Mercredi, 15 octobre 2025
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    Retrouver l’esprit de solidarité… sans rompre

    Chaque été, la Fierté occupe une place centrale dans la vie de la communauté LGBTQ+ montréalaise. Plus qu’un festival, elle incarne un espace de visibilité, de revendication et de rassemblement qui dépasse largement le cadre des célébrations. Pourtant, malgré le succès énorme des événements de l’édition 2025 (voir notre bilan en textes et en photos) où plus de 900 000 personnes ont participées, l’édition qui vient de se terminer a laissé des traces de division : critiques de groupes communautaires, polémiques sur la position adoptée à l’égard de la Palestine et démissions au sein de la direction de Fierté Montréal. Malgré la satisfaction d’une grande majorité de personnes LGBTQ+ quant à l’édition 2025, pour certain.es militant.e, Fierté Montréal se serait éloignée de la diversité des voix de la base militante LGBTQ+. Que faire ?

    Faut-il s’éloigner de l’organisation, créer ou adhérer à des alternatives parallèles (qui seront elles-mêmes imparfaites ou prendront des directions trop radicales) et laisser la structure officielle poursuivre seule son chemin ? Ou faut-il au contraire s’y investir, malgré les désaccords, pour la pousser à s’améliorer? La réponse ne peut faire abstraction d’un fait essentiel : Fierté Montréal, ce n’est pas une entité abstraite ni une machine inhumaine.

    Derrière l’organisation, des personnes LGBTQ+
    On l’oublie trop souvent : Fierté Montréal est composée de travailleur·se·s, d’artistes et de bénévoles qui, pour la plupart, font partie de nos communautés. Derrière le logo, derrière les communiqués, derrières les événements, derrière ce qui semble être une grosse «machine», il y a une équipe de travail composée en majorité de personnes queer qui consacrent toute leur énergie à porter un événement LGBTQ+ gigantesque, qui a un impact exceptionnel à divers niveaux : personnel, communautaire, culturel, social, politique, localement et à l international. Ces personnes vivent — ou ont vécues elles-mêmes — l’homophobie, la transphobie, le racisme ou la stigmatisation. Elles ne sont pas extérieures aux luttes queer : elles en sont les actrices et acteurs, au quotidien. Cela n’excuse pas ce qui peut sembler des erreurs ou un manque d’écoute. Mais cela oblige à se rappeler que les critiques adressées à Fierté Montréal le sont aussi à des individus qui partagent nos combats et qui ont choisi ce travail parce qu’ils et elles croient profondément au pouvoir transformateur de la Fierté. Déshumaniser l’organisation, la réduire à un « monstre institutionnel », c’est injuste pour celles et ceux qui la portent avec conviction et qui souffrent quand l’événement est attaqué. Les oublier, c’est risquer de transformer une critique légitime (parfois exprimée de manière insensible publiquement et via les réseaux sociaux) en rupture inutile. 

    Critiquée mais indispensable
    L’adoption tardive d’une position explicite de solidarité avec la Palestine, bien que saluée par plusieurs, a provoqué des tensions, en particulier avec celles et ceux qui craign(ai)ent de voir la Fierté s’engager sur un enjeu géopolitique polarisant. Certaines décisions — comme l’exclusion temporaire de groupes juifs du défilé, rapidement corrigée, ou encore la gestion des demandes de collectifs militants — ont révélé pour certain.es un manque de transparence et de cohérence. La démission du président du conseil d’administration laisse présumer qu’un malaise existait également à l’interne.

    Si Fierté Montréal attire des critiques, c’est parce qu’elle occupe un rôle unique. Chaque année, elle offre à plusieurs centaines de milliers de personnes — membres de nos communautés, allié·e·s, touristes — et organisations communautaires une vitrine et une plateforme exceptionnelle. Dans ce cadre, s’affiche une pluralité de réalités queer, trans, racisées, migrantes, autochtones et marginalisées, et ce, depuis près de 20 ans. Se retirer de ce terrain, c’est accepter que l’image projetée au grand public risque, par défaut, d’être dominée éventuellement par les partenaires alliés
    organisationnels, institutionnels ou corporatifs, au détriment de voix militantes diverses.

    La responsabilité partagée
    Les groupes communautaires jouent un rpole important pour Fierté Montréal et vice versa. Même de manière critique, il est essentiel que ces groupes choisissent de soutenir Fierté Montréal. Leur implication est la meilleure garantie que l’événement reste ancré dans ses racines militantes. Soutenir ne veut pas dire cautionner aveuglément : cela signifie participer activement à l’organisation, exiger plus de transparence, revendiquer des sièges dans les instances décisionnelles et forcer une écoute réelle. C’est une stratégie de co-construction, où la critique s’accompagne d’une volonté de changement concret. La véritable question n’est donc pas de savoir s’il faut soutenir ou non Fierté Montréal, mais comment le faire. Pour que l’organisation soit plus en phase avec la diversité de la base, il faudrait peut-être miser sur la mise en place de forums communautaires réguliers tout au long de l’année, où les associations et collectifs pourraient s’exprimer librement. L’organisation pourrait aussi rendre publics ses critères de participation et publier dans ces bilans annuels les gestes politiques posés durant l’année.

    Enfin, il serait sans doute bienvenu d’élargir la gouvernance. En parallèle, il faut continuer à rappeler que les positions politiques adoptées par Fierté Montréal — qu’il s’agisse de la Palestine ou d’autres enjeux — ne doivent pas être perçues comme des prises de position identitaires, mais comme des engagements en faveur des droits humains et de la dignité de toutes et tous. Cette cohérence est indispensable pour éviter les malentendus, l’instrumentalisation de la fierté par certain.es et préserver la mission inclusive du festival. La force du mouvement LGBTQ+ a toujours résidé dans la solidarité. Dans les années 1970 et 1980, ce sont les collectifs militants qui ont ouvert la voie. Dans les années 1990, c’est cette même solidarité qui a permis de faire face à la crise du VIH/sida. C’est aussi ce qui a mené à la création de Fierté Montréal en 2007, lorsque Divers/Cité a pris la décision de cesser son défilé de la fierté et sa journée communautaire. Aujourd’hui, alors que les droits des personnes trans et queer sont menacés dans plusieurs pays et ici même, que les divisions politiques traversent nos communautés, il est vital de préserver les lieux communs de rassemblement.


    Fierté Montréal, malgré ses imperfections, reste un de ces lieux. La question n’est pas de l’abandonner, mais de la façonner et de l’influencer, en s’y impliquant activement. Ce n’est qu’ainsi que nous pourrons préserver cet espace essentiel, à la fois festif et revendicateur, capable de refléter la pluralité des réalités LGBTQ+ à Montréal et au-delà.

    Rappelons-nous que la Fierté ne nous est pas donnée : elle est le fruit d’un travail collectif, d’un héritage militant et d’une construction toujours inachevée. Si nous voulons qu’elle demeure un outil de lutte et de visibilité, nous devons pouvoir l’habiter, la critiquer et la transformer. D’ailleurs, reconnaissons qu’elle s’est transformée au fil des ans et s’est dotée récemment d’une structure qui donne aux groupes une voix et une place plus grande. Ça pourrait être mieux encore, aller plus loin ? Évidemment, mais quelle organisation est parfaite ? D’une certaine manière, Fierté Montréal, c’est nous toustes. Et c’est ensemble, dans la critique mais aussi dans le soutien et l’ouverture au dialogue (de tous les côtés) que nous pourrons la rendre meilleure.

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