Jeudi, 28 mars 2024
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    Le VIH et… la santé des reins: une entrevue avec le Dr Lebouché

    Le succès des traitements du VIH signifie que les personnes vivant avec le VIH vivent beaucoup plus longtemps qu’auparavant. En effet, la thérapie antirétrovirale a prolongé l’espérance de vie des personnes vivant avec le VIH. Aujourd’hui, avec un diagnostic précoce et des traitements efficaces, une personne séropositive de 20 ans peut espérer vivre jusqu’à 70 ans ou plus, comme le reste de la population en général. Mais il faut faire attention aux problèmes rénaux. Pour en savoir plus, nous nous sommes entretenus avec le Dr Bertrand Lebouché, médecin et chercheur à la Clinique des maladies virales chroniques du Centre universitaire de santé McGill, à l’hôpital Glen.

    Au Canada, la majorité des personnes vivant avec le VIH ont maintenant plus de 50 ans. Au cours de la prochaine décennie, près des trois quarts de la population atteinte par le VIH aura plus de 50 ans. «Comme les personnes vivant avec le VIH vivent plus longtemps et de nombreux patients atteignant des charges virales indétectables, nous devons nous concentrer sur le maintien d’une bonne santé en vieillissant», explique d’emblée le Dr Lebouché. «Vieillir avec le VIH apporte un nouvel ensemble de défis et d’objectifs. Un nombre croissant de patients ont besoin d’un traitement pour d’autres maladies chroniques liées à l’âge», du simple fait qu’elles vieillissent. 

    La gestion de l’infection à VIH plus complexe avec le vieillissement
    Bien que la suppression virale est l’élément clé des traitements, les soins dispensés aux patients vivant avec le VIH évoluent et se concentrent de plus en plus sur le traitement des comorbidités (c’est à dire des maladies qui accompagnent l’infection par le VIH) liées au vieillissement. «Il faut comprendre que les affections telles que les maladies rénales, l’ostéoporose, la fragilité, les troubles de la santé mentale et les problèmes cardio-vasculaires se développent plus tôt et plus souvent chez les patients vivant avec le VIH que chez les patients non infectés par le VIH.» 

    «Les maladies qui frappent généralement les personnes séronégatives âgées de 60 à 70 ans sur-viennent chez les personnes vivant avec le VIH âgées de 50 à 60 ans.» Cela inclut les effets des antirétroviraux plus anciens sur des organes tels que les reins.  

    L’importance des reins
    Les reins font un travail précieux en protégeant le corps. Ils traitent près de 200 litres de sang par jour, filtrant près de deux litres de déchets et d’excès d’eau qui se transforment  ensuite en urine. Ils régulent aussi les taux de minéraux dans le corps, produisent une hormone qui stimule la production de globules rouges, aident à réguler la tension artérielle et transforme la vitamine D en une forme active, indispensable pour la santé des os et la santé cardiovasculaire, parmi d’autres choses.  

    «Surveiller la fonction rénale et maintenir ces organes puissants en bon état est essentiel à la santé à long terme de toutes les personnes vivant avec le VIH», rappelle avec insistance le Dr Lebouché. «Les reins ne sont pas à l’abri de maladies pouvant nuire à leur capacité de fonctionner. Une insuffisance rénale chez les personnes séropositives est fortement associée aux maladies cardiovasculaires plus fréquentes quand on vit avec le VIH. Si les reins ne fonctionnent pas bien, les déchets s’accumulent dans le sang et peuvent nuire à l’organisme. » 

    Facteurs de risque de maladies rénales
    Le VIH et certains médicaments antirétroviraux peuvent nuire aux reins, tout comme les facteurs de risque traditionnels. 

