Mercredi, 15 octobre 2025
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    La renaissance de Gabrielle Boulianne-Tremblay

    En février 2021, Gabrielle Boulianne-Tremblay est venue au monde en publiant La fille d’elle-même, un roman auréolé de prix qui a fait d’elle l’une des voix les plus puissantes de la littérature québécoise. Quatre ans plus tard, elle dit avoir l’impression de renaître avec La fille de la foudre, un récit où la transidentité sert de trame de fond à l’exploration des méandres du trouble de la personnalité limite (TPL), des agressions et des multiples enjeux vécus par les survivant·e·s. Un livre écrit comme on façonne un vitrail : délicatement, patiemment, dans l’espoir de laisser passer la lumière.

    Quel est l’impact de l’immense reconnaissance obtenue sur ton écriture ?
    Gabrielle Boulianne-Tremblay : Le succès me soulève ou me tétanise, selon les jours. Mais sentir que les gens veulent entendre ce que j’ai à dire, voir le monde à travers ma lentille, ça me réchauffe le cœur. Je ne tiens rien pour acquis. J’essaie toujours de me surprendre. Comme je publie une suite, je sais qu’on va la comparer au premier livre. C’est correct. Une fois publié, il ne m’appartient plus. J’espère simplement que chaque lecteur et lectrice y trouvera quelque chose qui résonne.

    As-tu consciemment choisi de moins parler de transidentité ?
    Gabrielle Boulianne-Tremblay : La fille de la foudre parle d’identité, mais j’ai élargi mes thématiques, parce que je ne suis pas seulement trans. J’ai choisi d’aborder la santé mentale, la personnalité limite, les impacts des traumas et le poids qu’on met sur les survivantes. Ce livre m’a fait peur à écrire, parce que je suis allée dans des zones d’ombre bien particulières. J’aime parler de la face cachée de la lune. Il a été écrit à la fois dans l’urgence et avec lenteur. J’aurais pu le sortir 18 mois après La fille d’elle-même, mais j’ai préféré attendre. Certaines choses avaient besoin de maturer.

    Pourquoi ouvres-tu le livre avec une agression ?
    Gabrielle Boulianne-Tremblay : Mon premier roman commençait aussi de manière percutante, avec Le Manifeste de la Femme Trans, écrit en 2018, publié en 2021, et toujours d’actualité. Je ne ressentais pas le besoin de trouver autre chose pour frapper fort. L’important, c’était de puiser dans des expériences difficiles, en me disant que je ne les avais pas vécues pour rien. Je raconte cette agression avec une touche littéraire, pour montrer que les capacités de la narratrice sont atteintes et pour donner une sorte d’avertissement : dans le monde du dating, on ne sait jamais vraiment à qui on a affaire. Je voulais que le lecteur soit happé par un sentiment d’urgence vitale. Elle s’en tire, mais cet événement déclenche une prise de conscience. Autant le premier roman était une naissance, autant le deuxième est pour moi une renaissance.

    Le feu est partout dans le livre. Tu écris avoir envie de te mettre le feu, tu parles d’incendies
    intérieurs, de foudre. Pourquoi ces images expriment-elles si bien ce que tu voulais partager ?

    Gabrielle Boulianne-Tremblay : Le TPL, c’est électrique quand ce n’est pas contrôlé. La foudre, c’est destructeur, mais aussi révélateur : un éclair qui frappe, une prise de conscience brutale. La réalité de la narratrice lui explose au visage. Elle doit gérer ses enjeux internes et externes, redéfinir son rapport à l’amour, se demander si elle est polyamoureuse, faite pour la solitude ou pour le couple, tout en vivant avec une dépendance affective. Ça a été ardu pour moi d’en parler. J’ai été longtemps dépendante affective. Je suis en rémission, disons. Il a fallu de la thérapie, des rencontres avec les Dépendants affectifs anonymes, et beaucoup de lectures sur le sujet.

    En publiant La fille de la foudre, as-tu l’impression de révéler d’autres pans de la transidentité ?
    Gabrielle Boulianne-Tremblay : Oui, parce que j’apprends constamment sur moi et sur d’autres parcours trans, similaires mais toujours uniques. Les politiques de Trump m’ont atteinte personnellement. J’ai fait un burn-out. Je le dis sans détour. J’en suis sortie récemment, après une hospitalisation. Je n’avais plus confiance en moi. Cet homme légitime la violence envers les personnes trans, il nous déshumanise. C’est terrible. Même si j’ai un tempérament de frondeuse, cette idée qu’on ne veut pas de nous et qu’on cherche à nous effacer de l’histoire reste présente. Et le TPL me rend poreuse. Je suis une femme-éponge.

    Comment se traduit la personnalité limite dans ta vie ?
    Gabrielle Boulianne-Tremblay : J’ai fait 90 séances de thérapie pour mieux me comprendre. J’aimerais aller au gym aussi souvent ! Je compare ma thérapie à un entraînement mental : ça ne te tente pas toujours, ça fait mal parfois, mais c’est nécessaire. Certains jours, je disais à ma psy que je n’avais pas envie de lui parler… et on analysait pourquoi je ressentais ça.

    Mes émotions sont intenses, difficiles à réguler. J’ai aussi une peur exacerbée de l’abandon. Par exemple, il y a deux ans, je suis allée dans une librairie à deux étages avec un ami. Quand je ne l’ai plus vu, j’ai tout de suite pensé qu’il s’ennuyait et qu’il était parti sans me prévenir. Je saute vite aux conclusions. Ma thérapie m’aide à prendre du recul et à envisager d’autres perspectives.

    Tu écris vouloir « déterrer le sanglot » de ton enfant intérieur. Ce roman semble être une quête pour te rebâtir. Où en es-tu dans ta reconstruction ?
    Gabrielle Boulianne-Tremblay : L’écriture me ramène à mes sens. Ce n’est pas le livre que je voulais écrire, mais celui que j’avais besoin d’écrire. Il m’a permis de découvrir des facettes insoupçonnées de moi-même. J’ai réussi à aborder le TPL avec plus de tendresse, à l’accepter. Il sera toujours là. On va cohabiter.

    La thérapie a été salvatrice. Je n’aurais pas écrit ce livre sans ma thérapeute. J’ai aussi compris que l’alcool est incompatible avec moi : c’est comme jeter de l’huile sur le feu avec un TPL. En novembre, ça fera quatre ans que je suis sobre. Cette sobriété m’a donné une euphorie de vivre.

    INFOS | La fille de la foudre, de Gabrielle Boulianne-Tremblay, Marchand de feuilles, 2025, 312 pages.

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