Jeudi, 28 mars 2024
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    Un pédé chez matante Petrowski…

    Nathalie Petrowski n’a rien contre les gais, mais elle n’a rien pour non plus, loin de là. Pourtant, c’est très amicalement, autour d’un thé pris dans son salon, qu’elle a accepté de répondre à mes questions avec une franchise qui l’honore. Ces réponses sont honnêtes et tranchent sur des discours un peu mielleux, parfois trop sucrés, qui évitent toutes les contradictions. Ici, pas de faux-semblant, Nathalie ne nous sert pas ce genre de soupe. Son questionnement, ses affirmations pourront en choquer plus d’un. Mais à travers cette chronique «nos amis les hétéros», c’est un miroir que nous renvoie les hétéros et, comme chacun le sait, les miroirs sont parfois déformants…

    La première fois?
    Je ne sais plus vraiment. Je me rappelle que la première fois que les Beatles sont passés à la télé, mon père, en les voyant, a parlé de «pédés». Je savais ce que c’étaient des pédés, je devais avoir dix ans. Pédés ou pas, le lendemain, je chantais les chansons des Beatles. Dans ma famille, on parlait de l’homosexualité comme cela, en termes pas très élogieux, mais ce n’était pas non plus un problème. Je viens d’un milieu très ouvert, même si mon père cassait du sucre sur le dos des pédés. Il n’y avait pas de gais dans notre entourage, sauf le coiffeur de ma mère, avec lequel on partait en vacances à Provincetown. Au début des années 70, il y avait une clientèle gaie, mais pas comme maintenant. Je me souviens un soir, de m’être retrouvée dans les rues de Provincetown, cela devait être en 1975, avec mon premier chum. Il n’y avait que des gais et j’ai eu un choc. Je me sentais un peu comme sur une autre planète. J’ai ressenti quelques années plus tard le même sentiment lors de la préparation d’une fête du 8 mars, pour la journée internationale des femmes à l’église St-Louis de France. Il n’y avait que des femmes et parmi elles de nombreuses lesbiennes et j’ai eu comme un vertige. Certaines femmes ressemblaient à des hommes, j’étais toute mêlée. Cela semblait un peu artificiel, je ne savais plus dans quelle culture j’étais, mes repères n’étaient plus là.

    La découverte de l’homosexualité t’a-t-elle fait réfléchir sur ta propre identité sexuelle?
    Non, bizarrement, jusqu’à dix-huit ans, ça n’a pas été une préoccupation. Par la suite, j’ai eu une phase où je me sentais très menacée. J’étais même très agressive envers les gars (gais), parce que je trouvais que c’était une négation de ma féminité, de mon pouvoir de séduction. Dans la vingtaine, on essaie de se mesurer, de séduire, de savoir quelle femme on est. J’étais un peu agressive, parce que cela me faisait chier. Je n’étais pas agressive vis à vis de ceux que je connaissais, mais il n’y en avait pas beaucoup à l’époque. Par rapport aux lesbiennes, c’était évidemment différent. Mon pouvoir de séduction aurait pu marcher, mais en même temps, c’était quelque chose qui m’effrayait et que j’espérais ne jamais connaître. Et jamais je ne serais allée explorer ces avenues-là. Je suis quelqu’un de très straight.

    Tu as un fils encore jeune. As-tu imaginé qu’il puisse plus tard être gai?
    J’ai envisagé cette éventualité. Ma réaction ne serait pas très bonne. Je suis très contente d’avoir un garçon, parce qu’avec une fille, je pensais que ce serait plus compliqué. J’avoue que c’est une inquiétude pour moi et je ne voudrais pas qu’il soit homosexuel. On dit que ça se déclare assez tôt, qu’il y a un paquet de facteurs, mais il reste qu’il y a un problème avec la mère. J’essaie de prendre mes distances par rapport à mon fils, pour ne pas être cette mère couveuse, avaleuse, dévoreuse, qui fait qu’un garçon ne veut plus rien savoir des femmes. Je pousse mon fils vers son père pour qu’il ait un modèle masculin. Je suis très consciente de cela, du problème de l’homosexualité. Ce n’est pas très politically correct de le dire. Mais, entendons-nous, cela ne m’empêche pas de dormir. Simplement, je préférerais que mon fils soit hétérosexuel. Et puis, ça touche mes valeurs fondamentales. Je suis hétérosexuelle et donc, j’aimerais que mon fils le soit aussi, parce que dans l’hétérosexualité, il y a un intérêt, un mouvement vers l’autre qui est différent et pas vers le même. J’aimerais qu’il ait des enfants. Mais je ne suis pas freakée, je n’en fais pas une maladie.

