Être à la mode

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Julie Vaillancourt
Julie Vaillancourt

Aujourd’hui, même les hétéros ont envie de dire qu’ils sont queer, non binaires, bisexuels ou fluides, bref, qu’ils sont « ouverts » quant à leur sexualité. Ce n’est pas une mauvaise chose d’être ouvert, au contraire, selon moi une sexualité épanouie comporte son lot d’expérimentations et d’ouverture à l’autre, mais l’orientation sexuelle et l’identité de genre sont-elles devenues des « phénomènes de mode » ?


Je sais, vous êtes peut-être déjà en furie à la lecture de ce paragraphe, mais il n’en demeure pas moins qu’au moment d’écrire ces lignes, en juin, le mois que l’on considère comme celui des Fiertés, en Amérique du Nord du moins, en référence aux émeutes de Stonewall du 28 juin au 3 juillet 1969, me donne l’impression de vouloir « vendre » la saveur du mois… Au niveau des offres de la presse, c’est la folie de la Fierté LGBTQ+ ! Pourquoi ne pas couvrir la nouvelle initiative de la dernière drag queen à la mode ? Ou encore un documentaire « queer typique » sur un jeune américano-asiatique dans sa quête de l’amour ? Encore mieux, pourquoi pas célébrer ce mois de la fierté avec une nouvelle chaine musicale SiriusXM et des émissions spéciales en l’honneur de la communauté LGBTQIA+ ? TikTok radio annonce même des conversations avec des « pionniers de la fierté » tout le mois de juin.
(J’ai hâte de voir par qui Gilbert Baker va être remplacé…) Parlant de drapeau, le monde politique
affiche également son « ouverture », alors que le 1er juin dernier, pour marquer la saison des Fiertés, avait lieu la levée du drapeau de la Fierté sur la Colline parlementaire à Ottawa. Puis, dans ce monde de la consommation, le drapeau est remplacé par des écouteurs aux couleurs irisées, alors qu’une marque et un OSBL s’associent pour lancer les écouteurs Inequality Crusher (Broyeurs d’inégalités) en édition limitée pour aider à financer les programmes de santé mentale LGBTQIA+…


Est-ce le prix à payer en ce mois des Fiertés ? Ce que je veux dire par là c’est qu’on n’est pas loin du lobby gai dont parlait jadis Éric Duhaime. (Comprenez-moi bien, je suis loin d’être fan d’Éric Duhaime, ou de ses politiques « conservatrices » ; j’ai d’ailleurs bien de la misère à croire que les camionneurs plus conservateurs qui scandaient la « libarté » voteraient pour un gai… mais ça, c’est une autre histoire.) J’avais le goût en ce mois de juillet de parler de la Fierté, puisque nous sommes à mi-chemin entre ce « mois des Fiertés » et la Fierté Montréal qui se déroulera en août dans la métropole. Aussi marketing que soient les deux initiatives, avouons-le, et aussi critique puis-je être, je ne peux m’empêcher de penser que toute cette visibilité est positive, dans la mesure où elle participe à rendre visible la communauté LGBTQ2S+ — bien sûr, toutes les lettres de l’acronyme ne sont guère visibles également — et à favoriser son acceptation dans la sphère publique au quotidien.


Quand j’ai commencé à écrire pour le magazine Fugues (il y a une bonne quatorzaine d’années), je me souviens que lors de la couverture d’évènements les attachés de presse ne nous couraient pas après pour nous proposer une entrevue avec leur nouveau poulain gai. Au contraire, par exemple, il ne fallait surtout pas parler « de (sa) sexualité » à Mika… Sans le taire, il ne fallait cependant pas trop le mentionner, ce n’était pas bon pour le marketing, pour vendre des albums, vous comprenez ? Ce n’était pas à la mode d’être sexuellement différent. D’être une personne LGBTQ+. D’être hors des cadres hétéronormatifs. Il y a un peu plus d’une décennie, quand j’ai débuté l’enseignement au collégial, je faisais mon coming out en classe. Pas pour me trouver une blonde, ou parce que j’étais cool. Non. Parce que mon curriculum était tellement gai, qu’en dix secondes n’importe quel élève aurait pu tomber sur mon orientation et la dévoiler ou en jaser entre deux cours ; je préférais faire taire les rumeurs et me outer moi-même. Et aussi démontrer, il y a plus de dix ans, rappelons-le, qu’on pouvait être bien avec soi-même, vivre une vie épanouie en étant une femme homo-sexuelle et parler de sujets LGBTQ+ en classe.


À l’époque, c’était stressant de faire mon coming out, voire courageux. Aujourd’hui, c’est loin d’être le cas : en disant que je suis lesbienne, j’affirme carrément une banalité aux yeux des élèves. Une étudiante m’avait même dit, il y a quelques années : « Oui, mais la prof de français, elle, elle est trans ! » C’est là que je me suis rendu compte qu’on était sur une échelle de popularité des diversités sexuelles et de genres. Et que, moi, avec mon orientation sexuelle lesbienne, j’étais à 1/10. Sans blague, mettre le tout sur une échelle de popularité est complètement désolant, voire ignorant : l’orientation sexuelle et l’identité de genre sont deux choses bien différentes ! Les personnes LGBTQ2S+ font partie d’une diversité, certes elles font face à des réalités bien
différentes qu’on ne peut guère comparer ! Certes, dans ce monde de marketing on ne fait plus vraiment la différence…


Dans un monde d’influenceurs et de marketing où tout s’achète, la visibilité est devenue la pierre angulaire du mouvement LGBTQ2S+. Exister, c’est être vu. Être vu, c’est militer. (Permettez-moi d’en rire.) Plus vous êtes vue, plus votre existence est légitimée. En fait, plus c’est payant, plus c’est important. On mélange toutes les réalités de l’acronyme sous un même étendard, d’autant plus lors du mois des Fiertés, et ce, sans trop expliquer ou éduquer sur ce que cela représente vraiment. Les identités deviennent monnayables. Elles se vendent et se publicisent, comme tout autre produit. Elles sont la saveur du mois et se remplacent, comme tout produit. Est-ce que le mois des Fiertés perdra un jour de sa saveur ? À suivre…

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