Dimanche, 9 novembre 2025
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    Skiff : le tumulte intérieur de l’adolescence

    Au premier abord, Skiff de la réalisatrice belge Cecilia Verheyden semble voguer sur des eaux connues : celles des drames d’adolescence marqués par les tensions familiales et la découverte de soi. Mais au fil du récit, le film s’émancipe de ses apparences convenues pour atteindre une intensité émotionnelle rare, portée par une justesse désarmante et une pudeur bouleversante. Skiff s’impose comme une œuvre d’une grande délicatesse sur les premiers émois et la difficulté d’exister autrement.

    Malou, 15 ans (incarnée avec une sensibilité exceptionnelle par Femke Vanhove), vit dans une petite ville flamande avec sa mère (Natali Broods) et ses deux frères, dont Max (Wout Vleugels), protecteur mais imprévisible. Rameuse talentueuse au club local, la jeune fille traverse les tourments de l’adolescence : amitiés fragiles, brimades, solitude, et un corps en pleine métamorphose. Lorsque Max lui présente sa nouvelle blonde, Nouria (Lina Miftah), Malou est submergée par un mélange de désir, de jalousie et de honte qu’elle ne sait pas nommer. Cette attirance secrète devient le miroir d’un bouleversement plus profond : celui d’une identité en train d’émerger.

    Le scénario, coécrit par Verheyden et Vincent Vanneste, refuse les détours inutiles. Tout est concentré sur l’intériorité de Malou, sur ces silences et regards qui disent plus que les mots. Vanhove porte le film avec une intensité contenue : ni héroïne idéalisée ni victime, elle incarne la contradiction même de l’adolescence — la force du désir et la peur d’être vue. Autour d’elle, le reste de la distribution brille par sa justesse, notamment Natali Broods, touchante en mère qui tente de reconstruire sa vie sentimentale.

    Sur le plan visuel, la photographie de Jordan Vanschel privilégie la lumière naturelle et une palette chaude, qui enveloppe la banalité du quotidien d’une douce mélancolie. Le montage précis de Thomas Pooters maintient une tension constante, tandis que la trame sonore, tour à tour légère et envoûtante, accompagne le parcours émotionnel de Malou avec retenue.

    C’est dans sa seconde moitié que Skiff trouve toute sa force. Verheyden ralentit le rythme, laissant les silences parler et les gestes révéler l’indicible. Une réplique, d’une simplicité foudroyante — « Je ne voulais pas te blesser. » / « Tu as échoué. » — résume la brutalité de ces années où grandir signifie aussi perdre ses illusions.

    Surtout, le film aborde avec lucidité les réalités encore complexes de la jeunesse queer en Europe de l’Ouest. Loin d’un discours rassurant, Skiff montre une Belgique où l’homosexualité n’efface pas la peur du regard des autres. Dans un environnement où la différence reste un secret à protéger, Malou incarne la fragilité et le courage de celles et ceux qui apprennent à s’accepter sans garantie d’être compris.

    La finale, d’une beauté visuelle et émotionnelle remarquable, ose une rupture de ton pour plonger dans la tempête intérieure de Malou, avant de s’apaiser dans une scène empreinte d’une douceur bouleversante. Ce contraste scelle la réussite du film : derrière la simplicité apparente, une intensité discrète, profondément humaine.

    Avec Skiff, Cecilia Verheyden signe un récit initiatique d’une rare justesse, un portrait d’adolescente où la quête d’amour et d’identité se déploie dans toute sa complexité. Un film qui, sans crier, laisse une empreinte durable — comme le clapotis persistant d’une rame sur l’eau.

    INFOS : Ce film sera présenté dans la cadre du festival image+nation, qui se tiendra du 20 au 30 novembre 2025. Pour vous procurer des billets https://image-nation.org

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