    Tu penses que les parents ou la mère portent une responsabilité dans l’orientation sexuelle de leurs enfants?
    Mais les gais parlent souvent de leur mère et de l’amour presque trop fort de celle-ci. Michel Tremblay, lui, parle souvent de sa mère. Je ne veux pas être cette mère qui empêche. Mon fils est toute ma vie, mais il n’est pas toute ma vie non plus: je ne me réalise pas uniquement à travers lui. Il y a d’autres facteurs qui mènent à l’homosexualité, des facteurs environnementaux, socio-familiaux… Si cela échappe à mon contrôle, je ne serai pas contente. J’imagine, si cela devait arriver, que je m’y ferais et que je vivrais avec. Mais c’est clair que pour mon fils, ce n’est pas le premier choix.

    Comment la journaliste perçoit-elle la communauté gaie et lesbienne ?
    Je n’ai pas de rapport avec cette communauté. En tant que journaliste, ce n’est pas parce que je n’ai rien à reprocher aux gais que je suis toujours de leur bord, tout le temps. Le militantisme gai m’achale beaucoup. Par exemple, la pièce de théâtre Hosanna de Michel Tremblay est géniale, universelle. Mais quand Michel Tremblay raconte ces trucs dans Le Coeur découvert, ça m’ennuie plus ou moins. Les gais qui veulent être matantes, qui veulent une petite vie rangée, le confort petit bourgeois banlieusard, ça m’achale un peu. J’aime beaucoup les pièces de Fraser jusqu’au moment où il essaie de me passer un message. Tant que les gais ont à nous communiquer une sorte d’universalité de l’amour, de la souffrance, etc., je me retrouve là-dedans. Mais je n’aime pas le militantisme en général, ça me tanne. J’ai déjà épousé plein de causes et à un moment donné, j’en ai eu marre parce que ce que tout le monde pense, ça m’emmerde, et j’aime mieux qu’on pense chacun pour soi. Le militantisme gai rejoint tous les autres militantismes. J’ai encore beaucoup de sympathie pour le militantisme féministe, mais je n’en ai plus quand le discours devient radical et qu’il adopte la langue de bois, du style: tous les hommes sont des violeurs. C’est l’idéologie avant la vie. J’ai écrit des chroniques sur les gais et j’en ai eu souvent sur le dos. J’ai de la misère avec les collectifs. Je n’ai aucun problème avec les individus, il y en a que j’aime, il y en a que je n’aime pas, qu’ils soient gais, manchots
    ou verts.

    Du silence des personnalités publiques, gais et lesbiennes, sur leur homosexualité.
    Quand j’écris une chronique, j’essaie toujours de revenir à moi-même, pour dire d’où vient mon point de vue. J’imagine que si j’étais lesbienne, je serais bien obligée de le dire, car je pratique dans La Presse un journalisme subjectif. Je donne mon opinion, et je me dois de dire d’où vient cette opinion, c’est-à-dire d’un individu qui a une somme d’expériences, de connaissances, de cultures. Je ne pense pas que ce soit nécessaire de le dire pour une personne publique. Si elle se cache, c’est son affaire. Je me souviens quand je faisais des portraits dans l’Actualité, j’avais rencontré Yves Jacques. J’ai essayé de lui faire dire, mais il n’a jamais voulu le dire. Je sais qu’il en a depuis parlé lors d’une entrevue avec Denise Bombardier, récemment. Moi, je trouvais cela important, mais je peux comprendre que pour un acteur, ce soit problématique. Il peut penser qu’il sera moins crédible dans un rôle d’hétérosexuel.

    Dans l’autre sens, pour toi, un hétéro est plus crédible dans le rôle de gai?
    Avec plus ou moins de succès. Je suis allée voir Crash de David Cronenberg. Tu t’aperçois que Rosanna Arquette et Holly Hunter, quand elles sont dans la voiture, ne sont pas convaincues. On sent qu’elles ont hâte que le réalisateur dise cut, elles n’en peuvent plus. Mais en règle générale, on se pose moins la question dans ce sens-là. Et je comprends que beaucoup d’acteurs gais préfèrent le taire pour ne pas perdre de leur crédibilité auprès du public.

    Pourtant, certains et certaines franchissent le pas…
    Un des problèmes avec les gais et les lesbiennes, c’est qu’ils sont obligés de «passer aux aveux». Geneviève Paris l’a fait récemment. C’était un peu étonnant, et on avait envie de lui dire «Mais on ne t’a rien demandé !».

