Un spectacle fortifiant s’il en est. Et l’on quitte la salle avec un regain d’énergie. On aimerait toustes avoir Jeanne comme ami.e pour nous dire comme Jeanne le rappelle à la fin de ce spectacle « En avant ! »
On s’en doute, c’est l’histoire de Jeanne d’Arc mais racontée par le principal intéressé. Jeanne se considère comme un homme dans un corps de femme. Bien sûr, elle a entendu des voix de La Dieu. Mais son combat est avant tout un combat pour libérer les sien.ne.s et les encourager à être eux, elles, ielles mêmes. Et l’on s’en doute, ce n’est ni du goût du Dauphin qu’elle fera couronner à Reims ni de son entourage.
Iconoclaste, parfois grand-guignolesque, ludique, irrévérencieux, drôle, la Moi, Jeanne revisitée par la dramaturge anglaise Charle Josephine dans une traduction de Sarah Berthiaume est une ode à la joie et à la résistance. Un texte qui allait comme un gant aux deux partenaires derrière la compagnie Pleurer dans’douche, Mélodie Noël Rousseau et Geneviève Labelle qui osent bousculer les codes, tous les codes, ceux du théâtre entre autres, comme ceux du genre. Comme le dit Jeanne en tout début de pièce, « Personne ne fitte dans les cases qu’on nous a assigné.e.s ». Le spectacle en devient une belle démonstration.
Sur scène, les 12 interprètes s’en donnent à cœur joie, changeant de personnages tout au long des 2 h et demi que dure la pièce. Geneviève Labelle, dans le rôle de Jeanne, donne le ton dès le début dans un court monologue. Appelée par Une Dieu, ou plutôt quelque chose qui la dépasse, il y a une nécessité d’être avant tout soi-même dans toute sa complexité au plus proche de ce que l’on ressent. Bien sûr, le Dauphin Charles, hilarant sur scène, va instrumentaliser Jeanne à ses fins jusqu’à la trahir parce qu’elle lui fait de l’ombre, il est tellement falot, mais aussi parce que manipulé par sa belle-mère.
On danse aussi sur scène où les scènes de guerre s’inspirent des party rave et la chorégraphie joue sur les deux tableaux de façon remarquable tout comme les scènes de groupe où chacun joue sa partition avec excès et leurs propos n’en sont que plus forts. Si Jeanne finit au bûcher ? Bien sûr, la sorcière, l’hérétique, voir la traîtresse ne peut avoir été inspirée par plus grand et plus haut. Mais par nous, la Moi, Jeanne reste vivante entourée des comédien.ne.s, pour nous adresser une dernière fois la parole.
En tant que spectateur, nous sommes emportés dans cette fausse tragédie-comédie à tout point de vue mais si nous prêtons l’oreille, nous sommes interrogés, si ce n’était pas déjà fait, par la place encore de second plan que l’on concède aux femmes, mais aussi sur l’identité, qu’elle soit sexuelle ou de genre, sur ce désir impérieux – qui doit guider Geneviève Labelle et Mélodie Noël Rousseau – de résister à toutes les injonctions auxquelles on devrait se conformer pour acquérir ce qui est dans nos sociétés le plus difficile, être profondément soi-même loin de tous les diktats masculins.
Alors soyons toustes des Jeanne… et peut-être que le monde s’en porterait mieux. Et pour nous aider à le devenir, c’est simple, aller à l’Espace Go.
INFOS | Moi, Jeanne à l’Espace Go, Jusqu’au 20 octobre 2024. Texte de Charle Josephine, traduction Sarah Berthiaume. Mise en scène : Geneviève Labelle et Mélodie Noël Rousseau
La pièce «Moi, Jeanne » (et «I, Joan» de Charlie Joséphine dont la pièce est dérivée) était basée sur l’affirmation de Charlie Joséphine selon laquelle Jeanne d’Arc avait choisi de «mourir pour des vêtements masculins» parce qu’elle était prétendument non binaire, ce qui a été démystifiée : les historiens ont souligné que Jeanne d’Arc s’identifiait régulièrement comme la « pucelle des frontières de Lorraine » d’après une vieille prophétie, s’identifiant ainsi clairement comme cette pucelle spécifique et donc s’identifiant sans aucun doute comme une fille ; et plusieurs témoins oculaires ont déclaré qu’elle leur avait dit qu’elle avait continué à porter des vêtements de soldat (les « vêtements masculins » ) en prison afin de pouvoir garder les différentes parties des vêtements « fermement lacées et attachées » pour empêcher ses gardiens de lui retirer ses vêtements. L’huissier, Jehan Massieu, a déclaré que les gardiens l’avaient finalement manipulée pour la faire «rechuter» en lui enlevant sa robe et en la forçant à remettre ses vêtements de militaire, puis le juge l’a condamnée. Elle n’a donc pas choisi de « mourir pour les vêtements masculins.»