Dimanche, 9 novembre 2025
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    Parader avec la légende télé Jon Kinnally 

    Le scénariste et producteur américain Jon Kinnally a marqué l’histoire de la télévision en tant que scénariste en chef de la sitcom révolutionnaire Will & Grace. Aujourd’hui, avec son humour caractéristique, Kinnally raconte sa vie et son parcours à Hollywood dans ses mémoires I’m Prancing as Fast as I Can: My Journey From a Self-Loathing Closet Case to a Successful TV Writer With Some Self-Esteem (Je parade aussi vite que je peux : de l’homosexuel honteux à l’auteur télé à succès avec un peu d’estime de soi).

    Né à Syracuse, dans l’État de New York, Kinnally a étudié au Oswego State College avant de s’installer à New York, où il a poursuivi une carrière d’acteur et monté, avec sa partenaire d’écriture Tracy Poust, la troupe de comédie Loud Blouse.

    Après leur déménagement à Los Angeles, ils décrochent des postes sur une nouvelle série intitulée Will & Grace et y resteront durant les huit saisons de la sitcom culte, qu’ils finiront par diriger, avant de revenir pour le reboot. Au fil des ans, l’équipe a accumulé de nombreuses nominations aux Emmy Awards, ainsi qu’un Writers Guild Award pour l’écriture exceptionnelle d’une comédie en 2018. Kinnally a aussi travaillé sur d’autres séries avec Poust – dont Ugly Betty – et écrit pour la légende de la comédie Robin Williams. Aujourd’hui semi-retraité, Kinnally vit en Espagne avec son mari Chris et leurs chats, Howard Bannister et Elliott. Nous l’avons rencontré pour une entrevue franche et sans détour.

    Est-ce que Los Angeles et les États-Unis vous manquent?
    Jon Kinnally : Pas du tout. Mes amis me manquent, oui, et être dans une bonne salle d’auteurs pour une émission de télévision me manque aussi, parce qu’on rit énormément. C’est comme s’asseoir autour d’une table, se faire rire mutuellement et trouver de bonnes idées comiques.

    Pourquoi avoir écrit vos mémoires?
    Jon Kinnally : J’ai commencé à écrire des histoires pour des soirées de lecture à LA. Ensuite, je voulais rester créatif pendant une période un peu creuse, alors j’ai écrit d’autres textes et je me suis dit : « Peut-être que j’écris un livre. » J’ai trouvé un fil conducteur assez libre autour de l’idée que les jeunes gais d’aujourd’hui ne se rappellent pas toujours de l’époque où nous n’avions pas encore autant de droits.

    J’ai adoré les notes de bas de page de vos mémoires, surtout celle sur Mark Spitz : « Mark Spitz était un nageur olympique multi-médaillé d’or. Quand il est monté sur le podium en Speedo et moustache, l’Amérique a eu une érection. Ensuite, nous avons été frustrés pendant des décennies, jusqu’à ce que Ricky Martin danse et chante La Copa de la Vida lors de la finale de la Coupe du monde en 1998, et là, nous avons enfin relâché toute cette tension. » Comment ces notes de bas de page hilarantes sont-elles nées et ont-elles évolué?
    Jon Kinnally : En écrivant mes histoires, je me suis rendu compte que je multipliais les références, mais je ne voulais pas que ce livre s’adresse uniquement aux gais de 60 ans. Les notes de bas de page me permettaient d’ajouter des infos, mais aussi plus de comédie.

    Dans vos mémoires, vous dites en gros que les Millennials et la Génération Z ne connaissent pas les gais qui les ont précédés. Vous sentez-vous oublié ou invisible?
    Jon Kinnally : À West Hollywood, oui. Mais pas ici, à Sitges. C’est d’ailleurs une des raisons pour lesquelles nous avons déménagé. Ici, il y a des gais plus âgés. Je me rappelle qu’il y a quelques années, Chris et moi étions assis à un café sur Santa Monica Boulevard, à West Hollywood, avec notre chienne Daisy. Elle était en laisse. Deux twinks sont passés, l’ont repérée et se sont accroupis pour la caresser. Ils l’ont trouvée adorable, puis sont repartis sans même nous regarder ni nous dire bonjour. C’était comme si nous étions invisibles. Ça nous a fait rire, mais ça m’a aussi fait réfléchir.

    Vous considérez-vous comme un « eldergay » (aîné gai)?
    Jon Kinnally : Oui, maintenant.

    Comment décririez-vous votre parcours de coming out?
    Jon Kinnally : Ce fut très difficile. Le mot parcours est le bon, parce que j’ai grandi dans la foi catholique. Je ne connaissais même pas les mots « gai » ou « homosexuel », je ne savais pas que ça s’appliquait à moi. Mais je me sentais différent – différent « en criss » –, et je savais que c’était un mauvais différent, pas un bon. Je me disais : « Je vais aller souvent à confesse, et plus tard, j’irai voir un thérapeute. » Puis, en vieillissant, je me suis dit : « Peut-être que je suis bisexuel comme Elton John et David Bowie. » Mais il est vite apparu que je n’étais pas attiré sexuellement par les filles. À l’université, j’ai commencé à m’affirmer, mais c’est en déménageant à New York, après mes études, que le déclic s’est produit. J’ai trouvé ma tribu avec ACT UP, en plein cœur de l’activisme lié au sida. C’est là que j’ai trouvé les miens et que je suis devenu qui je suis.

