Lundi, 7 octobre 2024
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    Éloge de la nuance

    Je suis peut-être un des seuls qui aura aimé les périodes de confinement. En fait, cette retraite imposée m’aura donné l’occasion de renouer avec d’anciennes passions souvent remisées à « quand j’aurai du temps » : la lecture, l’écoute de grandes œuvres musicales et le temps de prendre le temps de penser dans un monde où tout est fondé sur l’action-réaction, le tout en une fraction de seconde, avec les conséquences désastreuses que l’on connait. Prendre le temps de penser en silence loin du brouhaha parasitant de l’actualité.


    Ainsi, dans cette fameuse polarisation, on se retrouve soit du côté des « complotistes » (ces derniers rejettent cette appellation) ou des « woke », de ces naïfs aveugles et sourds aux dangers qui nous menacent. Chacun se retrouve dans des tranchées qui ne cessent de s’allonger et de nous séparer, de nous fossiliser dans notre façon de penser, voire de repenser le monde en dehors de toute réflexion.

    Et cette réflexion commencerait tout naturellement en remettant en question nos fameuses certitudes et en prenant conscience qu’elles nous enferment et nous rendent imperméables à d’autres idées. Et cela demande beaucoup plus de courage que de jeter des anathèmes et des injures sous le coup de l’émotion sur les réseaux sociaux ou de tout simplement laisser tourner le moteur de son compagnon, accompagné de grands coups de klaxon devant un parlement pour, soi-disant, se faire entendre.

    La polarisation est devenue une religion, grâce entre autres aux réseaux sociaux. Je n’ai rien à dire, je ne connais rien, mais j’ai le droit de m’exprimer même si le plus souvent je ne fais qu’exposer aux yeux des autres la médiocrité de mes connaissances et l’indigence de ma réflexion. Avec cet exutoire par lequel on peut enfin vomir nos frustrations, on peut se donner le sentiment d’exister et de participer à ce que l’on croit faussement être l’agora de la démocratie. Mais on est plus proche de la fosse septique que d’une assemblée censée penser notre vie collective. On pourrait peut-être se calmer un peu et, pour paraphraser le père de la nation François Legault, y aller mollo. 

    Aujourd’hui, il faut être pour ou contre et bardé de certitude comme un bon gros rosbif avant de passer à la casserole. On se prend au pied levé pour des réformateurs sociaux, alors que nous en sommes les premiers fossoyeurs. On le voit avec la pandémie, les antivax et les anti-antivax, chacun défend ses positions avec acharnement et campe avec détermination sur ses positions. Il est pourtant bien difficile, avec un peu de recul, de s’affirmer dans l’un ou l’autre des camps. Le brouhaha médiatique et institutionnel, ainsi que les avancées et les reculs des stratégies pour venir à bout du virus imposeraient beaucoup plus de prudence à la population, qui est comme moi néophyte en matière d’épidémiologie et de politiques de santé publique. D’autant plus qu’aussi bien dans la communauté scientifique que parmi celle des décideurs, des voix divergentes se font entendre, qui ne peuvent se réduire à la défense des grandes entreprises pharmaceutiques ou à la méfiance à leur endroit pour les premiers, ni à des calculs électoralistes pour les seconds.
     
    Je suis triple vacciné, j’ai respecté à la lettre les consignes sanitaires et je ne suis jamais sorti sans mon condom facial (Oups… mon masque !), ce qui me rangerait du côté des provax, mais je ne suis pas sûr que toutes ces mesures aient été et soient si efficaces et qu’elles ne viennent pas réduire parfois inutilement nos libertés. Cette dernière assertion ferait-elle de moi un antivax ? Dans le doute, je choisis le silence et j’évite de me prononcer avec la foi du charbonnier sur un phénomène que je ne domine pas. J’ai pris le choix de la pandémie comme exemple, car c’est le sujet brûlant des derniers mois, voire des dernières années, mais on pourrait l’appliquer à bien d’autres sujets.

    Entre autres, politiquement. Ces dernières années, un vent conservateur ne cesse de souffler et de s’amplifier dans nos sociétés, un vent qui aurait tout compris et qui balaierait par son passage la complexité de notre monde. Je parle bien évidemment de cette droite réactionnaire qui a réponse à tout et qui tisse des liens parfois par de fragiles poils de cul, pour montrer qu’il y a des responsables à ce que nous vivons, qu’on les connait et qu’on doit les détrôner. Une fameuse petite élite multimilliardaire qui aurait des ramifications aussi bien dans le monde des médias que dans les gouvernements qui leur seraient soumis. Dans leur panier, la mondialisation, le grand capitalisme, les compagnies pharmaceutiques, le transhumanisme, le féminisme, les minorités culturelles et, bien sûr, les LGBTQ+. Pour ces adeptes du grand remplacement ou du grand reset, comme aiment le dire les Français, tout progressisme social ferait partie de la même engeance. En tant que LGBTQ+, nous serions au moins des victimes soumises ou, au pire, les complices de ce grand bouleversement grâce à la force des lobbies LGBTQ+. (On ne rit plus !)
     
    Et revient en tête le mythe de l’homme fort qui, par la grâce d’un quelconque Dieu, remettrait de l’ordre dans la basse-cour. Le visage de Trump se dessine en fond de scène, comme d’autres qui se croient mandatés par un quelconque message divin de partir en croisade pour nous délivrer du mal, pour entendre celles et ceux qui n’ont jamais eu par essence de se voir accorder le pouvoir, à quelques exceptions près — les femmes, les minorités culturelles, les LGBTQ+ — le tout assaisonné d’un peu et parfois de beaucoup d’antisémitisme.

    Les idéologues de cette droite réactionnaire se font entendre de plus en plus fort. Parlez-en à Erin O’Toole et au Parti conservateur du Canada. Dans leur programme, pour éliminer celles et ceux qui dérangent, nous sommes en première ligne. Bien sûr, on ne parle pas de camps de concentration, nous ne sommes pas des Ouïghours, mais on nous renverrait au placard, martelant que l’homosexualité et le transgenrisme relèvent du privé, de l’intimité et qu’ils ne doivent pas se retrouver sur la place publique. Il en va de même pour les femmes, critiquées pour leur mollesse quand elles exercent des responsabilités politiques, ou encore qui sont la cible de propos violents en France contre les élues ou qui voient leur accès à l’avortement réduit aux États-Unis. À ceci s’ajoute, bien évidemment, une lutte acharnée contre l’immigration, qui participerait au grand remplacement, et ce, même si nos tout premiers ancêtres étaient noirs.
     
    Bien sûr, il peut y avoir des préoccupations louables chez celles et ceux qui adhèrent peu ou prou à cette idéologie d’extrême-droite, comme la pauvreté, l’écart de plus en plus grand entre les riches et les pauvres, les profits honteux de certains, les paradis fiscaux, les scandales de corruption qui frappent certains politiciens ou encore l’éthique élastique de certains d’entre eux, leur compromission pour des raisons économiques avec des dictatures à travers le monde, ou encore leur inaction face à des enjeux cruciaux. L’eau du bain est trouble, mais doit-on jeter le bébé avec l’eau du bain pour la remplacer par une eau pure et claire, mais vide de toute vie ? Je n’ai jamais eu la foi du charbonnier et, pour faire miens des propos tenus par Albert Camus, j’ai toujours étouffé parmi des gens qui pensaient avoir absolument raison.

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