Militantisme pour sortir de la torpeur ?

0
747

Dans une chronique à venir, je reviendrai sur la question du genre, de la non-binarité et du phénomène du « mégenrage », mais je préfère attendre que la poussière retombe, que les esprits se calment et que chacun prenne un peu de recul. Cette polémique met en évidence l’opposition entre une posture très militante qui a marqué les luttes LGBGTQ2S+ et celle d’aujourd’hui, plus axée sur le service social et « l’individuel ».
 

Dès les années 1970, dans les pays occidentaux, des mouvements gais et lesbiens (on parlait peu de trans, de bi et d’autres catégories) ont axé leurs actions sur la question des droits, exigeant la disparition de lois discriminatoires et réclamant des mesures de reconnaissance et d’égalité, jusqu’à la longue marche vers le mariage des couples de même sexe et l’accès à la parentalité. Un trajet qui a été suivi par les organismes LGBTQ+ au Québec.

 
Bien évidemment, à l’intérieur de ces mouvements qui prenaient leur place au sein de la société, les stratégies à adopter ne faisaient pas l’unanimité. Dès le milieu des années 1980, des dissensions sont apparues entre celles et ceux qui voulaient forcer les gouvernements à agir vite, alors que d’autres privilégiaient la politique des petits pas, préférant attendre ce qu’on appelle aujourd’hui l’acceptation sociale. Les deux groupes avaient, dans un certain sens, raison : il fallait d’un côté faire parler de nous, conquérir l’espace public, et de l’autre, évaluer si l’opinion publique était ou non de notre côté. Il est vrai qu’aujourd’hui il n’y a plus de grands enjeux fédérateurs qui nous demandent de monter aux créneaux. Le mariage et l’homoparentalité ont été reconnus, les lois discriminatoires abolies, chacun peut rentrer chez soi et mener une vie semblable à celle de la famille cis et hétéro de la porte d’à côté. Ceci explique en partie la fin du militantisme tel qu’il était au siècle dernier. Plus besoin de manifester après une descente de police dans un bar gai, la police nous laisse dorénavant tranquilles.


Chacun.e peut enfin ranger ses talons hauts et ses paillettes, et ne les ressortir que lors de Fierté Montréal. C’était peut-être le souhait de nombreux.ses LGBTQ+ de devenir enfin semblables à la majorité et de ne plus faire tache dans le portrait. Certain.e.s, au contraire, crient à l’assimilation et à la disparition de ce qui fondait notre identité ou, pour être plus juste, nos identités. Cette reconnaissance sociale et juridique avait laissé de côté des minorités à l’intérieur de la grande famille LGBTQ et, depuis une décennie, on tente de rectifier le tir et de leur faire la place qui leur revient de droit.

 
De militant.e.s prêt.e.s à en découdre avec les autorités, qu’elles soient politiques, juridiques ou encore médicales, les groupes communautaires existants et ceux qui se sont créés dans la foulée sont devenus des porteurs de la bonne parole. On désirait aller à la rencontre de la société pour lui faire connaitre nos réalités et l’inciter à changer sa perception des minorités sexuelles en défaisant les uns après les autres les préjugés et les stéréotypes à notre égard.

 
Il est vrai que pour obtenir des subventions, il faut démontrer que l’on ne s’occupe pas uniquement de notre petit nombril et que les missions que chaque groupe se donne sont tournées vers la population québécoise en général. Il fallait éduquer, démystifier, sensibiliser, etc., dans toutes les sphères : le monde du travail et de l’éducation, le système de santé, la police, etc.

 
Et comme les relations avec les décideurs n’ont jamais été aussi bonnes et que les gouvernements sont prêts à se pencher sur les minorités sexuelles, allant même jusqu’à ouvrir un Bureau de lutte contre l’homophobie et la transphobie et à établir un plan d’action gouvernemental quinquennal, tout va bien dans le meilleur des mondes. Bien sûr, à la marge, il reste encore des zones d’ombres, mais on espère avec le temps. Et bien sûr, il y a des angles morts. Si on peut se féliciter de cette harmonie, on peut aussi en voir les limites. D’une part, dans la mesure où les groupes communautaires sont financés en tout ou en partie par le gouvernement, il devient plus difficile d’oser critiquer la structure qui tient les cordons de la bourse. D’autre part, le financement par projet met les groupes communautaires en compétition, chacun travaillant dans son coin pour faire partie de ceux qui toucheront la timbale. Et comme l’exercice est à refaire chaque année, la solidarité, sauf exception, passe au second plan. Chacun joue souvent pour sa propre équipe, ce qui empêche parfois de développer des alliances entre les différents groupes. Dans les coulisses, surtout pas sur la place publique, certains groupes moins chanceux dans cette course au financement se demandent si l’on ne devrait pas revoir les critères dans la sélection des projets à soutenir par le gouvernement.

 
Tout n’est pas rose. D’ailleurs, lorsque je rencontre chaque nouveau ministre de la Justice, qui est aussi responsable du Bureau de lutte contre l’homophobie et de la transphobie, je suis souvent porteur des doléances de certains groupes. De Stéphanie Vallée, en 2014, jusqu’à Simon Jolin-Barrette, j’ai fait part de ce qui coinçait aux entournures. Comme de demander un financement permanent pour les organismes. Comme de rappeler aussi que tous les ministères, et pas seulement celui de la Justice, doivent s’engager dans la lutte contre l’homophobie et la transphobie. Si certains le font, d’autres demeurent particulièrement absent… Chaque ministre de la Justice m’a assuré qu’il et elle y pensaient. Ils et elles y pensent encore.


Au printemps 2021, nous devions avoir le nouveau Plan d’action gouvernemental de lutte contre l’homophobie et la transphobie. Il a été reporté à l’automne 2021, puis à l’automne 2022 après les élections d’octobre prochain. La pandémie serait-elle la seule responsable de ce retard ?

 
Enfin, il y a aussi le silence assourdissant des organismes communautaires québécois sur la question des réfugié.e.s LGBTQ, qu’ils et elles soient en attente d’une décision au fédéral ou qu’ils et elles soient à l’extérieur du pays. Plusieurs personnes m’ont écrit ou même abordé dans le Village pour me faire part de leur déception. Certain.e.s me font remarquer à juste titre qu’il existe un organisme, le Conseil québécois LGBT, qui chapeaute les organismes communautaires qui y adhèrent. S’il constitue l’un des principaux relais des demandes faites au gouvernement, il reste en revanche particulièrement silencieux dans la sphère publique. Certes, il regroupe des organismes communautaires pour les représenter auprès des décideurs. Il n’en demeure pas moins que les organismes communautaires ne travaillent pas uniquement pour leur propre survie, mais bien pour l’ensemble des personnes LGBTQ, indépendamment de leur engagement ou non. Il serait peut-être bon que ce qui se passe dans les relations avec les décideurs soit connu, de même que les enjeux que l’on doit faire avancer. Actuellement, nous vivons dans un entre-soi confortable, bien mérité après des années de lutte, cependant il ne faut surtout pas s’endormir sur nos lauriers. Un retour du militantisme et d’un véritable contre-pouvoir qui viendrait secouer le petit confort communautaire et la bonne conscience de nos élu.e.s serait souhaitable.

LEAVE A REPLY

Please enter your comment!
Please enter your name here