Mercredi, 27 septembre 2023
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    Se définir et être défini

    On n’en finit plus dans les mouvances LGBTQ+ de multiplier les néologismes qui représenteraient au plus près notre identité sexuelle et de genre. Au point d’y perdre le peu de latin qui nous reste. L’exercice est stimulant, nous permet encore de briser des barrières et ouvre des perspectives de réflexion passionnantes.


    En revanche, pour celles et ceux qui sont à l’extérieur de ces mouvances, cela relève d’un exercice absurde, totalement « capiloculotracté », qui suscite l’ironie au mieux, la colère au pire.

    Bien sûr, nous voulons toustes être reconnu.e.s pour ce que nous sommes ou ne sommes pas et l’on s’excite rapidement le poil des jambes si l’autre ne nous perçoit pas tel que nous le souhaiterions. Grande question philosophique qui entremêle l’être et le paraitre pour arriver à une concordance exacte entre ces deux états. Encore faut-il commencer par bien se connaitre. Et, là encore, une autre porte s’ouvre sur ce que nous savons de nous-mêmes et de notre capacité à mettre en pratique cet exercice. Je garderai ces grandes questions aucongélateur pour une autre chronique… ou non. Nous souhaitons donc nous définir nous-mêmes et ne plus être défini par celles et ceux — les institutions, l’éducation, la morale, les parents, la sage-femme qui s’écrie : « C’est un garçon ! » —, qui contrôleraient notre identité profonde et nous empêcheraient d’advenir. Le défi d’une vie. J’ai vécu il y a quelques semaines une polémique parce que j’avais mégenré un.e artiste qui, en trois ans, était passé.e du « elle » au « iel ». J’ai commis, non intentionnellement (dois-je préciser), un crime de
    lèse-non-binarité. Homophobe, transphobe, vieux ringard, incapable d’évoluer, confortablement installé dans sa petite vie de gai privilégié, les critiques proches de l’injure ont plu dans mes courriels et sur les réseaux sociaux.

    Une condamnation sans aucune autre forme de procès de la part de personnes qui ne me connaissaient pas, et surtout qui, semble-t-il, n’avaient lu aucune de mes chroniques et aucun des articles que j’ai pu écrire sur les questions d’orientation sexuelle et d’identité de genre. Je ne jouerai pas à l’inversion accusatoire ou encore à tenter de montrer patte blanche, de pleurnicher avec preuves à l’appui de ma bonne foi, de mon allégeance aux courants aujourd’hui prônés sur l’écriture inclusive ou encore sur l’utilisation des pronoms non genrés ou non binaires. Je reviendrais seulement sur ces types de comportements qui se laissent aller, pour je ne sais quelles raisons, à une chasse aux sorcières à l’endroit des personnes qui s’écarteraient du dogme que d’autres tentent d’imposer. Il est vrai que l’on rencontre souvent dans l’histoire des exemples d’anciennes victimes qui, dès qu’elles ont un quelconque pouvoir, deviennent de nouveaux bourreaux, utilisant les mêmes méthodes que leurs
    anciens ennemis. Il va sans dire que cette attitude est contreproductive. Et si je reprends l’exemple du
    mégenrage, je tiens à souligner que de nombreuses personnes, en grande majorité des gais, m’ont soutenu en exprimant leur exaspération sur la question de l’écriture inclusive et surtout sur les pronoms à utiliser pour les personnes non binaires. Certain.e.s se sont même montré.e.s amusé.e.s, me disant que j’étais devenu l’arroseur arrosé d’avoir voulu défendre depuis longtemps ces réalités.
    Ajoutons aussi que, parmi les personnes dont l’activité se résume à écrire et qui, avec beaucoup de difficultés, s’efforcent de vérifier deux fois plutôt qu’une qu’ils et elles sont dans la droite ligne de l’écriture afin de s’assurer que personne ne soit oublié ou invisibilisé, plusieurs le font, non pas parce qu’elles et ils sont convaincu.e.s, comme je le suis, d’arriver à transformer la langue française pour qu’elle soit moins masculine, mais par peur, par contrainte, pour ne pas se faire chier dessus. Je crois davantage à l’éducation et à l’explication qu’à l’imposition de doctrines pour faire changer les choses.

