TIRÉ DE NOS ARCHIVES
On ne présente plus Francine Grimaldi. Collaboratrice à La Presse et à Radio-Canada, elle est de toutes les premières. On ne peut manquer ses boubous et turbans colorés qui cachent sa somptueuse chevelure auburn. Le milieu du spectacle, elle est tombée dans la marmite quand elle était petite. Son père, Jean Grimaldi, a été un maître d’oeuvre de la scène et ses tournées font partie de la grande histoire du théâtre au Québec, tout comme le Théâtre National. Les fées qui se sont penchées sur le berceau de Francine étaient danseurs et … gais. Les gais l’accompagnent depuis: elle ne pourrait s’en passer.
La première fois ?
Très jeune. Je suis née au théâtre, et j’ai commencé à faire de la tournée à l’âge de 18 mois, et à 3 ans, je montais pour la première fois sur scène. J’étais toujours entourée, dans les coulisses de théâtres, de chanteurs, de chanteuses, de comédiens, de comédiennes et de danseurs danseuses (rires). Les danseurs de la troupe étaient gais. En fait, les gais ont toujours fait partie de mon quotidien et ça ne m’a jamais dérangée, au contraire. C’étaient des copines au lieu d’être des copains. C’est tout. Plus tard, je suis souvent allée danser dans des boîtes gaies. À l’âge de 15 ans, j’avais le poids et la taille d’aujourd’hui, peut-être pas le poids, mais la taille (rires). J’avais déjà l’air d’une femme, je portais des talons aiguilles, des chignons, des robes moulantes, la gaine qui te fait mourir, et le soutien-gorge qui te remonte les tétons dans le nez. C’était la mode de l’époque. J’allais danser dans des boîtes gaies parce que j’aime danser pour danser. Quand tu vas dans une boîte hétéro, les gars viennent s’essayer, du genre: «Qu’est-ce que tu manges pour être si belle?» Dans le temps, c’était la conversation que les gars te faisaient dans les discothèques. Cela me faisait mourir, je débandais raide, raide. Tandis que dans les boîtes gaies, les gars dansaient avec moi parce que je dansais bien, je dansais avec eux autres parce qu’ils dansaient bien. On ne recherchait que le plaisir de danser. Un de mes meilleurs danseurs, c’était Michel Louvain. On faisait de la tournée ensemble et on se trouvait toujours des places pour aller danser après le show. En fait, je me rends compte que les gais font partie de ma vie. J’ai pleuré les peines d’amour de Michel Louvain autant que s’il avait pleuré pour une fille. Une peine d’amour, c’est une peine d’amour. J’ai vu toute sorte de choses, des hommes aimer des femmes mariées, des femmes mariées avec des homosexuels. Pour moi, tous les goûts sont dans la nature, en autant que chacun est heureux et fait ce qu’il aime.
Est ce que tu t’es posée des questions sur ta propre orientation sexuelle ? As-tu réfléchi quant a celle-ci ?
Même pas. J’ai toujours été attirée par les hommes. Mon père était méditerranéen et mes amants étaient tous latins. Mon premier Québécois, c’était le peintre Jean-Paul Mousseau. Sinon, j’aime bien l’homme latino un peu macho.
Est-ce que tu as déjà été cruisée par des femmes ?
Oui, ça m’est arrivé. Je me souviens que pour mon dix-huitième anniversaire, une amie m’avait entraînée à La Seine en ne me disant pas ce que c’était. Il faisait assez clair dans la place pour que je vois qu’il n’y avait que des femmes. Alors nous, les deux filles, on a pris une table au bord de la piste, et on a dansé. On dansait le twist à cette époque-là. Quand on est retourné s’asseoir, il y a une bonne femme qui m’a invitée à danser. J’ai paniqué en lui disant que je ne dansais pas cette musique-là. Là, elle m’a accrochée, m’a levée de terre et m’a dit : «Viens, j’vais t’apprendre». Ce n’était pas agressif mais très chaleureux. Je n’ai pas de problèmes avec le fait qu’une femme me cruise. Un beau corps de femme est aussi agréable à regarder qu’un corps d’homme, que ce soit au 281, dans un magazine ou dans un film.
Tu ne te sens pas offensée par les lesbiennes ?
Mais non ! Ce qui m’offense au fond, c’est l’hypocrisie, la malhonnêteté, c’est quelqu’un qui ne tient pas sa parole, c’est quelqu’un qui me triche. L’injustice m’offense, il y a des tas de choses qui m’horripilent, m’insultent, me rendent folle de rage et qui pourraient me rendre violente, mais pas les tendances sexuelles de chacun. Qu’est-ce qu’il y a de plus important que la bouffe et le sexe ? Qu’est-ce qui fait ton bonheur dans la vie ? Gagner des millions ? Même les millionnaires se cherchent une bonne bouffe et du bon sexe. Je ne discute pas les goûts de la bouffe de quelqu’un, je ne discuterai pas ses goûts sexuels non plus, en autant que la personne est honnête, correcte.
