De plus en plus de gens adoptent une forme de non-monogamie appelée « anarchie relationnelle »… sans nécessairement en être conscients.
Selon une étude réalisée à partir des données de l’application de rencontres non-monogames Feeld, une personne sur deux utiliserait cette approche sans le savoir. Réalisée en partenariat avec l’éducatrice sexuelle et influenceuse Ruby Rare, l’étude montre aussi que les personnes qui pratiquent l’anarchie relationnelle se disent plus honnêtes et respectueuses dans leurs relations.
Pour Ruby Rare, ces résultats montrent qu’une meilleure compréhension des différentes formes de non-monogamie peut renforcer notre réseau de soutien émotionnel : « En apprenant les principes de l’anarchie relationnelle, on ouvre la porte à des relations plus intimes et plus riches, avec une perspective exploratoire plus large, explique-t-elle. Il y a mille façons de bâtir et d’entretenir des systèmes de soutien. Cette approche ne fait pas que contrer la solitude, elle la transforme en une occasion de créer des relations plus authentiques, positives et résilientes. »
C’est quoi l’anarchie relationnelle, au juste ?
L’anarchie relationnelle, c’est souvent une forme de polyamour. Elle applique les principes anarchistes — l’absence de hiérarchie, la liberté individuelle, l’autonomie — à la sphère relationnelle, qu’elle soit amoureuse, sexuelle ou autre. Contrairement à d’autres formes de polyamour, comme la non-monogamie éthique ou le polyamour « table de cuisine » (où toutes les personnes sont proches les unes des autres), l’anarchie relationnelle rejette les règles fixes. En gros, la seule règle, c’est qu’il n’y a pas de règles.
Pour plusieurs, ce n’est pas tant un type de relation qu’une vision philosophique qui guide la façon d’être en relation. L’idée, c’est que chaque lien est unique et ne devrait pas être dicté par des normes sociales. Ruby Rare souligne que les anarchistes relationnel·les établissent leurs propres limites en fonction de ce qui fonctionne pour elleux, plutôt que de se baser sur des modèles prédéfinis d’intimité.
« Les anarchistes relationnel·les considèrent que toutes leurs relations personnelles sont importantes. Chacune répond à des besoins différents, mais peut être aussi intime, significative ou satisfaisante qu’une autre — sur les plans émotionnel, physique ou mental. »
Même si cette approche s’inspire d’une longue histoire de non-monogamie, le terme « anarchie relationnelle » a été popularisé en 2006 par la militante féministe suédoise Andie Nordgren dans un manifeste devenu célèbre.
Selon elle, le but principal de l’anarchie relationnelle est de remettre en question l’idée que l’amour est une ressource limitée. Elle critique aussi les formes d’intimité traditionnelles pour leurs contraintes souvent inutiles.
« Il ne faut pas classer les relations, ni les comparer. Chaque lien est précieux en soi. Une personne n’a pas besoin d’être nommée “partenaire principal·e” pour que la relation soit réelle. Chaque relation existe entre deux individus autonomes », écrivait-elle.
Et si vous en faisiez partie sans le savoir ?
Comme bien des philosophies sociales ou politiques, l’anarchie relationnelle est difficile à définir clairement — et encore plus à appliquer de manière rigide. Pourtant, dans l’étude de Feeld et Ruby Rare, sur plus de 6 000 personnes interrogées aux États-Unis, au Royaume-Uni, en Australie et en Espagne, une personne sur cinq s’est rendu compte qu’elle avait toujours pratiqué une forme d’anarchie relationnelle… sans l’avoir nommé.
Alors, est-ce que ça vous ressemble ? Tout dépend de la définition qu’on en donne.
Dans son manifeste, Nordgren affirme que l’objectif principal est d’éliminer toute forme d’droit acquis dans les relations et de se concentrer plutôt sur le respect mutuel, l’autonomie, l’authenticité et l’autodétermination.
« Ce n’est pas parce que vous avez un passé avec quelqu’un que vous avez droit de regard sur son comportement. Explorez comment être en lien sans franchir les limites ni nier les croyances de l’autre. »
C’est souvent pourquoi les anarchistes relationnel·les sont non-monogames : ils veulent favoriser l’autonomie complète de chacun·e. Cela dit, si un couple monogame choisit ce mode relationnel librement et sans contrainte, il peut aussi s’identifier à cette philosophie.
La grande question, selon Nordgren, devrait être :
« Comment est-ce que vous voulez être traité·e par les autres ? »
C’est à partir de cette réflexion qu’on peut construire des relations qui nous conviennent vraiment.
« Quelles sont vos limites de base et vos attentes envers toutes vos relations ? Avec quel genre de personnes avez-vous envie de partager votre vie, et comment aimeriez-vous que ces relations fonctionnent ? Trouvez vos valeurs fondamentales et appliquez-les à toutes vos relations, sans créer d’exceptions juste pour “prouver” que vous aimez quelqu’un. »
Nordgren insiste dans son manifeste que l’anarchie relationnelle n’est pas parfaite — et ce n’est pas le but. Elle vise plutôt à outiller chacun·e pour comprendre ses besoins et construire des relations à la hauteur de ses désirs.
« L’anarchie relationnelle, ce n’est pas éviter l’engagement, mais plutôt inventer ses propres formes d’engagement, sans se plier aux normes sociales qui dictent ce qu’est “une vraie relation” — comme élever des enfants ou emménager ensemble. Ce qui compte, c’est que ce soit voulu et significatif pour les personnes concernées. »