    C’est bien une réaction hétérosexuelle, qui refuse de voir la réalité gaie ou lesbienne.
    Il est clair qu’au moment où la personne s’affiche, ça change la perception que les autres ont d’elle. À la minute où elle s’affiche, on ne voit plus que cela. André Montmorency, dans les entrevues, ne parle que de cela et tu le regardes comme un martien qui parle de sa planète. Pour Michel Tremblay, c’est différent, on en parle moins parce qu’il y a longtemps qu’il l’a dit. Quand un gai s’affirme, cela prend toute la place, pour nous, les hétérosexuels. Ça doit
    être bien achalant pour celui ou celle qui vient de le dire.

    Au travail, tes rapports avec les gais.
    Dans le domaine des arts et de la culture, j’ai déjà travaillé avec des collègues gais. Il y en a avec qui je me suis très bien entendue, et d’autres beaucoup moins. Quand tu connais quelqu’un, il cesse d’être gai, c’est un être humain avant tout. Mais je considère que la culture gaie m’est étrangère. Par exemple, des collègues gais avaient vu le même spectacle que moi et je trouvais que nous avions parfois une grande différence d’appréciation. Ce n’était pas une distinction homme/femme. Il y avait quelque chose d’autre, une sorte de parti pris lié à leur homosexualité. Je ne disais rien parce que ça ne se dit pas. Dans le milieu des arts, comme en politique, il y a des gens qui se soutiennent et qui encouragent leurs petits amis. Je me rappelle qu’à une époque, on était tanné parce que toutes les pièces qu’on voyait étaient toutes des pièces écrites par des gais. Beaucoup de filles ressentaient la même chose que moi et je m’en suis plainte ouvertement. Mais ce n’était pas dit, tu n’avais pas le droit de le dire. Même pour moi qui dis beaucoup de choses, je dois reconnaître que c’est un sujet touchy. Si je dois écrire sur les gais, je fais attention, et j’appelle des copains gais que je connais pour avoir leur avis. Je sais très bien que je vais me retrouver avec le lobby sur le dos: vous êtes très bien organisés.

    Les réseaux gais sont-ils si forts que cela ?
    Au-delà de l’organisation de ce groupe, il y a des couches de la population qui sont plus susceptibles que d’autres. Je dirais que les gais en font partie, et surtout les enseignants (Notes de l’auteur: merci, je suis aussi enseignant). Si j’écris une ligne contre eux, tu en as deux mille sur le dos, qui t’appellent, qui t’envoient des lettres de huit pages. J’exprime mes opinions dans un journal et je fais attention à ne pas dire de conneries. On ne veut pas avoir l’air intolérant, homophobe. En même temps, il y a des choses avec lesquelles je ne suis pas d’accord, et je veux pouvoir le dire. Mais je sais qu’ils m’attendent.

    Mais c’est un réflexe de groupe qui se sent attaqué et qui développe une résistance.
    La société québécoise est très tolérante. Elle n’est pas homophobe. Ce n’est pas une société très macho, c’est même plutôt le contraire. Mais sa vision de l’homosexualité ne va pas très loin. En tant qu’hétérosexuels, on est un peu en état de choc quand on voit les images à la télé du party «Black and Blue». Quand on voit les gais en groupe, on va avoir tendance à s’en moquer, parce que cela nous menace dans notre propre choix sexuel.

    Que penses-tu des revendications des gais et lesbiennes pour les droits de reconnaissance de couple?
    Je suis de l’école de pensée qui est pour le droit à la différence. Si l’on est différent, on ne veut pas être intégré. Je ne vois pas l’intérêt de reproduire le même modèle du couple petit bourgeois dans lequel on est enlisé. Le couple est une entité assez limitée.

    En guise de conclusion ?
    Je me considère comme assez ouverte. Mais ce que je dis, il y a bien des gens qui le pensent et qui ne le diront jamais. L’hypocrisie des hétérosexuels me fait chier. Je ne pense pas que pour eux, l’homosexualité soit si cool que cela; je les trouve un peu menteurs. Ça ne veut pas dire pour autant qu’on est homophobe, mais c’est une question qui reste troublante, pas évidente. C’est dommage que les hétérosexuels ne se l’avouent pas au lieu de faire du politically correct, de faire croire que tout va bien, que tout est formidable et qu’on s’adore.

    Mise à jour : Le 19 février 2013, Nathalie Petrowski nous proposait d’écrire une chronique dans Fugues, en guise de réplique à elle même, seize ans plus tard après avoir accordée une entrevue avec Denis-Daniel Boullé. Cliquez ici pour lire ce texte.

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