Le 28 mai dernier, je me suis envolé vers le pays de Cervantès pour admirer la péninsule ibérique avant la canicule, pour sillonner les rues de Madrid, Séville et Barcelone avant l’extrême cohue touristique et pour remplir ma mémoire de la beauté incandescente des Espagnols, qu’ils soient vêtus dans les rues ou un peu moins sur les plages.
Premier constat : la capitale de l’Espagne est magnifique, mais son architecture me fait comprendre qu’après avoir vu Paris, Rome, Londres, Nantes, Bordeaux et Amsterdam, les métropoles européennes me semblent à la fois distinctes et un peu trop similaires. Je savais déjà que je ne m’offrais pas un choc culturel digne de mes séjours en Asie, au Moyen-Orient, au Yukon ou en Amérique du Sud, mais j’avoue être surpris de ressentir l’extase de l’inattendu moins souvent.
Peu importe, je décide de parcourir les beautés des environs en tentant de survivre aux nuages de fumée de cigarette qui planent sans relâche entre les murs des très petites rues. Après avoir englouti une pilule anti-allergies, je rejoins le secteur animé de la Plaza Mayor et de la Puerto del Sol, j’accepte de payer trop chères des lunettes de soleil qu’exigent mes yeux bleus mal équipés pour vivre, j’admire les murs jaune bonheur du Cine Ideal qui me rappellent que je ne m’ennuie pas de l’architecture des Cinémas Guzzo et je m’écroule dans mon Airbnb.
Au réveil, je déjeune avec une baguette et des confitures locales sur la terrasse avant de filer vers le sublime Museo del Prado dont les peintures d’autrefois me laissent quelque peu indifférent. Je passe un sympathique moment avec un ami britannique de passage dans les allées du Jardin botanique qui fait pitié à côté des merveilles florales que j’ai vues à Rio, Singapour, Vancouver et Montréal. Je commence à m’inquiéter du grinch globe-trotter qui semble m’habiter. Heureusement, le parc El Retiro, sa verdure chatoyante et son Palais de cristal enchantent mon regard, font bourdonner mon cœur et remplissent mon téléphone de photos. C’est alors au tour de mon estomac de se remplir des réputés churros trempés dans le chocolat de la Chocolaterie San Gines. Pas de doute : je vais m’endormir avec le sourire.
Après une soirée passée avec des agents de bord canadiens dans le quartier gai de Chueca qui m’apparaît minuscule en comparaison avec le Village montréalais, je me laisse convaincre de faire un tour le lendemain à Toledo. Au terme d’un voyage en train d’une heure, je découvre la vieille ville fortifiée qui a été déposée sur une colline. Je suis ravi. Je transpire ma vie, mais je m’en fous. Le pont de pierres qui me permet d’accéder à la cité me donne l’impression de jouer dans un film d’époque. Je pars en sens contraire des hordes de touristes et je découvre la ville qu’on surnomme la « Jérusalem de l’Ouest » en raison des vestiges chrétiens, juifs et musulmans qui témoignent du passé de ce carrefour des peuples et des religions au Moyen-Âge. Autour de moi, chaque recoin transpire l’histoire et la beauté. J’ai parfois envie de faire disparaître les touristes-qui-avancent-à-pas-de-tortue et ceux qui crachent leur fumée — encore elle — dans mon visage de décalé horaire, mais je me gère. Comme j’avais fait le tour en moins de quatre heures, j’aurais bien aimé ne pas être contraint d’errer jusqu’à mon voyage en train qu’il faut impérativement réserver. Mais bon, je lis dans un coin et je rentre à Madrid.
Voyant que la nature me ravit davantage que la ville, je débute mon séjour à Séville en assumant que je n’irai pas voir deux incontournables : le Palais Alcazar et la fameuse cathédrale. Je sais que les adeptes d’architecture ont envie de me lancer des roches, mais j’assume de plus en plus ma patience limitée envers les artefacts et les églises dont les billets coûtent la peau des fesses. En plus, il fallait réserver longtemps d’avance et j’ai une incapacité chronique à prévoir mon agenda de voyageur dans le menu détail.
À la place, j’écoute ma voix intérieure qui me suggère de marcher au parc Maria Luisa et sur la Plaza de Espana : enfin des lieux d’une beauté suprême où je peux déambuler, lire, admirer les cygnes et les petits canards, sans me presser et sans vendre un rein pour entrer. Ma virée à Séville est également marquée par la joie d’avoir réservé une chambre dans un hôtel du quartier Santa Cruz situé dans la vieille ville, les yeux écarquillés devant le Metropol Parasol (un parasol de bois géant aux formes renversantes que j’ai pris en photo sans payer 15 fucking euros pour accéder à son toit pour admirer le coucher de soleil), un détour sympathique au Mercado de Triana dans le quartier gitan, sans oublier deux soirées au Cube Urban, un endroit réputé pour offrir détente et action entre messieurs de tous les horizons.
Le voyage se poursuit à Barcelone au terme d’un doux trajet en train de six heures à prix raisonnable. Comme je suis hébergé dans le quartier gothique, je parcours ses rues historiques, ses innombrables boutiques et ses restaurants un peu chaque jour sans me lasser. Je visite évidemment la Sagrada Familia avec un audioguide aussi éclairant qu’apaisant, fier de contribuer avec le coût d’entrée à la construction d’une des plus folles épopées architecturales de l’histoire du monde. Je vais aussi du côté du Parc Güell en appréciant les courbes et les couleurs éclatées imaginées par le célèbre Gaudi, sans être nécessairement impressionné. Probablement à cause du grinch qui tape du pied dans ma tête.
Voyageur solo depuis mon arrivée en Espagne, je rejoins un couple d’amis québécois avec qui je me rends vers un lieu qui peuple l’imaginaire collectif homosexuel de la planète : Sitges, cette magnifique station balnéaire réputée pour ses plages prisées des personnes queers friandes de naturisme. Après une journée entière à me faire bronzer, à me demander si je suis mort et directement monté au paradis pour avoir droit à autant de beauté, à remercier l’eau froide de la mer de calmer mes ardeurs et à déconner avec les amis, nous nous dirigeons vers le secteur des restaurants où je commence à sentir mon état basculer. Étourdissements, souffle court, nausées, incapacité à manger : je rentre en train avec les amis qui ont prévu un sac de plastique que je rentabilise au maximum.
Après 48 heures à dormir presque sans arrêt comme un bébé naissant et un détour vers une pharmacie ouverte 24 h en quête d’électrolytes, en slalomant tel un zombie entre les sans-abris et les fêtards, je reprends vie. Je n’ai pas la force de faire les magnifiques randonnées pour accéder à Toledano, au Montjuïc ou aux bunkers près du Parc Güell que je rêvais de découvrir, mais je marche tranquillement — le jour de mon anniversaire — sur le bord la plage Barcelonita, en maudissant la température mélancolico-fraîche d’avoir découragé tous les gais présents à Barcelone de parader sur la plage Mar Bella. Je suis donc rentré au Québec avec des souvenirs qui manquaient de nature et d’aventure, mais qui débordaient de petits moments de joie qui me poussent à vous encourager à vivre l’aventure espagnole.
PHOTOS : SAMUEL LAROCHELLE