Vendredi, 29 mars 2024
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    Discours prononcé par Louise Arbour lors de l’ouverture de la Conférence internationale sur les droits humains des LGBT (2006)

    Voici la retranscription officielle du discours prononcé par Louise Arbour, Haut-commissaire des Nations Unies aux droits de l’Homme, lors de la soirée d’ouverture de la Conférence internationale sur les droits humains des LGBT, le 26 juillet 2006, dans le cadre des premiers Outgames Mondiaux de Montréal.

    Monsieur le Maire, 
    Monsieur le Ministre de la Justice, 
    Madame et Monsieur les co-présidents de la Conférence, 
    Madame la co-secrétaire générale et Monsieur le co-secrétaire général de l’International Lesbian and Gay Association (ILGA), 

    Mes cher-e-s ami-e-s, 

    Je suis très heureuse de me joindre à vous ce soir, à l’ouverture de cette importante conférence, et je remercie très sincèrement les organisateurs qui m’ont fait l’honneur de m’inviter à prendre la parole. 

    Je voudrais avant tout vous inviter a réfléchir sur certains thèmes qui animeront sûrement vos débats dans les jours à venir, à savoir, en particulier, le rôle de l’Etat dans la protection des droits fondamentaux de la personne humaine et surtout, la portée, et les limites, du droit international en la matière. 

    J’ai fait mes études de droit ici, à l’Université de Montréal, à la fin des années soixante et je considère avec fierté que mes racines juridiques et intellectuelles sont bien ancrées dans cette société qui vous accueille aujourd’hui. C’est en effet à la fin des années soixante que le Québec redéfinit son identité en même temps qu’il s’ouvre sur le monde. De façon plus large, le Canada tout entier est alors prêt à répondre à l’effervescence des premiers baby boomers revendicateurs. 

    En 1969, le Parlement canadien complète une réforme importante du Code criminel et abolit les sanctions pénales touchant les actes sexuels auxquels s’engagent en privé des adultes consentants. Il faudra attendre presque 15 ans pour que les dispositions de la Charte constitutionnelle des droits et libertés touchant l’égalité et la non-discrimination entrent en vigueur et deviennent les assises d’un régime juridique qui reconnaît aujourd’hui sans réserve les droits des personnes lesbiennes, gaies, bisexuelles et transgenres (« LGBT »). De plus, l’année dernière, le Parlement canadien rendait possible le mariage entre personnes du même sexe. 

    L’orthodoxie juridique soutient que le droit est rarement en avance sur la société et qu’il s’agit d’une discipline par vocation conservatrice et lente à refléter l’évolution des mœurs. Permettez-moi de remettre en question cette prémisse et de vous inviter à croire avec moi que le droit – et particulièrement ce droit qu’on appelle toujours à Genève les droits de l’homme – est le forum privilégié pour la création d’un régime universel de protection de l’égalité et du particularisme qui sont au cœur même de la dignité de l’être humain. 

    L’évolution du droit canadien – le passage de la protection de la vie privée a l’égalité substantive – n’est pas unique, mais, soyons clairs, cette évolution ne reflète pas encore la position du droit international tel qu’il existe aujourd’hui. 

    À l’heure actuelle, plusieurs pays ont une constitution qui contient des clauses explicites interdisant la discrimination sur la base de l’orientation sexuelle. C’est le cas, par exemple, en Afrique du Sud, en Équateur, au Portugal, en Suède et à Fiji. Dans d’autres pays, des lois ordinaires interdisent une telle discrimination, en particulier en ce qui concerne l’accès à l’emploi. Enfin, certains Etats reconnaissent maintenant les unions civiles de partenaires de même sexe, alors que d’autres acceptent leur mariage. 

    Mes cher-e-s ami-e-s, 

    Je ne vous parle pas ce soir principalement en tant que juriste québécoise et canadienne. Je vous adresse la parole avant tout comme représentante des Nations Unies où mes fonctions me mandatent de protéger et de promouvoir tous les droits humains, à l’échelle mondiale. Il est clair que le processus et la rapidité d’évolution du droit international diffèrent du contexte domestique. Je crois cependant sincèrement en la capacité du droit international des droits humains de contribuer de façon importante au plein respect des idéaux reflétés dans la Charte des Nations Unies, et en particulier à « favoriser le progrès social et instaurer de meilleures conditions de vie dans une liberté plus grande ». Ceci dit, il faut être conscients de l’ampleur de la tâche. 

    L’organisation des Nations Unies sert essentiellement en tant qu’organe normatif de ses États membres. Le monde entier y est donc représenté dans toute sa diversité. La légitimité et la crédibilité du droit international des droits humains, tel que reflété dans les divers traités, coutumes et institutions, découle plus du consensus qui résulte d’un compromis entre ces diverses cultures que de l’adhésion à une doctrine théoriquement cohérente. Sur des questions controversées, telles que la protection légale offerte aux personnes LGBT, certains États sont avant-gardistes alors que d’autres se refusent même à aborder la question. 