Du coming out
Quelqu’un de célèbre a le droit de ne pas le dire. Chacun a ses barrières, ses craintes, ses complexes. De plus, les artistes en particulier sont plus fragiles que quiconque. Un homme d’affaires aurait peut-être plus de facilité à l’afficher. Les artistes sont plus perméables aux commentaires, plus faciles à briser. Je les comprends.
N’auraient-ils pas peur pour leur carrière ?
Non, je pense que les gens sont plus ouverts maintenant. Mais si tu as bâti ta carrière en chanteur de charme pour les dames et les demoiselles et que celles-ci ne t’intéressent pas, ton fan club va peut-être baisser. Mais les femmes continuent de suivre Michel Louvain et Serge Laprade et combien d’autres en sachant qu’ils sont gais. Ça n’empêche pas les femmes de les aimer parce que ce sont des gars aimables. Peut-être pas comme à l’époque de Louise et Lison, où les femmes sautaient sur Michel Louvain pour lui enlever sa chemise. Elles se cachaient en dessous du lit ou dans la salle de bains de sa chambre d’hôtel. Elles savent maintenant qu’elles n’auraient pas beaucoup de chances. Mais elles continuent à l’aimer pour ce que Michel leur donne, pour ce qu’il leur apporte. Elles ne disent plus qu’elles aimeraient coucher avec lui comme elles le disent pour ce chanteur populaire, voyons, celui qui est souvent à Los Angeles ou en France…
Rock Voisine ?
Oui, Rock Voisine. Il a construit sa carrière comme chanteur de charme pour femmes et je le comprends de ne pas dire s’il est d’un bord ou d’un autre. De plus, c’est aussi le jeu du mystère de la vedette. Aujourd’hui, les vedettes n’ont plus de mystère. À l’époque de Marlène Dietrich, ou plus récemment avec Diane Dufresne, il y avait un mystère autour des stars. Ça faisait rêver les gens. Et si les gens veulent des stars, c’est pour rêver. Pourquoi les stars devraient-elles dire qu’elles aiment les spaghetti à l’ail ou l’âge des personnes avec qui elles préfèrent baiser. On sait tout de tout le monde, maintenant. C’est dommage pour le show-business.
Mais beaucoup d’artistes ne se font pas prier pour raconter en long et en large leurs bonheurs et leurs déboires dans la presse ou à la télé…
C’est vrai. Il y en a qui se laissent convaincre qu’ils vont rendre service à la société en racontant publiquement par quoi ils sont passés. Les gens vont s’identifier et vont peut-être s’aider à s’en sortir. Si des artistes marchent dans ce marchandage pour étaler leur vie privée pour de l’argent — quoique ce n’est pas très payant —, c’est dommage. Je suis pour la liberté de se livrer, de ne pas se livrer, d’écrire ou de ne pas écrire. Bordel, on perd de plus en plus de liberté, même si nous avons la chance de vivre dans un pays de liberté. Mais on veut nous surprotéger et nous imposer ce qui est bon. Moi, je ne prends pas les interdits. Ça me fait ruer dans les brancards, j’ai l’impression qu’on me prend pour quelqu’un qui n’est pas assez intelligent pour savoir, pour juger, pour choisir.
Tu n’as pas d’enfant, mais aurais-tu eu peur d’avoir un fils ou une fille homosexuel(l)e ?
Heureusement, je n’ai pas d’enfants, mais ça n’a rien à voir avec la peur de l’homosexualité. Si j’avais eu des enfants, j’aurais eu peur de tout pour eux. Peur de les envoyer à l’école et qu’ils se retrouvent face à face avec des vendeurs de drogue, peur de la violence. Certains jeunes sont obligés de s’habiller en guenilles pour ne pas se faire sauter dessus dans les stations de métro. En fait, j’aurais eu peur de voir mes enfants sortir de la maison. La sexualité, sinon la question du sida, aurait été une des dernières choses qui m’auraient fait peur.
Comment vois-tu l’évolution des gais depuis une vingtaine d’années ?
J’ai vécu au Théâtre National, mon ancien quartier, qui est maintenant devenu le Village gai. C’est un quartier très vivant, avec d’excellents restaurants. Je vais souvent manger dans le Village: il y a de très bonnes tables et le personnel est très sympathique. Il y a une vie de quartier gai qui s’est développée, où les gars sont plus à l’aise que dans l’Ouest ou sur la Saint-Denis ou ailleurs. Je trouve que c’est très bien et que ce n’est pas un ghetto, bien au contraire. C’est plus ouvert, on est à l’aise. Les gars n’ont plus besoin de s’enfermer dans le noir, dans des places cachées où on s’échangeait des adresses en cachette.
Et tes rapports avec des gais dans le milieu de la radio ?
À Radio Canada, je travaille beaucoup avec des gais. Je ne peux pas donner de noms parce que la plupart sont encore en poste. Ce sont des gens plus sensibles, plus à l’écoute. Ils ont une sensibilité qu’un hétéro n’aura pas. J’ai beaucoup de plaisir à travailler avec les gais. Ce n’était pas le cas de Joël LeBigot (rires) !