Moi, Jeanne à l’Espace Go. Une première mais pas n’importe quelle Jeanne d’Arc, car celle-ci est revisitée par Geneviève Labelle et Mélodie Noël Rousseau, qui nous avaient ravis et enthousiasmés avec deux spectacles réjouissants et libérateurs, Ciseaux et Explosion. Les deux co fondatrices de Pleurer Dans’Douche, ont adapté en français la pièce de Charlie Joséphine, I Joan, et dans laquelle on entend une Jeanne d’Arc non binaire racontée de son point de vue une tout autre histoire.
Figure mythique de l’Histoire de France. La jeune bergère, analphabète, née dans un tout petit village de Lorraine, aurait sauvé la France (en fait la royauté) en prenant la tête des armées de Charles VII avant d’être brûlée par les Anglais avant ses 20 ans. Héroïne, guerrière puis Sainte, tout ce que nous savons d’elle nous est parvenu que par les minutes des deux procès qu’elle a subis, et d’autres rares documents, tous écrits par des hommes. Pour Geneviève Labelle et Mélodie Noël Rousseau ont eu toute une surprise quand elle et iel ont été approché.e.s par la nouvelle directrice artistique de l’Espace Go, Édith Patenaude, qui leur a demandé d’ouvrir la nouvelle saison de ce théâtre qui depuis sa création ouvre ses portes à la création féministe. « Tout un défi pour nous, raconte Geneviève Labelle, et nous avons dû réfléchir à ce que nous pourrions présenter avec bien évidemment pas beaucoup de temps, et c’est là que nous avons pensé au dramaturge Charlie Joséphine qui se définit comme trans masculin et non-binaire, et à sa pièce autour de Jeanne d’Arc ».
En fait, comment s’exprimerait aujourd’hui Jeanne d’Arc et quel serait alors son parcours. « Son histoire a été écrite par des hommes, continue Mélodie Noël Rousseau, c’est à travers leur regard que s’est construite la mythologie autour de ce personnage, comment pourrait-elle aujourd’hui s’émanciper et que nous dirait-elle ». Pas question pour autant de renoncer à la signature de leur compagnie Pleurer Dans’Douche, pour les deux complices, la scène est avant tout un immense terrain de jeu pour bousculer les conventions et les normes et en s’installant dans un théâtre qui est une institution à Montréal, elle et iel souhaitent conquérir un public plus large que celui qui les a suivis depuis leur début.
Bien évidemment, toute l’équipe mise à contribution pour cette nouvelle épopée est composée de femmes, de personnes non-binaires et de queers, une façon pour elle et iel d’œuvrer à renforcer leur présence dans tous les espaces qu’ils soient publics ou comme ici professionnels. « C’est un peu étourdissant parce que c’est une grosse production avec sur scène 12 interprètes, confie Geneviève Labelle, mais c’est aussi très inspirant d’un point de vue créatif ». Si Jeanne d’Arc, le personnage historique, se sort de sa condition de petite paysanne pour devenir cheffe d’armée, son émancipation prend une toute nouvelle trajectoire et la guerre n’est plus le moyen pour elle de s’affranchir de son genre. On se souvient que l’héroïne avait adopté la coupe de cheveux des soldats de l’époque et revêtu leur uniforme, une hérésie pour l’époque. Moi, Jeanne qui se retrouvera sur la scène de l’Espace Go choisira d’autres voies plus jubilatoires.
La force de Mélodie Noël Rousseau et Geneviève Labelle est d’allier le plaisir, la folie, voire le burlesque sur scène, et en même temps de nous fait réfléchir presque à notre corps défendant. Comme le souligne Mélodie à la fin de l’entrevue : « On veut que le spectacle s’invite dans le spectacle, qu’il y ait ainsi plusieurs couches qui se superposent ». Jeanne d’Arc, figure de la guerrière qui s’oppose à l’oppresseur (la norme hétéro patriarcale) nous rappelle que nous devons encore et toujours lutter pour exister tel.le.s que nous souhaitons être mais dans une belle folie enivrante.
