Dimanche, 19 octobre 2025
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    Pas le temps, ni le moment de se diviser : et pourtant ?

    Deux défilés, deux Fiertés différentes. La rupture est totale entre Fierté Montréal et des organismes LGBTQ2S+. Une « Fierté Indomptable » (traduction peu heureuse de Wild Pride) a vu le jour et tiendra des activités sur trois semaines en parallèle du Festival Fierté Montréal. En toile de fond de cette rupture : le conflit israélo-palestinien.

    Bande de Gaza, Soudan, Yémen… les crises humanitaires se multiplient sans que nous puissions réellement y faire quelque chose, à part crier notre indignation. La situation dans les territoires palestiniens retient particulièrement l’attention des médias, notamment en raison de
    l’interdiction par Israël de l’entrée des convois de denrées et de médicaments à Gaza. On pense aux enfants, aux familles, aux morts à venir. Le Soudan, le Yémen ? On y pense un peu moins. Pourtant, même si les organismes humanitaires y sont présents, les conditions de (sur)vie quotidiennes des populations devraient tout autant nous révolter. En somme, doit-on hiérarchiser l’horreur ? Et en quoi sommes- nous concerné·e·s en tant que communautés LGBTQ2S+ ? En quoi serions-nous plus concerné·e·s que l’ensemble de la population, que nos gouvernements, que les grands patrons de l’industrie ?

    Pas plus ni moins que ces derniers, aurais-je envie de dire. La fête du Canada et la Fête nationale des Patriotes n’ont pas entraîné de dissension autour de la question palestinienne, et pourtant, tant le Canada que le Québec entretiennent des relations avec le gouvernement Netanyahou, et aussi avec des pays musulmans qui financent le Hamas. On pourrait également rappeler que le Canada vend des armes à l’Arabie saoudite, armes utilisées dans le conflit au Yémen. Pas de grand mouvement ici pour demander au gouvernement fédéral de cesser ces ventes, comme l’ont fait d’autres pays, la Belgique et l’Irlande entre autres.

    Au nom de grands principes humanitaires, nombreuses sont les causes aujourd’hui qui pourraient être reprises par les mouvements LGBTQ2S+, en s’appuyant sur le concept récent d’intersectionnalité. Après tout, pourquoi pas ?

    Nous ne sommes pas que lesbiennes, gais, trans, bi, bi-spirituel·le·s ou queers. Nous sommes portés par d’autres identités : culturelles, sociales, politiques, religieuses. Et nous tenons, pour des milliers de raisons, à les préserver, à les défendre… ou à créer des solidarités, comme aujourd’hui avec le peuple palestinien contre l’État d’Israël, ou plus précisément contre le gouvernement actuel d’Israël.

    Et c’est au nom de cette solidarité que l’on voudrait que Fierté Montréal en fasse davantage, si l’on en croit l’article de Mario Girard, paru dans La Presse le 25 mai dernier, relatant une rencontre entre les dirigeant·e·s de l’organisme et des représentant·e·s des groupes dissidents, qui ont décidé, en avril, de ne plus participer à Fierté Montréal.

    L’an dernier, comme dans d’autres Marches des Fiertés à travers le monde, des manifestant·e·s pro-palestiniens ont perturbé les défilés, reprochant notamment, ici à Montréal, la présence de groupes juifs, ou encore les liens que Fierté Montréal entretiendrait avec des entreprises ayant des relations commerciales ou financières, de près ou de loin, avec Israël.

    Dans ce débat, on avance sur un terrain miné. Il n’y a pas de place pour une troisième voix, ou une troisième voie. On est sommé·e de choisir. Si l’on défend la population gazaouie, on se fait taxer d’antisémite ; si l’on ne condamne pas Israël, on devient complice d’un génocide. On se retrouve ainsi pris dans un étau, avec une grenade qui nous explose tôt ou tard dans les mains. Et c’est ce qui arrive à Fierté Montréal. Quelles que soient les décisions prises ou à venir, on lui reprochera toujours d’être complice de l’un des deux camps, sans que cela ouvre pour autant la voie aux convois humanitaires vers Gaza ni à la création d’un État palestinien.

    Bien sûr, il faut s’insurger, protester contre ce qui se passe à Gaza. Mais s’en prendre à Fierté Montréal, est-ce la bonne stratégie ? Ne nous trompons-nous pas d’ennemi ? Pire, aurais-je envie d’ajouter : n’est-ce pas plus facile de s’en prendre à un événement pacifiste, festif, que de bloquer la sortie des usines d’armement, de manifester nuit et jour devant l’ambassade d’Israël ? Que sais-je encore… Plutôt que d’exiger que les organismes LGBTQI2S+ soient plus vertueux au nom de l’intersectionnalité ? Depuis des décennies, dans la controverse et sous les attaques, les groupes LGBTQI2S+ se sont battus pour faire reconnaître leurs droits, pour faire entendre leurs voix — sans prise d’otages, sans attentats, sans guérilla, sans armes pointées sur des ennemis. Devraient-ils aujourd’hui porter toutes les causes, seuls, à bout de bras, au nom de cette fameuse intersectionnalité ?

    Et s’ils ne le font pas, sont-ils pour autant insensibles, déconnectés de ce qui se passe à Gaza ou ailleurs dans le monde ? Ce raccourci est inacceptable. Enfin, est-ce vraiment le moment de jouer la carte de la rupture au sein de nos propres communautés, alors que nous assistons à des reculs impensables il y a encore quelques années ?

    Les droits ne sont jamais acquis, ils sont toujours à défendre. Et nous n’avons pour nous battre que des talons hauts et des paillettes — la fête, entre autres. Elle est une de nos plus grandes armes. Elle invite au partage, à l’inclusion, à la reconnaissance de l’autre avec un grand A. Sans carte d’identité pour prouver son appartenance à une lettre de l’acronyme. Sans exclusion fondée sur les origines religieuses ou ethniques. Comme communautés LGBTQI2S+, nous n’avons jamais tenté d’envahir un pays, nous n’avons pas de fanatiques s’attaquant aux hétéros, nous n’avons pas commandé d’armes à un quelconque gouvernement, ni laissé derrière nous pogroms et camps de réfugié·e·s.

    Certes, Fierté Montréal est un festival. On peut lui reprocher de ne pas être assez militant, assez revendicateur. Mais en coupant les ponts, on ne risque pas de l’amener à en faire plus. Bien au contraire.

    Il est alors facile — sans grand risque et sans grand courage — de s’en prendre à Fierté Montréal. Facile de s’en prendre à un organisme imparfait (y a-t-il un organisme parfait?), certes, mais qui nous permet encore et toujours de résister dans la joie. Et de la joie, nous en avons besoin : elle recharge les batteries, elle alimente l’espoir.

    Pour ma part, étant un trans…fuge de tout côté et de tout bord, sans éducation religieuse, né·e, ayant grandi, puis travaillé dans un monde dominé par l’hétéropatriarcat capitaliste et néocolonial, j’essaie de ne pas me tromper d’ennemis. Et ceux-ci ne se trouvent pas du côté de Fierté Montréal. Loin de là.

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