Active sur la scène musicale québécoise dans les années 80 et 90, Marie Martine Bédard effectue un retour avec un projet unique en son genre. Avec le projet hippocampe, l’auteure-compositrice-interprète propose de la musique pour guérir et pour soutenir les survivantes d’agressions sexuelles, où les profits de la vente d’albums seront remis aux CALACS. Entrevue avec celle qui n’hésite pas à tout dévoiler; d’un silence imposé, elle retrouve enfin sa voix.
Si briser le silence se veut une étape essentielle vers la guérison pour les victimes d’agressions sexuelles, Marie Martine, d’emblée, n’hésite pas à discuter de son vécu: «J’étais très active sur la scène musicale dans les années 80, mais après mon agression, j’ai tant bien que mal tenté de reconnecter avec certaines choses, dont la musique, mais ça a pris un certain temps. À l’époque, on ne parlait même pas encore de stress post-traumatique en lien avec le viol, alors je ne savais même pas ce que j’avais… J’avais des problèmes de mémoire, je regardais mon manche de guitare et j’avais tout oublié.»
D’une carrière à temps plein en musique, notamment à la basse aux côtés de Patrick Bourgeois, l’agression – lire le viol – a fait en sorte que sa vie bascule complètement, explique la survivante. Si elle accroche ses guitares en 1998, elle prendra près de 10 ans à en rejouer: «Quand je me suis rendu compte que j’étais en train de me perdre, car la musique me manquait, je suis retournée aux études en suivant des cours à distance, au Berklee College of Music. Durant mon bac en écriture musicale et mon certificat en guitare, j’ai commencé à parler de mon vécu dans mes chansons et l’accueil positif que j’ai reçu m’a encouragé et c’est devenu un projet.»
«Puis, quand j’ai appris que mon agresseur, un criminel récidiviste ayant fait trois générations de victimes, avait fait plusieurs autres jeunes victimes qui pourraient être mes filles, j’ai décidé d’aider. Puis, mon idée du projet a pris forme.»
Ainsi était né le projet d’album Hippocampe, ou «le voyage du cheval de mémoire» visant à sensibiliser sur les chemins qu’emprunte la survivance après le viol en mariant arts technologiques et chanson populaire, explique l’auteure-compositrice-interprète: «Je prévois écrire, composer et arranger une suite de neuf à douze chansons en anglais et en français sur une période de 12 mois, à partir d’une démarche qui fait appel aux effets physiologiques de la mémoire post-traumatique.» Si ce projet amorcé avec l’assistance du laboratoire en arts technologiques NXI Gestatio de l’UQAM, semble présenter un processus faisant office «d’expérience» scientifique et créative, c’est par ce que «l’expression cheval de mémoire qui apparait dans le titre fait référence à l’hippocampe du cerveau dans lequel sont enregistrés les phénomènes traumatiques», explique Marie Martine. «J’ai découvert son existence et son rôle par les travaux de la Dre Muriel Salmona, psychiatre et militante française en matière de violences sexuelles.» Si l’expérience en soi n’est guère aisée pour l’auteure-compositrice-interprète, elle permet néanmoins de guérir par le biais de la musique, dans un monde qui entretient la culture du viol, malgré la visibilité d’initiatives telles que #moiaussi. À commencer, par cette peur de nommer les choses, explique la survivante: «Ce qui me dérange le plus au Québec, com-parativement à la France, par exemple, où le mot viol est encore dans le Code criminel, c’est l’utilisation des mots. Au Québec, on parle “d’agressions sexuelles”, et je trouve que ça dilue, car te faire “violer”, c’est plus que te faire agresser. Et lorsqu’on dit le mot “viol”, la réaction physiologique est différente: c’est violent.»
Bref, pour toutes ces raisons, Marie Martine utilise le voyage du cheval de mémoire pour porter sa voix et une réalité trop peu entendue. «Je trouve qu’en musique, les femmes d’un certain âge, ou du moins passé un certain âge, sont sous-représentées et c’est dommage, car on a encore des choses à dire», appuie judicieusement la musicienne. «Surtout que ce n’est pas exceptionnel pour une victime de prendre plusieurs décennies à guérir… Donc la journée où tu commences à être fonctionnelle, après tout ce temps, la société ne t’accueille pas à bras ouverts. Notamment dû à l’âge…»
En effet, en musique, nombreux sont les concours et les bourses qui s’adressent uniquement aux moins de 35 ans, comme si après cet âge, la carrière musicale, voir son changement et sa progression n’était plus possible. Et Marie Martine de conclure sur cette note: «Je tenais également à ce projet pour briser ce stigma de l’âge et donner espoir aux femmes qui ont plus de difficultés que d’autres à s’en sortir. Je veux dire aux femmes de continuer d’aller de l’avant: il ne sera jamais trop tard! Quelque part, il y a quelque chose de magnifique à survivre à tout ça».
INFOS | Pour soutenir financièrement et émotivement Marie Martine Bédard dans son projet, visitez son site web ainsi que sa page Facebook