    Une situation ironique, comme je me sens moi-même non binaire et ce depuis longtemps, même si le
    concept me pose encore des questions. Ainsi, avec ce troisième genre, ou troisième sexe, comme on le disait au début du XXe siècle, ne fossilisons-nous pas encore plus les deux genres sous lesquels on nous range depuis des siècles ? En étant non binaires, sommes-nous homme et femme ou ni l’un ni l’autre ? Certes, nous sommes perçu.e.s, par habitude, comme homme ou femme, en fonction de notre âge ou encore selon la couleur de notre peau, selon les anthropologues et les ethnologues qui se sont penchés sur les caractéristiques qui, inconsciemment, induisaient notre perception de l’Autre. Mais alors comment faire pour que l’on nous perçoive comme non binaires sans être obligé.e.s de le faire, sans qu’il soit nécessaire de porter une pancarte autour de notre cou indiquant que nous sommes non binaires ? Ce concept de non-binarité met en évidence, et parfois a contrario, un autre duo qui m’a toujours gêné, le féminin/masculin, auquel il est difficile de se soustraire dès que l’on parle de ce que nous sommes. Non binaire, mais avec une expression de soi masculine ou féminine, comme l’artiste que j’ai mégenré.e, le sommes-nous en tout temps, à temps partiel ou selon les contextes dans lesquels nous nous trouvons ou les expériences que nous vivons ? Est-ce que notre identité de genre s’inscrit sur un continuum avec, à chaque extrémité, le masculin à 100 % et le féminin à 100 % et le curseur se déplacerait au gré de nos choix ?

    Enfin, il est aussi question de la fluidité des genres. L’artiste mégenré.e par erreur se définissait comme femme il y a trois ans. Aujourd’hui, iel se présente comme non binaire avec l’obligation d’utiliser le pronom « iel » pour le/la définir (pronoms personnels compléments qui renvoient encore au masculin/féminin, on n’en sort pas). Je souscris à la question de la fluidité du genre, qui peut se manifester au cours d’une vie, mais je n’adhère pas à celles et ceux qui, sarcastiquement, pensent que l’on pourrait, au gré de la journée, changer de genre en fonction de l’heure, de l’humeur, du caprice. Cependant, ne me reconnaissant ni dans le genre masculin ni dans le genre féminin et n’ayant aucun autre mot pour exprimer ce que je suis ou ne suis pas, je suis obligé de le faire par la négation et par l’opposition en relation avec le fameux couple féminin/masculin, devant ainsi positionner mon curseur sur ce continuum et qui ne me satisfait pas. Et puis, même si je clame haut et fort que je suis non binaire, je n’oublie pas pour autant que je suis habité, traversé et construit par d’autres identités qui se
    superposent parfois les unes sur les autres, se mêlent, s’influencent et se teintent. En tant que personne aimant des personnes ayant un sexe masculin, je ne peux aujourd’hui mettre de côté mon âge, mon expérience, ma situation sociale, ma culture, mes origines, qui ne peuvent être soustraites de mon identité construite de non binaire. Pour finir sur une note plus humoristique, quand je me lève le matin et que je me regarde dans le miroir (miroir, oh mon miroir, dis-moi qui est la plus belle), après le passage obligé sur le bol de toilettes, je ne suis ni homme, ni femme, ni non binaire, ni blanc, ni vieux, ni jeune, ni hétéro, ni gai, ni quoi que ce soit. Je suis juste un être humain pressé de prendre son premier café (et sa première cigarette… oui, je sais, j’ai tous les défauts) pour tenter de se mettre au monde, pour tenter d’advenir. Et c’est tout un défi.

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