Le travailleur social et militant Matthew McLauchlin souhaite voir la place publique, à l’extérieur de la station Frontenac, nommée en la mémoire du jeune militant gai Joe Rose, assassiné à bord d’un autobus montréalais, il y a déjà trente ans. La balle est maintenant dans les mains de l’arrondissement.
En mars dernier, alors qu’une veillée visant à souligner le 30e anniversaire du meurtre de Rose se tenait au Collège Dawson, le militant Matthew McLauchlin a récolté des signatures pour exiger que l’espace situé entre la sortie du métro Frontenac et la rue Ontario, soit nommé en la mémoire de Joe Rose, un espace qui ne porte pas de nom en ce moment. Il est soutenu dans ses démarches par le frère de la victime, Geoffrey Rose.
Matthew McLauchlin fera officiellement cette demande lors du prochian conseil de l’arrondissement Ville-Marie, le 12 novembre, à la Maison de la culture Janine-Sutto, à deux pas du métro Frontenac.
Rappel de l’agression
Il y a un peu plus de 30 ans, le 19 mars 1989, aux petites heures du matin, le Montréalais Joe Rose et son ami Sylvain Dutil sont montés dans le bus de nuit 358 de la Société de transport de la communauté urbaine de Montréal (devenue aujourd’hui la STM) en direction du métro Frontenac.
Âgé de 23 ans, Rose ne cache pas son homosexualité. Le trait distinctif de cet étudiant du College Dawson (où il a fondé l’association LGBTQ Etcetera, qui existe toujours) était d’ailleurs ses cheveux teints en rose. Il a également un physique frêle, conséquence probable d’une condition médicale précaire. En effet, Rose est non seulement séropositif, mais il enchaîne les pneumonies à répétition.
Tout va bien pour une grande partie du trajet, mais approchant du métro Frontenac, quatre adolescents commencent à insulter les deux amis, les traitant notamment de « tapettes ». Puis, les coups des ados à leur égard s’enchaînent. Si Dutil s’en sort avec des blessures mineures, Rose ne mettra pas les pieds en dehors de l’autobus.En effet, les jeunes le rouent de coups de pieds, le frappent à tête et finissent par le poignarder à mort. Couvert de sang, son ami tente de le ranimer, en vain.
Quant aux meurtriers, on les retrace et procède à leursarrestations. Un adolescent de 15 ans fut condamné à trois ans en garde fermée, un autre fut condamné à 11 mois, alors qu’un autre à six mois. Le dernier accusé, Patrick Moise, fut reconnu coupable d’homicide involontaire (!?!) devant un tribunal pour adultes puisqu’il était âgé de 19 ans. Il reçut une peine de sept ans d’emprisonnement.
Un déclencheur
Matthew McLauchlin est persuadé que le meurtre haineux de Joe Rose a été un point tournant dans la lutte contre l’homophobie au Québec. Il a raison. Ce crime gratuit — à la fois homophobe et sérophobe avant l’heure — a soulevé la colère de la communauté gaie, qui devait déjà vivre dans une ère difficile où elle était pointée du doigt pour la propagation du sida. Sans compter qu’elle était la source d’actions homophobes de toutes sortes. L’histoire de Rose a attiré l’attention des médias locaux et a inspiré de nombreux militants à défaut de rester dans la mémoire d’un grand nombre d’hommes gais au fil des ans. Le journaliste David Shannon, qui écrivait pour le journal Montreal Mirror et qui animait une émission à la radio de l’Université McGill, est l’un des journalistes (avec notre collaborateur Richard Burnett), qui a le plus écrit sur ce sujet dans les années qui ont suivi. Ce sont d’ailleurs les reportages anglophones qui ont été les premiers à mentionner l’aspect homophobe du meurtre et ceux qui ont le plus continué à le rappeler…
La «révolte» au sein de la communauté a commencé à s’exprimer trois mois après le meurtre, lorsque les militants du sida ont pris le contrôle de la séance plénière d’ouverture de la Conférence internationale sur le sida, tenue à Montréal en juin 1989. Jusqu’à cette date, la conférence était un événement réservé à l’élite médicale, pharmaceutique et institutionnelle de la lutte contre le sida, qui avait tendance à réduire les patients atteints du sida à des statistiques.
