche de Dieu qu’il poursuivra durant toute sa vie. Déjà en 1958, il entre au noviciat puis au monastère des franciscains sous le nom de Frère Flavien, habité, dit-il, par cette « paix qui accompagne la folie des malades mentaux euphoriques 5. »
L’année suivante, il rejoint la communauté des Petits frères de Jésus à Saint-Rémy-de-Provence (France). Deux décennies plus tard, en 1983, ayant perdu puis retrouvé la foi, il créera la communauté La Pierre vivante dans le quartier Côte-des-Neiges à Montréal, ce qui « lui permet de renouer avec son passé religieux et d’œuvrer en faveur de la justice sociale 6. » Mais c’est d’emblée par ses multiples écrits, souvent polémiques, que Pierre Vallières en vient à préciser sa pensée et à expliquer le sens de sa démarche et de ses actions. En plus de publier dans nombre de journaux et magazines, dont Cité libre, Vie ouvrière, La grande jaune, Temps fou, La Presse, Le Jour et Le Devoir, il cofonde, en 1964, la revue Révolution québécoise, et fait paraître plusieurs essais 7. Il accepte même que soit édité Noces obscures, un roman qu’il a écrit à 20 ans. À l’époque, il le soumet au poète Gaston Miron « qui l’encourage à le publier. [Mais] Vallières détruira le manuscrit sans savoir que Mirron [sic] en avait gardé une copie qui sera publiée en 1986 8. » Déjà, dans cet ouvrage de jeunesse,il fait dire à son personnage qu’il « faut monter sur les toits et hurler 9. »
« À l’âge de 44 ans, Vallières décide d’assumer son homosexualité et s’engage activement dans l’Association pour la défense des droits des gais et lesbiennes 10. » Il collabore au magazine Le Berdache. Dans sa chronique intitulée C’est encore loin l’amour ?, il analyse les enjeux de la communauté gaie, notamment la nécessité de s’impliquer sur le plan politique. Dans l’édition de novembre 1981, il affirme de façon « prémonitoire » que : « La période actuelle de notre histoire est la plus dangereuse que le monde ait connue depuis la barbarie nazie.
C’est entre le système totalitaire soviétique, où l’appareil militaire pèse d’un poids croissant, et le système libéral, dominé par des oligarchies peu représentatives, que se décidera le destin de l’humanité 11. » Avec toute l’horreur de la guerre en Ukraine qui sévit aujourd’hui, voilà un texte qui, rédigé il y a plus de quarante ans, s’avère toujours d’une brûlante actualité !
Pour en apprendre davantage sur cette « figure mythique des années 1960-1980 12 », on
consultera le fonds d’archives de Pierre Vallières conservé au Centre d’archives de Montréal de la Bibliothèque et Archives nationales du Québec. On pourra également lire la biographie que lui consacre Daniel Samson-Legault, Dissident – Pierre Vallières (1938-1998). Au-delà de Nègres blancs d’Amérique, paru chez Québec Amérique. Rappelons que le poète Gilbert Langevin lui a dédié son poème Le temps des vivants. Mis en musique par François Cousineau, il sera chanté par Pauline Julien :
que finisse le temps des prisons
passe passe le temps des barreaux
que finisse le temps des esclaves
passe passe le temps des bourreaux
Pierre Vallières est un héros de notre histoire qui mériterait grandement d’être « réhabilité » sur la place publique. Par exemple, avec un espace urbain montréalais portant son nom (une rue, un parc, un square…). Il faudrait pour cela constituer un « comité de réhabilitation ». Qui prendra l’initiative ?
- David Milot, « Compte rendu de Pierre Vallières, Paroles d’un nègre blanc », revue Mens, vol. 5, no 1, automne 2004, p. 186.
- Jean-François Nadeau, « Espoir et enfer de Pierre Vallières », Lettres québécoises : https://lettresquebecoises.qc.ca/fr/article-de-la-revue/espoir-et-enfer-de-pierre-vallieres (consulté le 25 avril 2022).
- Felipe Antaya, Pierre Vallières ou le danger d’occulter le passé, mémoire de maîtrise, Université du Québec à Trois-Rivières, 2011, p. 2.
- Guy Dufresne, « Une voix de son temps : Pierre Vallières, 1938-1998 », Bulletin d’histoire politique, vol. 11, no 1, automne 2002, p. 170.
- Alexandra Guité-Verret, Lire la défaite dans le récit de prison québécois : l’enfermement chez Joseph-Guillaume Barthe, Pierre Vallières et Gérard Godin, mémoire en Littérature de langue française, Université de Montréal, 2018 : https://123dok.net/document/lzgmnvnz-lire-la-defaite-dans-le-recit-de-prison-quebecois-l-enfermement-chez-joseph-guillaume-barthe-pierre-vallieres-et-gerald-godin.html (consulté le 26 avril 2022).
- Felipe Antaya, op. cit., p. 61.
- Notamment : Vivre sans temps morts, jouir sans entraves ; L’urgence de choisir ; Un Québec impossible ; La démocratie ingouvernable ; La liberté en friche ; Le devoir de résistance.
- « Pierre Vallières (1938-1998) », Valais Libre. 150 ans de la confédération canadienne – Histoire littéraire francophone, , 19 décembre 2017 : https://vslibre.wordpress.com/tag/pierre-vallieres/ (consulté le 26 avril 2022).
- Pierre Vallières, Noces obscures, Montréal, Éditions de l’Hexagone, 1986, p. 14.
- Claude Gauvreau, « Les tourments et révoltes de Pierre Vallières », journal L’UQAM, 13 janvier 2003 : http://www.journal.uqam.ca/2002-2003/H2908.pdf (consulté le 26 avril 2022).
- Pierre Vallières, « Devrons-nous faire la guerre aux Russes ? », Le Berdache, novembre 1981, p. 20.
- Jacques Pelletier, « Pierre Vallières : l’impatience du rebelle », revue À bâbord, no 79, avril-mai 2019.