    Dans ce contexte hautement polarisé, la qualité du débat est aussi importante que le résultat qui en est attendu. Des milliers de personnes sont à risque chaque jour en raison de leur identité, préférence ou pratique sexuelles. Dans notre recherche du cadre approprié de protection universelle des personnes LGBT, nous devons éviter à tout prix que le débat dérive de sa substance et sombre dans un dialogue de sourds entre soi-disant doctrinaires étroits d’esprit d’un côté, et prétendus dépravés de l’autre. 

    À l’heure actuelle, la majorité des pays membres des Nations Unies ne reconnaissent pas l’orientation sexuelle comme motif prohibé de discrimination. Plus de 80 pays maintiennent des lois qui criminalisent les pratiques homosexuelles. Cette réalité rend tout consensus politique aux Nations Unies très difficile à atteindre. 

    Cependant, les institutions composées d’experts indépendants qui supervisent la mise en œuvre du droit international des droits humains reconnaissent de plus en plus la discrimination contre les personnes LGBT comme une violation des droits de la personne humaine. Dans le cas bien connu de Toonen c Australie, le Comité des droits de l’homme, dont les membres experts sont chargés de la surveillance du respect des obligations contenues au Pacte international relatif aux droits civils et politiques, a conclu qu’une loi qui criminalisait des actes homosexuels violait le droit à la vie privée. 

    Le comité a également interprété le mot ‘sexe’, dans l’article du Pacte traitant de la non-discrimination, comme incluant l’orientation sexuelle. Dans un autre cas contre l’Australie, le Comité des droits de l’homme a conclu que nier certains bénéfices aux partenaires de même sexe, alors que ces mêmes bénéfices étaient accordés aux couples hétérosexuels non-mariés, allait à l’encontre de la garantie contre la discrimination. Le Comité des droits économiques, sociaux et culturels a quant à lui inclus l’orientation sexuelle comme motif prohibé de discrimination dans certaines Observations générales récentes, ainsi que dans des Observations finales relatives à la situation des droits de l’homme dans certains pays. 

    C’est justement dans cette rencontre entre le travail normatif des États et les fonctions interprétatives des instances internationales composées d’experts qu’un terrain d’entente peut commencer à émerger. En effet, bien qu’aucun document onusien adopté par les Etats membres ne prohibe explicitement la discrimination sur la base de l’orientation sexuelle, il demeure que le principe de l’universalité exige que tous les êtres humains puissent jouir en tout temps de tous les droits, y compris du droit à la nourriture, à l’éducation, à des soins de santé de qualité, à une demeure, au travail. Comme plusieurs d’entre vous le savez, le Brésil, avec le soutien de quelques autres pays, a tenté de saisir la défunte Commission des droits de l’homme de la problématique de la discrimination basée sur l’orientation sexuelle. Cette initiative a rencontré une résistance obstinée, parfois même hostile, de la part de certains pays. Parmi les États qui ont des standards domestiques élevés pour la protection des personnes LGBT, plusieurs ont refusé de s’engager à faire étendre cette protection au niveau international. 

    Ceci étant dit, et tel que le travail des organes de traités des Nations Unies le démontre, le droit international des droits de l’homme n’est pas figé dans le temps; au contraire, il est en constante évolution. Ce processus lui-même peut contribuer à faire évoluer les normes au niveau national et à stimuler un débat sérieux, professionnel et respectueux. Encore une fois, bien que le consensus politique ne soit pas à notre portée à court terme, je crois que nous pouvons générer suffisamment de volonté politique pour commencer à se préoccuper sérieusement des questions de protection, et à répondre ainsi aux besoins les plus aigus d’une communauté à risque. 

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    Dear Friends, Colleagues and Participants, 
    While this normative, political, and social evolution unfolds, it is imperative to remain attentive and responsive to the plight of LGBT persons whose daily life is negatively affected by the current environment. 

    Let me turn then to the question of criminalization. Of the more than 80 countries that prohibit sexual relations between consenting adults of the same sex, seven make homosexual activity punishable by death. Others prohibit gender reassignment surgery for transsexuals or require intersex persons to undergo such surgery against their will. 
    There is no doubt that these laws violate international human rights standards when the sanction is death or corporal punishment, since the sentence is grossly disproportionate to the offence and violates the right to life or to freedom from torture. But, regardless of what sanction is imposed, such laws can be said to violate the right to privacy, as the Human Rights Committee found in the Toonen case. The European Court of Human Rights also concluded that laws criminalizing homosexual activity violate this right. 

