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    Seize ans plus tard…

    C’était il y a seize ans. Avant Facebook, Twitter et Google, oui, surtout avant Google. J’avais à peine 40 ans, un enfant en bas âge et toute l’assurance du monde lorsque j’ai invité chez moi ce jeune journaliste du Fugues pour parler des gais et de l’homosexualité. Janette Bertrand et Julie Snyder s’étaient prêtées au même exercice quelques mois plus tôt, mais en lisant leur propos, j’avais eu, à tort ou à raison, le sentiment qu’elles n’avaient pas livré le fond de leur pensée sur les gais, pour ne pas nuire à leur image publique. J’étais déterminée à ne pas les imiter.

    C’était il y a seize ans et celle qui a ouvert la porte à Denis-Daniel Boullé était une justicière en mission contre la rectitude politique, une grande gueule qui insistait pour dire tout haut ce que tout le monde pensait tout bas, quitte à dire n’importe quoi, mais aussi une fille sensible qui sentait bien qu’il y avait un malaise hétéro autour de la question gaie et que tout n’était pas aussi rose qu’on le disait. À l’époque, cette fille un peu trop téméraire était loin de se douter que ses propos pas très éclairés, publiés dans le Fugues de janvier 1997, allaient venir la hanter des années plus tard, par la magie de Google et des moteurs de recherche qui refusent d’oublier. 

    Habituellement on écrit pour laisser des traces, mais si j’écris ce billet aujourd’hui, c’est pour tenter d’effacer des propos tenus il y a seize ans et qui ne correspondent plus du tout à ce que je suis ni à ce que je pense. Non, je n’ai pas ramolli ni succombé à la maladie de la rectitude politique. Le temps a tout simplement fait son œuvre. J’ai vécu, vieilli, évolué et compris une foule de choses que je ne comprenais pas à l’époque, la première étant qu’un parent n’a pas à décider pour son enfant de ce qu’il deviendra. Tous les enfants doivent être libres de faire et de devenir ce qu’ils veulent. Tout ce qu’on peut souhaiter pour eux, c’est qu’ils soient heureux et épanouis. Et si j’ai eu le malheur de dire que je ne souhaitais pas que mon fils soit gai, c’était avant tout parce que je ne voulais pas qu’il souffre ni qu’il soit ostracisé par la société. 

    Ce qui m’amène au nœud de toute cette histoire : la société. Celle où je m’exprimais en 1997, et dont je charriais certains préjugés, a changé, beaucoup changé. Et ce ne sont pas seulement les hétéros qui ont changé, les gais aussi ont changé. Ils sont sortis du placard, ont pris leur place un peu partout dans la société, investissant le champ professionnel, le champ politique, les médias, devenant plus à l’aise, plus confiants, moins menacés et sans doute plus attirants. Nous avons appris à vivre ensemble et, oserais-je l’écrire, à nous respecter et à nous aimer davantage. 

    En 1997, il y avait peu de gais dans ma vie et dans mon entourage. 

    Aujourd’hui, ils sont des collègues de travail, des amis, des voisins, des confidents, des patrons. Aujourd’hui, jamais il ne me viendrait à l’idée de dire qu’au théâtre il y a trop de pièces écrites ou mises en scène par des gais, notamment parce que les gais ont énormément contribué à l’évolution du théâtre québécois et qu’ils en demeurent, à ce jour, une voix puissante et marquante. Aujourd’hui, quand je vois des couples gais descendre dans la rue pour revendiquer le droit au mariage ou à l’adoption, je ne vois pas un caprice ou un réflexe petit-bourgeois, comme en 1997. Je vois une revendication légitime qui, tous les jours, devient un peu plus une réalité, même si tout n’est pas réglé et qu’il reste encore beaucoup de chemin à parcourir et de portes à ouvrir. 

    Les temps ont changé. Moi aussi. Alors, de grâce, la prochaine fois que vous consulterez les archives du Fugues, sachez que je ne pense plus ce que je pensais il y a seize ans et que c’est un peu normal, puisque seuls les imbéciles ne changent pas d’idée…

    NATHALIE PETROWSKI, février 2013

    Pour lire l’entrevue d’origine, clique ici.

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