    Le sida vous faisait-il peur?
    Jon Kinnally : Terriblement, parce qu’il y avait énormément de désinformation et trop peu d’études. Les militants devaient être leurs propres défenseurs. J’étais très rigoureux dans l’usage du condom. Mais même là, je me demandais : « Si j’ai un rendez-vous, est-ce que je peux me brosser les dents? Et combien de temps avant le rendez-vous? »

    J’ai déjà eu la même inquiétude.
    Jon Kinnally : C’était tellement flou. Aujourd’hui, on a la PrEP. Les jeunes gars n’y pensent même plus. Ça fait longtemps que je n’avais pas repensé à ça. Mais c’est emblématique de la prudence extrême qu’on devait avoir.

    Vous avez formé la troupe Loud Blouse avec Tracy Poust au mythique Pyramid Club. Quelle perfection!
    Jon Kinnally : J’ai eu énormément de plaisir au Pyramid! Et Tracy est devenue ma partenaire d’écriture pour de longues années.

    Êtes-vous un écrivain qui est gai, ou un écrivain gai?
    Jon Kinnally : Je suis un écrivain gai, parce que je ne peux pas écrire en me mettant dans une perspective hétéro.

    Je dis toujours qu’après mon nom, la chose la plus importante dans mon identité, c’est d’être gai.
    Jon Kinnally : Peut-être que c’est différent pour cette génération ou les suivantes. Nous avons tellement travaillé pour faire reconnaître notre identité gaie qu’il est difficile pour moi de la reléguer en arrière-plan. Je reste un militant dans l’âme, et être gai – surtout par les temps qui courent – doit rester au premier plan.

    Dans le dernier chapitre de vos mémoires, vous racontez comment vous avez intégré votre militantisme dans Will & Grace, notamment dans l’épisode Will Works Out, où Will est gêné par le côté trop « gai » de Jack. Pouvez-vous nous parler de l’usage du mot fag (tapette) dans cet épisode?
    Jon Kinnally : Je préfère aujourd’hui le mot queen. J’aurais ainsi su exactement ce qui faisait peur à Will. Nous essayions d’amener un peu de nuance et d’aborder l’homophobie intériorisée dans une sitcom de 22 minutes. Je sais maintenant que ça n’a pas vraiment fonctionné, et je ne suis pas certain que c’était le bon moment ou la bonne émission pour ça. Dieu merci, Max Mutchnick et David Kohan (les producteurs exécutifs) nous ont soutenus. Je crois qu’ils ont même négocié le nombre de fois où on pouvait utiliser le mot fag. Le studio a décidé que cinq, c’était correct! Mais les commanditaires, eux, n’ont pas aimé. L’épisode n’a pas été rediffusé pendant longtemps.

    L’équipe d’écriture de Will & Grace était-elle collaborative ou compétitive?
    Jon Kinnally : Max et Dave, à leur crédit, géraient une salle d’auteurs égalitaire. Tout le monde était traité de façon équitable, chacun pouvait parler, proposer et donner son opinion. Certaines idées ne faisaient pas rire, mais d’autres gagnaient du terrain. C’était surtout collaboratif.

    L’ancien producteur exécutif Alex Herschlag est né dans le Bronx, mais il a étudié à McGill, à Montréal, et a commencé sa carrière de stand-up là-bas.
    Jon Kinnally : Alex est l’une des personnes les plus drôles que j’ai rencontrées, et l’une des plus gentilles aussi. Il a tout pour lui. J’ai voulu l’épouser, mais il est hétéro!

    Pensez-vous qu’on devrait confier les rôles queers uniquement à des acteurs queers?
    Jon Kinnally : Je ne partage pas cette opinion, parce qu’Eric McCormack a été formidable en Will. J’aurais détesté passer à côté de performances incroyables. Je comprends que ce soit différent pour les rôles liés à la race ou pour les personnages trans aujourd’hui. Mais pour l’orientation sexuelle, pas nécessairement. À l’époque, les acteurs gais ne le disaient pas toujours, alors on ne savait pas. Si on devait caster la série maintenant, je considérerais les acteurs out, mais au final, je choisirais celui ou celle qui est le plus drôle.

    Les sitcoms ont-elles encore un avenir?
    Jon Kinnally : On me pose souvent la question. Les séries multi-caméras existeront toujours, parce qu’elles coûtent peu à produire – tant qu’il y aura des chaînes. On a essayé d’en lancer sur les plateformes de diffusion en continu, avec un succès limité. J’aime beaucoup Mid-Century Modern (aussi créée par Max Mutchnick et David Kohan), mais je n’ai pas entendu dire si elle était renouvelée.

    Un retour à Los Angeles est-il possible?
    Jon Kinnally : J’ai pris ma retraite en m’installant en Espagne. Mais j’avais encore envie de créer, d’où l’écriture de mes mémoires. J’adorerais retrouver une salle d’auteurs, mais je retournerais à LA seulement si j’avais un poste.

    Vos contributions à la culture queer ont eu une influence positive sur tant de gens à travers le monde.
    Jon Kinnally : Merci. Des gens viennent encore me dire à quel point ils ont aimé Will & Grace et Ugly Betty. Je suis très fier de ces émissions.

    INFOS |  I’m Prancing as Fast as I Can: My Journey From a Self-Loathing Closet Case to a
    Successful TV Writer With Some Self-Esteem de Jon Kinnally, publié chez Permuted Press / Simon & Schuster. Site officiel : https://jonkinnally.com

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