    The right to privacy is often defined as the right to be left alone. Cast in a more positive light, it reflects not simply a dichotomy between the public and the private sphere, but a genuine public interest in preserving a space in which the state must not intrude. It protects the family and the home, but most importantly those special and unique characteristics that define our existence, including our sexual identity. As such, this right is closely related to the protection of life, human dignity, and mental and physical integrity. 

    There is an obvious difference between criminal activities conducted in secret and activities that should not be penalized when conducted in private. The difference is reflected in the harm caused, or likely to result from that activity. 

    Many courts around the world have found that consenting adults who engage in same sex behavior do not infringe the rights of others and cause no harm that would justify the intervention of the State. For instance, the South African Constitutional Court found that: 
    “Outside of regulatory control, conduct that deviates from some publicly established norm is usually only punishable when it is violent, dishonest, treacherous or in some other way disturbing of the public peace or provocative of injury. In the case of male homosexuality however, the perceived deviance is punished simply because it is deviant. It is repressed for its perceived symbolism rather than because of its proven harm.” 

    There is a paradox in our attitude to privacy: some see no problem when a State, in the absence of any proven harm, tramples on privacy in cases of homosexuality, but find no contradiction when the same State is reluctant to violate the sanctity of the private sphere in instances of extraordinary harm, such as domestic violence against women and children, a scourge that blights the lives of many in every country of the world. 

    Striking a balanced approach to the right to privacy is made even more complicated by the fact that attitudes to privacy are often shaped by culture or religion, and thus by deeply held beliefs. It is therefore important to stress that freedom of religion is a right that also protects the freedom not to share in religious beliefs or be required to live by them. 

    Whether in authoritarian or in democratic states, laws tend to be designed to demand conformity to the norm. Harmless conduct that does not comply with the norm may therefore require either constitutional or other forms of overriding protection. Under the broad and ill-defined mantle of “culture” States may fail to recognize the diverse voices within their own communities, or may deliberately chose to suppress them. Such an approach stems from an ossified vision of culture, however, which ignores the indisputable transformation of social mores as well as the obligations to promote tolerance and respect for diversity required by human rights law as core aspects of the right to privacy. 

    In my view, respect for cultural diversity is insufficient to justify the existence of laws that violate the fundamental right to life, security and privacy by criminalizing harmless private relations between consenting adults. Even when such laws are not actively enforced, or worse when they are arbitrarily enforced, their mere existence fosters an atmosphere of fear, silence, and denial of identity in which LGBT persons are confined. I suggest that even when states assert a duty to promote moral, religious or cultural values, they must exercise considerable restraint in doing so through the use of the criminal justice system. 

    Neither the existence of national laws, nor the prevalence of custom can ever justify the abuse, attacks, torture and indeed killings that gay, lesbian, bisexual, and transgender persons are subjected to because of who they are or are perceived to be. Because of the stigma attached to issues surrounding sexual orientation and gender identity, violence against LGBT persons is frequently unreported, undocumented and goes ultimately unpunished. Rarely does it provoke public debate and outrage. This shameful silence is the ultimate rejection of the fundamental principle of universality of rights. 

    Impunity for crimes of violence against LGBT persons suggests that, in many societies, they are seen as less deserving of the protection of the law. In the final analysis, their lives are seen to be worth less, along with the lives of others whom society unjustly rejects because of their faults or flaws, real or imagined. In the face of that reality, the responsibility of the State to extend effective protection is, if anything, heightened. 

    States have a legal duty to investigate and prosecute all instances of violence and abuse with respect to every single person under their jurisdiction. Excluding LGBT individuals from these protections clearly violates international human rights law as well as the common standards of humanity that define us all. 

    As I conclude, let me comment on the role of human rights defenders. I recognize that many LGBT human rights organizations work in extremely difficult circumstances. They are denied freedom of association when the authorities shut them down, or otherwise prevent them from carrying out their work. They are physically attacked when they organize demonstrations to claim their rights. Many have even been killed for daring to speak about sexual orientation. They are denied access to important fora, including at the international level, where they should be able to have their voices heard. 

    And yet, despite these obstacles, you do and must continue to press for change at all levels. At the national level, it is largely through your legal advocacy that laws which discriminate against LGBT persons will be repealed and laws that offer better protection of their rights will be put in place. It is through your social organizing and education that stereotypes will be dispelled and attitudes changed.

    Work at the international level is equally important, as the UN experts who monitor human rights at the behest of States can legitimize the demands of advocates and provide guidance to governments. I strongly encourage you to make greater use of the international human rights institutions, ultimately for the benefit of the greater number of rights-holders. 

    I also encourage human rights NGOs to include sexual orientation and gender identity in their agenda and to partner with LGBT NGOs to advocate better protection of human rights for everyone. Civil society will play an indispensable role in advancing the reach and scope of human rights law, towards the realization of a truly universal ideal. 

    I wish you success in your work over the next few days and beyond, and look forward to the outcome of this important event. I also wish, with you, for a better and fairer world. 

    Merci 

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