INFOS | Moi, Jeanne du 24 septembre au 20 octobre 2024, au Théâtre Espace Go
Texte : Charlie Josephine.
Traduction : Sarah Berthiaume.
Mise en scène : Geneviève Labelle + Mélodie Noël Rousseau.
Une coproduction Pleurer Dans’ Douche + ESPACE GO
https://espacego.com
La pièce «Moi, Jeanne » (et «I, Joan» de Charlie Joséphine dont la pièce est dérivée) était basée sur l’affirmation de Charlie Joséphine selon laquelle Jeanne d’Arc avait choisi de «mourir pour des vêtements masculins» parce qu’elle était prétendument non binaire, ce qui a été démystifiée : les historiens ont souligné que Jeanne d’Arc s’identifiait régulièrement comme la « pucelle des frontières de Lorraine » d’après une vieille prophétie, s’identifiant ainsi clairement comme cette pucelle spécifique et donc s’identifiant sans aucun doute comme une femme ; et plusieurs témoins oculaires ont déclaré qu’elle leur avait dit qu’elle avait continué à porter des vêtements de soldat (les « vêtements masculins » ) en prison afin de pouvoir garder les différentes parties des vêtements « fermement lacées et attachées » pour empêcher ses gardiens de lui retirer ses vêtements. L’huissier, Jehan Massieu, a déclaré que les gardiens l’avaient finalement manipulée pour la faire «rechuter» en lui enlevant sa robe et en la forçant à remettre ses vêtements de militaire, puis le juge l’a condamnée. Elle n’a donc pas choisi de « mourir pour les vêtements masculins ». La description standard de la pièce affirme que la réécriture de sa vie sous la forme d’une histoire fictive serait justifiée parce que son histoire a été « écrite par des hommes », ce qui est absurde pour au moins deux raisons : nombre de ses déclarations ont été écrites phonétiquement dans son discours exact, notamment sa grammaire inhabituelle et sa prononciation dans son dialecte barrois, prouvant qu’elles ont été écrites exactement et qu’elles représentent donc ses déclarations et points de vue réels. Deuxièmement, il est toujours malhonnête d’inventer une version purement fictive de sa vie et de prétendre ensuite que celle-ci représente ses points de vue authentiques. Cela ne trompe personne.
(In English: The play « Moi, Jeanne » (and Charlie Josephine’s « I, Joan » that the play is derived from) was based on Charlie Josephine’s claim that Joan of Arc chose to « die for male clothing » because she was allegedly non-binary, which has been debunked: historians have pointed out that Joan of Arc routinely identified herself as the « maiden from the borders of Lorraine » from an old prophecy, thereby clearly identifying as that specific maiden and therefore identifying as female beyond any doubt; and several eyewitnesses said she told them that she continued wearing soldier’s clothing (the so-called « male clothing » which supposedly makes her « non-binary ») in prison so she could keep the various parts of the clothing « firmly laced and tied » to prevent her guards from pulling her clothing off. The bailiff, Jehan Massieu, said the guards finally manipulated her into a « relapse » by taking away her dress and forcing her to put the soldier’s clothing back on, then the judge condemned her. This wasn’t her choice and she therefore didn’t choose to « die for male clothing ». The standard description of the play claims that rewriting her life as a fictional story is allegedly justified because her history was « written by men », which is absurd for at least two reasons: many of her statements were written phonetically in her exact speech, including her unusual grammar and pronounciation in her Barrois dialect, proving that it was written down precisely as she spoke and it therefore represents her actual statements and viewpoints regardless of whether the scribes were « men ». Secondly, it is always dishonest to invent a purely fictional version of her life and then claim that this somehow represents her authentic viewpoints. That isn’t fooling anyone.)