Dimanche, 12 octobre 2025
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    Le juge Alito affirme ne pas vouloir annuler le mariage entre personnes de même sexe. Faut-il le croire ?

    Le juge Samuel Alito, figure de proue du camp conservateur à la Cour suprême des États-Unis, a récemment assuré qu’il ne cherchait pas à renverser la décision historique Obergefell c. Hodges, celle qui a légalisé le mariage entre personnes de même sexe dans tout le pays en 2015. Mais, faut-il le croire?

    Ses propos, tenus le 3 octobre dernier à la faculté de droit Antonin Scalia de l’Université George Mason en Virginie, surviennent alors que la Cour doit justement décider si elle réexaminera ce précédent dans le cadre d’un recours porté par Kim Davis, l’ancienne greffière du Kentucky qui avait refusé de délivrer des certificats de mariage à des couples gais et lesbiens.

    « Je ne suggère pas que cette décision devrait être renversée »
    Dans un discours prononcé lors d’un colloque intitulé The State of the Administrative State, Alito a évoqué Obergefell en le comparant à Dobbs c. Jackson Women’s Health Organization, la décision de 2022 qui a renversé Roe c. Wade et mis fin au droit fédéral à l’avortement.

    Selon lui, la Cour dans Obergefell avait été « trop prompte à interpréter certaines dispositions constitutionnelles comme des principes abstraits », menant à des résultats qui auraient « étonné les fondateurs ». Mais il a ajouté : « Je ne suggère pas que cette décision devrait être annulée. Je dois le préciser pour éviter toute mauvaise interprétation. »

    Alito a qualifié Obergefell de “précédent qui mérite le respect” au nom du principe du stare decisis — selon lequel la Cour doit généralement s’en tenir à ses jugements antérieurs. « Comme je l’ai dit dans ma décision pour l’affaire Dobbs, rien dans ce jugement n’était destiné à remettre en cause Obergefell », a-t-il assuré.

    Une position difficile à croire
    Ces déclarations contrastent fortement avec les années d’hostilité documentée du juge Alito envers les droits LGBTQ+. En 2020, il avait cosigné avec Clarence Thomas une opinion dénonçant Obergefell, accusant la décision de “stigmatiser les croyant·e·s religieux·ses comme des bigots” et de représenter une “menace ruineuse pour la liberté religieuse”. Il concluait alors que la Cour avait créé un “problème que seule elle peut résoudre” — autrement dit, qu’elle devait revoir sa propre décision.

    La même année, lors d’un discours devant la Federalist Society, un groupe juridique ultraconservateur, Alito s’était plaint du fait qu’on ne puisse plus dire que « le mariage est l’union d’un homme et d’une femme » sans être accusé de bigoterie. « Jusqu’à tout récemment, c’était la position de la vaste majorité des Américains », avait-il déclaré, déplorant une “érosion de la liberté d’expression”.

    Et en 2024, il a de nouveau soulevé la question dans une décision concernant la sélection des jurés, où il a critiqué l’exclusion de personnes estimant que “l’homosexualité est un péché”, prétendant que cela illustrait le danger qu’il avait anticipé dans son opposition à Obergefell.

    Une invocation du stare decisis pour le moins paradoxale
    Pour de nombreux juristes, la référence d’Alito au stare decisis sonne creux. Après tout, c’est lui qui, en 2022, a bafoué ce même principe en rédigeant l’opinion majoritaire dans Dobbs, renversant un précédent vieux de 50 ans et ouvrant la porte à un recul historique des droits reproductifs. 

    Le professeur de droit Len Niehoff, de l’Université du Michigan, écrivait d’ailleurs dans une analyse pour l’American Bar Association : « Si l’on prend au sérieux ce que Dobbs dit du précédent, c’est l’une des décisions les plus radicales et potentiellement dangereuses de l’histoire de la Cour. »  En d’autres mots, si la Cour suprême a pu démanteler Roe, pourquoi ne pourrait-elle pas faire de même avec Obergefell ?

    Le cas Kim Davis : un prétexte dangereux
    La Cour doit prochainement décider si elle acceptera d’entendre le recours de Kim Davis, l’ancienne greffière du Kentucky devenue icône du mouvement évangélique anti-LGBTQ+. Davis avait été condamnée à payer 100 000 $ en dommages pour avoir refusé de marier des couples de même sexe, invoquant ses convictions religieuses. Son équipe juridique soutient que ses croyances devraient la protéger de toute responsabilité civile — un argument qui, s’il était accepté, ouvrirait la porte à une exemption religieuse généralisée permettant aux fonctionnaires de refuser des services aux couples LGBTQ+.

    Des divisions persistantes au sein de la Cour
    La juge Amy Coney Barrett, dans son récent ouvrage Listening to the Law, tente de rassurer en affirmant que le mariage et l’intimité sexuelle demeurent des « droits fondamentaux » que la Cour protégera. Mais elle exclut explicitementl’avortement de cette liste, ce qui illustre bien la logique sélective de la majorité conservatrice : certains droits sont « fondamentaux » tant qu’ils s’alignent sur leur vision morale.

    Si Samuel Alito assure aujourd’hui qu’il ne souhaite pas revenir sur le mariage pour tou·te·s, son historique d’hostilité envers les droits LGBTQ+ — combiné à une Cour dominée par une majorité religieuse conservatrice — laisse peu de place à la confiance. Dans une Amérique où les droits queer sont à nouveau utilisés comme champ de bataille idéologique, le simple fait que le mariage entre personnes de même sexe puisse être rediscuté en 2025 rappelle à quel point rien n’est véritablement acquis.

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