En 2016, la comédienne Sophie Cadieux s’appropriait le dernier texte écrit par Sarah Kane quelques temps avant son suicide et publié un an plus tard, Psychose 4.48. Une œuvre complexe, éclatée et dense dans laquelle le metteur en scène, Florent Siaud, a choisi de mettre en lumière toutes les facettes. La pièce est reprise pour une semaine au théâtre Prospéro, une chance unique de découvrir une dramaturge dont l’unicité de son écriture théâtrale nous rejoint toustes. Et c’est à cet aspect que se sont attachés Sophie Cadieux et Florent Siaud.
Beaucoup de critiques considèrent l’œuvre de Sarah Kane comme désespérée, la longue exposition d’une malade mentale qui se perd dans son propre labyrinthe existentiel. Bien évidemment, le fait qu’elle se soit suicidée en laissant derrière elle ce dernier texte, Psychose 4.48, renforce cette image. Hors, ce constat lapidaire ne résiste pas à une lecture plus fine qui nous amène à aux confins d’une pensée – certes torturée – mais où les lumières d’espoir et même de joie cohabitent avec des idées plus sombres. Comme le résume bien Sophie Cadieux, en entrevue, reprenant les mots de la dramaturge : «Je ne veux pas mourir, mais je suis tellement déprimée à l’idée d’être mortelle que j’ai décidé de me suicider».
On ne peut sortir indemne de Psychose 4.48. Que l’on soit le public ou la comédienne qui relève le défi. «En reprenant le texte, je me rends compte à quel point le personnage n’est pas si loin de nous, nous confie Sophie Cadieux, peut-être en raison de ce que nous avons vécu avec la Covid-19, et combien les thèmes que l’on retrouve dans la pièce nous sont devenus plus familiers avec des mots qui font aujourd’hui partie de notre vocabulaire, comme l’anxiété, la dépression, la solitude, la médicamentation, et notre impuissance parfois à changer les choses».
Florent Siaud et Sophie Cadieux nous proposent alors un voyage intérieur en nous tendant un miroir et chacun pourra alors se voir et ressentir sa propre fragilité et à travers laquelle peut naître aussi l’espoir. Pour arriver à ce résultat, le metteur en scène a travaillé longuement avec la comédienne à partir de lectures d’ouvrages, d’articles, qui recoupent les préoccupations et les interrogations de Sarah Kane. «Dès la première lecture avec Florent Siaud, celui-ci voulait montrer quelque chose de solaire dans le texte de Sarah Kane. Il voulait utiliser l’espèce de candeur que je pouvais apporter. Il voulait que je sois comme un diamant noir qui brillait, une force de vie qui menait vers la mort, continue Sophie Cadieux. Cela m’avait donné une direction pour aborder ce texte-là. Et nous continuons à réinterroger la pièce. Avant chaque répétition, Florent Siaud et moi, nous discutons à partir de nouvelles lectures qui viennent élargir encore notre perception et notre compréhension de l’œuvre, et nous enrichissons et multiplions les pistes de lecture, en fait, c’est sans fin tant l’écriture de Sarah Kane est riche».
On peut alors ressentir dans Psychose 4.48 l’exposition de la souffrance intérieure de chacun, une souffrance qui peut être occasionnelle, éphémère, ou constante de notre difficulté d’être, du combat plus ou moins facile pour rester en vie. En fait, de se poser la question sur ce que signifie être un sujet. «Florent Siaud et moi voulions faire entendre sa grande intelligence, sa grande lucidité, car ce n’est pas un soubresaut vers la mort, mais un soubresaut pour quitter la vie», conclut Sophie Cadieux.
INFOS | Psychose 4.48 de Sarah Kane, au Théâtre Prospero. Du 15 au 22 mai 2022