    VIH – Inflammation, antirétroviraux et autres médicaments
    « Le VIH lui-même peut contribuer à la maladie rénale. Les personnes qui ont un faible nombre de CD4 ou qui ont été diagnostiquées à un stade avancé risquent davantage de développer une maladie rénale. Le système immunitaire d’une personne vivant avec le VIH est en état de bataille constante. Le virus se reproduit et le corps se bat contre lui, maintenant le système immunitaire en alerte permanente, un syndrome qu’on appelle inflammation. Nous savons que l’inflammation est considérablement réduite chez les personnes qui sont capables d’obtenir et de maintenir leur charge virale VIH indétectable avec un traitement anti-VIH. Mais une charge virale indétectable ne signifie pas que l’inflammation est complètement bloquée. Et, comme l’inflammation est associée à un risque accru de maladie cardiovasculaire et de maladie rénale, les personnes vivant avec le VIH courent un risque plus élevé de maladie rénale, qu’elles aient ou non une charge virale indétectable. » 

    Les traitements antirétroviraux eux-mêmes peuvent également être une source de dommages aux reins. Certains traitements anti-VIH ont démontré n’avoir pratiquement aucun impact sur les reins par rapport aux traitements plus anciens. « Il est important d’en discuter avec votre médecin.» 

    «D’autres médicaments sur ordonnance ou en vente libre, ainsi que des produits de santé naturels et des drogues, peuvent exercer des effets indésirables sur les reins. La liste inclut certains anti-inflammatoires, antibiotiques et diurétiques, certains suppléments pour la perte de poids, certaines drogues comme la cocaïne, l’héroïne et les amphétamines, parmi tant d’autres», précise le Dr Lebouché. «De plus, les médicaments et drogues qui ne nuisent pas normalement aux reins lorsqu’ils sont utilisés seuls risquent d’interagir les uns avec les autres et de causer ainsi des dommages rénaux. Il est donc important d’aviser votre médecin et votre pharmacien de tous les médicaments et drogues que vous prenez. » 

    L’hypertension artérielle et le diabète

    Cela dit, si le VIH peut contribuer aux maladies rénales, l’hypertension artérielle et le diabète sont les deux principales causes de l’insuffisance rénale. Il est donc important de contrôler votre glycémie et de prévenir les augmentations du taux de sucre sanguin qui risquent de nuire aux reins. Il faut aussi maintenir une tension artérielle saine et faire son possible pour prévenir les dommages cardiovasculaires, car ces derniers peuvent aggraver les lésions rénales. Au besoin, prenez un médicament contre l’hypertension. Les changements de mode de vie peuvent également aider à contrôler l’hypertension artérielle et le diabète. 

    Le tabagisme et l’alcool
    Fumer la cigarette est un important facteur de risque d’insuffisance rénale. «Le tabagisme augmente le risque de maladies rénales et contribue à la mortalité due aux accidents vasculaires cérébraux et aux crises cardiaques chez les personnes souffrant d’insuffisance rénale chronique. Cesser de fumer aura donc un impact important» Et l’alcool? «Lorsqu’il est consommé en grande quantité, l’alcool peut également nuire aux reins», confirme le Dr Lebouché. 

    L’hépatite C
    «L’infection à l’hépatite C peut endommager non seulement le foie, mais aussi les reins. Les personnes vivant avec le VIH qui sont co-infectées par l’hépatite C courent un risque accru d’insuffisance rénale chronique et de défaillance rénale. Heureusement il existe maintenant des traitements pour traiter efficacement l’hépatite C.» 

    Le vieillissement
    Notez que la toxicité des médicaments chez les personnes âgées peut être plus élevée en raison de la diminution de la fonction rénale et hépatique qui survient naturellement avec le vieillissement. 

    Tests et suivi
    «Toutes les personnes vivant avec le VIH doivent faire l’objet d’un dépistage de la maladie rénale au moment du diagnostic. Et, même si la fonction rénale semble normale, elles doivent être examinées au moins chaque année, voire plus régulièrement en fonction de leur schéma thérapeutique. Votre médecin traitant devrait surveiller votre fonction rénale régulièrement. Les changements de mode de vie peuvent également aider à garder la maladie rénale sous contrôle.» 