La section new-yorkaise d’ACT UP, arrivée en bus pour la conférence, s’est joint avec d’autres militants locaux du sida, formant un groupe d’environ 300 personnes. Les manifestants se sont emparés de la scène principale de la conférence, dénonçant «l’inaction» du gouvernement du Premier ministre Brian Mulroney, puis ont publié le Manifeste de Montréal, une déclaration internationale des droits des personnes vivant avec le sida, dont l’ONUSIDA a repris les grandes lignes quinze ans plus tard. L’action des new-yorkais de ACT UP a inspiré les Montréalais à créer leur propre chapitre en janvier 1990. Et le premier geste majeur à Montréal fut de commémorer Joe Rose.
En entrevue quelques années plus tard dans Fugues, Michael Hendricks, l’un des fondateurs d’ACT Up MTL rappelait les événements : «Notre première manifestation publique se devait être en l’honneur de Joe Rose. Nous avons donc organisé une cérémonie au Complexe Desjardins pour souligner le premier anniversaire de son meurtre, le 19 mars 1990.» Une quarantaine de manifestants ont scandé dans les deux langues : «We are Here! We Are Queer! Get Use to It» «Nous sommes ici! Nous sommes bizarre (queer)! Habituez-vous! » Les militants se sont allongés sur le sol à l’entrée du Complexe, simulant la mort, alors que des activistes ont tracé au crayon les contours des «cadavres».

Par ailleurs, notez que la section montréalaise de Queer Nation – nommée Queer Nation Rose – a également été fondée peu de temps après la conférence sur le sida à Montréal, non seulement pour la rendre bilingue, mais aussi comme un clin d’œil à Joe Rose.
Le militantisme de ces groupes a donné le ton à la suite d’un autre jour sombre pour la communauté gaie de Montréal : la tristement célèbre descente de police lors de la soirée Sex Garage, le 14 juillet 1990 au matin, dans un loft industriel situé sur de la Gauchetière à deux pas du légendaire sauna 456.
Malheureusement, le meurtre de Joe Rose est par la suite tombé dans l’oubli presque quinze ans. En 2014, le Collectif Carré Rose Montréal décide de souligner le 25e anniversaire de sa mort dans le cadre de la journée de lutte contre l’homophobie.
Matthew McLauchlin identifie justement Joe Rose comme le catalyseur du mouvement des droits LGBT à Montréal. Non seulement il a marqué les esprits de militants d’une communauté aux prises, en même temps, avec la propagation du sida et la stigmatisation qu’elle entraîne, mais la triste fin de Rose ainsi que la descente au SexGarage donneront naissance, entre autres, à l’organisme Dire enfin la violence (1995 à 2002) cofondé par Roger LeClerc, Claudine Metcalfe, Michael Hendricks et Douglas Buckley-Couvrette.


Appel à la mobilisation :
Ce mardi 12 novembre 2019 aura lieu le conseil d’arrondissement de Ville-Marie à 19 h à la Maison de la culture Janine-Sutto (Maison de la culture Frontenac), au 2550, rue Ontario E, Montréal (Québec) H2K 1W7.
Il y aura le dépôt d’une demande pour nommer la place publique de la station de métro Frontenac à la mémoire de Joe Rose, victime d’un meurtre homophobe en ce lieu le 19 mars 1989.
Vous aussi, vous croyez que l’on devrait rendre hommage à la mémoire de Joe Rose? Demandez aux élus du secteur leur appui pour réaliser ce projet.
Valérie Plante, mairesse de la Ville de Montréal :
montreal.ca
Sophie Mauzerolle, conseillère de la Ville et conseillère associée :
ville.montreal
Robert Beaudry, conseiller de la Ville et membre du comité exécutif :
ville.montreal
Cathy Wong, conseillère de la Ville et Présidente du conseil de Ville :
montreal.qc.ca