Il n’y a pas que les bénévoles (ou employés non affectés) qui avaient disparus le matin du défilé, mais peut-être aussi un peu de l’esprit communautaire. On le sait maintenant, l’ancien président du conseil d’administration de la STM, Philippe Schnobb, a été nommé pour faire enquête sur ce qui est arrivé le dimanche 7 août ou plutôt sur ce qui n’est pas arrivé. Panique, déception et nombreuses interrogations devant ce qui semblait impossible, inimaginable, impensable. Le clou de la semaine de Fierté Montréal dégagé en un petit et bref communiqué expliquant que le manque de ressources humaines affectées, la sécurité du défilé ne pouvait pas être assurée.
Circulez, il n’y a rien à voir. Comme toujours dans des circonstances semblables, les réseaux sociaux se sont fait aller. Et on le sait maintenant que depuis le début de leur existence, les internautes qui les utilisent ne font ni dans la dentelle, ni dans la nuance, ce qui en dit long sur le degré zéro de réflexions de beaucoup qui considèrent que l’expression de leur émotion a valeur de vérité. Évidemment, les organisateurs de Fierté Montréal ont été violemment pris à partie, plus particulièrement son directeur général, Simon Gamache — à qui j’exprime toute ma sympathie et ce, quel que soit son degré de responsabilité et d’implication dans ce cafouillage de dernière minute. Il a assumé son rôle de DG sachant qu’on ne l’épargnerait pas, qu’il se ramasserait des tomates sur le coin de la figure. Certains exigeant qu’il rende des comptes sur le champ, genre confession publique. D’autres appelant à son congédiement sans autre forme de procès.
Quant aux raisons invoquées, si certaines réflexions des internautes tenaient la route, d’autres relevaient du pur délire. Emportés par leur colère, et avec la force d’une foi inébranlable, on pouvait lire que c’était voulu d’avance, que le SPVM avait joué un tour à Fierté Montréal, ou même de la part d’une amie que les organisateurs avaient sciemment décidé de se saborder. Pour un peu, on aurait rendu responsables les GAFFAM (N.D.L.R. : l’acronyme des géants du Web Google, Apple, Facebook (Meta), Amazon et Microsoft), les tenants du nouvel ordre mondial, ou encore des menaces d’attaques à saveur terroriste qui auraient fait plier la direction de Fierté Montréal. J’ajouterai de mon côté que les bénévoles attendus ont sûrement été enlevés par des extra-terrestres, ou encore qu’ils n’avaient pas obtenu leur visa pour entrer au Canada.
Je me suis toujours méfié des mouvements de foules, qu’elles soient joyeuses ou en colère. Elles agissent comme une véritable entité dont les codes échappent à la raison. Ici, Gustave Le Bon, (1841-1931), auteur du célèbre ouvrage Psychologie des foules, pourrait s’essayer à une seconde analyse sur la Psychologie des foules… virtuelles. SI la Fierté ne se limite pas à son défilé, il demeure le symbole des revendications LGBTQ2S+ à travers le monde. Sa naissance puis sa reconnaissance n’est pas le fait d’un parti politique, d’une entreprise privée mais de groupes communautaires et d’individu.e.s. Ils et elles ont pris des risques, car question sécurité, leur peur était liée à la répression possible, comme c’est encore le cas dans de nombreux pays.
Le défilé garde en soi ses origines communautaires même si des entreprises et des institutions s’y allient maintenant pour lui offrir toute l’ampleur qu’il mérite. Historiquement, c’est le défilé qui était l’élément central de la fierté avec accessoirement en amont et en parallèle, des éléments festifs et des rencontres entre organismes. Aujourd’hui, il en est devenu l’élément de clôture, le bouquet final certes, mais peut-être un peu dépossédé de sa signification première de manifestation au profit de l’aspect festif et de la visibilité qu’il procure à nos communautés et à ses revendications.
Le temps passant, les organismes communautaires se sont professionnalisés grâce aux subventions diverses reçues leur permettant de mettre en place des programmes de plus grande envergure, d’embaucher du personnel qualifié, et de rejoindre un plus large public, en professionnalisant leur structure et leur fonctionnement. Le côté brouillon des premiers organismes communautaires a disparu et c’est tant mieux. Mais, il y a aussi des bémols. Comme la difficulté de certains organismes à ne pas travailler en silo ou par projets (leur financement reposant souvent sur des projets précis plutôt que sur le mandat général de l’organisme, ou encore à être «en compétition» les uns contre les autres pour l’obtention de subvention ou de soutien corporatif ou sous forme de dons de bienfaisance. Chaque organisme se spécialise dans un domaine d’intervention, ce qui est normal, mais perdant au fil du temps, un regard plus large sur l’ensemble du devenir de nos communautés et des défis collectifs et pas uniquement les défis spécifiques à relever. Les organismes ont des mécanismes de concertation, mais il y a du travail à faire de ce côté.
Si on prend l’exemple du défilé et du ratage du 7 août dernier, celui-ci reste bien sûr un événement communautaire mais qui passe par le truchement de Fierté Montréal qui le prend totalement en charge, en assure l’organisation, recrute les bénévoles pour la sécurité, entre autres, le tout pour le meilleur comme pour le pire. Et si le défilé redevenait l’affaire de toustes, tout en restant sous l’égide de Fierté Montréal, avec une participation et un investissement humain de l’ensemble des organismes communautaires, ne serait-ce pas là une solution qui en assurerait la poursuite et l’évolution à l’image de nos communautés en transformations ?
Car, en fin de compte le défilé n’appartient ni à Fierté Montréal, ni à la Ville de Montréal, mais à toustes, et le communautaire devrait plus s’y impliquer.