    Il est rare qu’un déclin modéré de la fonction rénale cause des symptômes évidents. L’organisme peut fonctionner plutôt bien avec une fonction rénale normale de 50 pour cent seulement. Voilà pourquoi de nombreuses personnes peuvent faire un don de rein et continuer à vivre en bonne santé. En général toutefois, de graves problèmes de santé se produisent lorsque la fonction rénale baisse en bas de 25 pour cent. Il faut alors envisager devoir subir une dialyse  rénale (traitement qui aide l’organisme à filtrer les déchets) en attendant une greffe de rein. 

    Pour déterminer si vos reins ont été endommagés, votre médecin pourrait vous faire passer un ou plusieurs des tests suivants :

    • Test de mesure de la tension artérielle  «L’hypertension artérielle est non seulement un facteur de risque de maladies rénales, mais peut aussi être une conséquence des dommages rénaux» explique le Dr Lebouché. Par conséquent, une augmentation de la tension artérielle peut être un indice important d’un problème dans ces organes.
    • Un test d’urine pour rechercher la présence de protéine   «En temps normal, l’urine ne contient pas de protéine. Lorsque les reins sont endommagés, ils risquent de ne pas séparer les protéines sanguines, dont l’albumine, des déchets qu’ils filtrent et on retrouve alors des protéines dans les urines.» 
    • Un test sanguin pour mesurer le taux de créatinine  «La créatinine est un produit de déchets provenant des muscles qui est normalement filtré et évacué par les reins». Cependant, lorsque les reins ne fonctionnement pas normalement, la créatinine s’accumule dans le sang. «Ce test est utilisé pour calculer le DFGe (débit de filtration glomérulaire estimé), une mesure indiquant l’efficacité avec laquelle les reins accomplissent le filtrage des déchets dans le sang.» 
    • Autres tests  Au besoin, votre médecin pourrait vous recommander d’autres tests pour mesurer la quantité de sucre, de protéine et de phosphore dans votre urine et votre sang, selon les médicaments anti-VIH que vous prenez. Si les tests ci-dessus révèlent une grave dysfonction rénale, votre médecin demandera peut-être des tests d’imagerie rénale — échographie, tomodensitométrie ou IRM — ou une biopsie.  Si les tests révèlent la présence de dommages rénaux, il est important de traiter immédiatement toutes les choses susceptibles de contribuer au problème. Si vous prenez actuellement un médicament susceptible d’en être la cause, votre médecin vous recommandera peut-être de le remplacer par un autre. N’oubliez pas qu’il ne faut jamais arrêter de prendre un médicament anti-VIH sans avoir consulté d’abord votre médecin.

    En conclusion

    Pour prévenir les problèmes rénaux, vous pouvez prendre plusieurs mesures, telles que :

    • Arrêter de fumer ;
    • Boire suffisamment d’eau ;
    • Éviter les médicaments dangereux pour les reins ;
    • Améliorer votre fonction cardiaque en pratiquant un exercice physique et en réduisant votre cholestérol ;
    • Faire traiter une pression artérielle élevée ;
    • Perdre du poids si vous êtes en surpoids ;
    • Discuter avec votre médecin ou votre pharmacien des interactions possibles entre les médicaments. 

    QUI EST LE DR BERTRAND LEBOUCHÉ?
    Depuis 2012, le Dr Lebouché exerce à Montréal auprès de patients vivant avec le VIH et le virus de l’hépatite C. Il s’est joint à l’équipe médicale du Service des maladies virales chroniques du CUSM. Il est professeur adjoint au département de médecine de famille de l’Université McGill et, depuis 2014, chercheur à l’institut de recherche du centre universitaire de santé McGill. Il copréside le comité d’éthique de la recherche du CUSM et est investigateur de plusieurs études cliniques. Son programme de recherche est centré sur l’optimisation du modèle de soins du VIH en intégrant la perspective des personnes vivant avec le VIH et des cliniciens. Avec son équipe, il développe actuellement une nouvelle mesure patient et une application connectée afin que ses patients participent davantage à leur suivi VIH.

    CET ARTICLE A ÉTÉ RENDU POSSIBLE GRÂCE AU SOUTIEN DE GILEAD SCIENCE CANADA

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