On pourrait parler de théâtre complet après avoir assisté (et participé !) à Catarina et la beauté de tuer des fascistes de Tiago Rodriguez. Intelligence du texte, du propos, de la mise en scène, de la scénographie, aux carrefours de la tragédie, du drame, du conte, et aussi d’un peu de la farce. Sans oublier une fin remarquable sommant le public de se prononcer et de devenir acteurs et actrices… Ajoutons la qualité remarquable des comédien.ne.s qui n’ont pas eu peur de se commettre dans des petits moments de bravoure.
Et pourtant, le propos de la pièce est vieux comme le monde. De la tragédie classique avec Antigone de Sophocle, et plus récemment, Les Justes de Camus, les Mains Sales de Sartre et bien sûr Brecht, abondamment cité par Tiago Rodriguez qui suscite une lassitude de la part des personnages, des rires dans la salle mais dont les citations sont comme des repères nécessaires. En résumé, peut-on au nom d’un idéal de justice et de progressisme utiliser les mêmes armes de ceux que l’on combat. Peut-on tuer un ennemi même si sa mort ne changera pas le cours de l’histoire. Ainsi la famille des Catarina, ils et elles s’appellent toustes Catarina, pour respecter les vœux d’une grand-mère décédée et qui a tué son fasciste de mari, tue chaque année un fasciste. Chaque membre de la famille doit tuer son fasciste. Sauf que l’ultime Catarina au moment d’appuyer sur la gâchette est prise d’un doute sur l’utilité de poser un tel geste. Le dilemme alors pour elle s’impose et la confrontation avec les membres de sa famille qui l’exhorte à respecter la tradition. Pendant ce temps, le fasciste kidnappé attend dans l’angoisse une fin écrite.
La force de Tiago Rodriguez tient en reprenant un thème largement visité et étudié par de nombreux auteurs est de l’inscrire dans notre époque actuelle. Catarina et… se situe dans le Portugal d’aujourd’hui et dans le souvenir de la dictature salazariste qui a pris fin en 1974 avec La révolution des œillets et dont on fête cette année les 50 ans. Ceci n’est pas un hasard dans le choix de l’homme de théâtre portugais, Tiago Rodriguez, d’en tirer une fable philosophico-politique et d’y mettre en miroir flou mais présent la montée des régimes autocrates que nous vivons autour de nous. Et de nous poser la question de savoir ce que nous ferions et jusqu’où irions-nous en tant que simple citoyen.ne pour défendre et protéger ce en ce que nous croyons. Et si nous ne faisons rien, devenons-nous des complices des oppresseurs.
Bien sûr, il est question de féminisme, des « minorités » 2SLGBTQ+, de l’immigration, celles et ceux qui sont devenu.e.s les boucs-émissaires dans les discours de droite conservatrice et d’extrême-droite. Et pour mieux nous faire entendre cette rhétorique qui cible des catégories de la population à abattre comme responsables de tous les maux actuels, le fasciste qui doit être sacrifié, se lance dans une interminable diatribe à la toute fin du spectacle ramassant tous les arguments avancés par les tenants de cette droite autoritaire et liberticide. Une harangue à la foule qui n’est pas sans rappeler les discours interminables de certains dictateurs. Cette adresse au public n’en finit pas au point de susciter des réactions du public qui ne sait plus comment réagir. Certains spectateurs-trices applaudissent, d’autres huent, d’autres encore quittent la salle.
Du théâtre complet, réellement. Le public n’est plus un réceptacle passif mais devient obligé de se prononcer. Tiago Rodriguez rappelle comme d’autres que le théâtre n’est pas un lieu uniquement pour se distraire mais qu’il reste ancré dans son époque et qu’il a encore toute son utilité (publique ?). Réjouissant et inquiétant.
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