Fière d’être femme

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Julie Vaillancourt
Julie Vaillancourt

Si être femme au sein de l’acronyme LGBTQ+ n’est pas toujours chose facile, être fière d’être femme est encore plus difficile. En ces temps de célébrations, je demande souvent aux personnes que j’interviewe, si elles se rappellent leur première Fierté. Pour ma part, je me souviens plus particulièrement de mon premier défilé; je tenais la main de ma blonde en marchant dans la rue et les gens nous applaudissaient! (À bien y penser, les étaient probablement destinés aux gars musclés sur les chars ou aux flamboyantes drag queens…ou encore aux courageux danseurs du Club Bolo!) Dans tous les cas, c’était magique de pouvoir défiler librement dans les rues, en affichant nos couleurs. Un esprit festif sans pareil, celui de faire partie d’une communauté, de se regrouper malgré nos différences, sous ce même parapluie afin de se préserver de l’hétéronormativité.

Ça, c’est la réalité de quelqu’un qui vit la Fierté de l’extérieur. De l’intérieur, lorsque vous êtes impliqué dans la communauté depuis plusieurs années, active au sein de plusieurs organismes, que vous côtoyez les réalités quotidiennes de plusieurs membres de l’acronyme LGBTQIA2S+, on voit moins l’arc-en-ciel. Loin de moi l’idée de sonner négative. Depuis le début du nouveau millénaire, les progrès législatifs au Québec pour les personnes LGBTQIA2S+ sont notoires, même avant-gardistes. Certes, l’égalité sociale reste à parfaire. Concernant les femmes, ajoutons des 25 cents… Depuis que je suis toute petite, on m’a dit (*ou plutôt la société, comme les individus qui la composent, me véhicule – consciemment ou non – par le biais de diverses manifestations sociales et percepts ancrés) que j’étais moins forte physiquement que les hommes, que j’étais vulnérable, que je devais être protégée. Que ma féminité devait être exacerbée pour être regardée, objectifiée. Que mon apparence serait ma porte d’entrée en ce monde. Que je doive me battre plus fort que n’importe quel autre homme pour obtenir un poste convoité (ou coucher, c’est selon). Que je devrai assurer la continuité de l’humanité en mettant au monde une progéniture, sans pour autant clamer le caractère unique de la maternité, de mon utérus, de ce travail (lire méchante job) qui vise à donner la vie.

Sans pour autant me plaindre, réclamer un salaire égal à l’homme. Et si je « choisis » de ne pas procréer ou adhérer au rôle de mère, je serai jugée, telle une demie/mauvaise femme. Sans jamais, au grand jamais, exprimer trop fort mes ambitions ou mes désirs. Sans jamais nommer ou parler de mon sexe (de mon vagin, de ma vulve, de mon clitoris, etc.) En revanche, la phallocratie vénère le sexe opposé sur toutes les tribunes. Je m’arrête ici, uniquement parce que j’ai un nombre limité de mots! En gros, être une femme, c’est gérer (subir) ces réalités au quotidien, depuis la petite enfance. Vous aurez beau être progressiste et féministe, c’est ce qu’on vous a inculqué dès l’enfance (et ce que les contextes sociopolitiques et médias mainstream renforcent, dans bien des cas, encore aujourd’hui en 2021). Cette image de la femme devient souvent indélébile; c’est comme se regarder dans un miroir sans se reconnaître. Lorsque vous êtes une femme qui aimez une autre femme, la règle mathématique s’applique à l’exposant 2.

Loin des médias mainstream, des célébrations « grand public », il y a la réalité du communautaire, vécue au quotidien par les acteurs de notre communauté. Si les femmes sont invisibilisées par la société, en général, il en est de même à l’intérieur de la communauté. De ce fait, on voit très peu les multiples réalités des femmes, bien que les réalités LGBTQ+ soient en vogue dans le discours public. D’ailleurs, lorsque La Presse s’y intéresse, les membres de la communauté répondent présents, avec raison, dans la mesure où s’afficher auprès du grand public est une forme de démystification de nos réalités. Or, lorsque des membres de notre communauté (qui se sont élevés grâce à la communauté dans une certaine mesure) profitent de la tribune médiatique des grands médias, mais « n’ont pas le temps » de parler aux médias communautaires (alors qu’ils trouvent bien sûr le temps de parler aux grands médias) c’est, à mon sens, un peu oublier d’où l’on vient. C’est comme oublier de donner au suivant. C’est obtenir le témoin du coéquipier au relais 4x100m, en oubliant de le donner au coureur suivant, pour finir les 200 mètres tout seul et obtenir la gloire à la ligne d’arrivée. Au-delà de ma métaphore, je trouve que personnellement, l’esprit du communautaire et du travail d’équipe se perd un peu.

Nous sommes à l’époque de la glorification du nombril, où une personne part avec le relais, car elle est la saveur du mois sur les médias sociaux ou à la TV. Certes, le travail d’équipe, n’est-ce pas l’histoire des communautés marginalisées? L’Histoire de l’évolution n’est jamais l’histoire d’une seule personne! Et la communauté LGBTQ+ n’y échappe guère. Lorsque je regarde les lesbiennes qui ont été aux côtés des gais lors de l’épidémie du VIH/SIDA dans les années 80, ou encore les lesbiennes qui ont été aux côtés des militantes hétérosexuelles pour l’avortement, je considère que ça, c’est du vrai travail d’équipe, c’est travailler pour la cause et non pas pour sa gloire. Là, j’éprouve une énorme fierté pour ces femmes et notre communauté ! Ça, ce sont des modèles d’entraide desquelles nous pouvons être fiers!

Ainsi, à la question : « Que représente la Fierté pour vous? ». Je répondrai, une grande fête importante, qui accorde souvent trop de place, encore aujourd’hui, aux mêmes acteurs… Il y a certes une honorable intention de représenter tout le monde, une diversité ethnique, sexuelle et de genre, mais également une volonté de décloisonner le genre, voire de le faire disparaitre. Et ça part d’une bonne intention. Certes, parole de femme : neutraliser ou supprimer le genre, n’efface pas la stigmatisation, la discrimination, le patriarcat, les violences sexuelles et psychologiques desquelles les femmes sont victimes, au quotidien. Les organismes en défense collective des droits en savent quelque chose. Entendez-moi bien, j’aime le FIerté. C’est une belle célébration colorée, les drag queens sont plus présentes sur scène que les femmes (à savoir qu’une drag queen, pour reprendre l’idée de Magritte, n’est pas une femme, mais la représentation d’une femme) puisque nous sommes ici dans le contexte du spectacle. D’ailleurs, parlant d’égalité et de représentations multiples, je cherche encore les drag kings… Demandez-vous, un instant, pourquoi on ne les voit pas davantage. – « Miroir, miroir, pourquoi voyons-nous toujours le même reflet? »

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