Me Alice Nkom : une femme de tête et de cœur

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L’avocate camerounaise Alice Nkom a reçu le prix Janette-Bertrand de la Fondation Émergence, le 8 juin dernier, des mains même de Janette Bertrand, présente lors de l’événement. Alice Nkom est venue à quelques reprises à Montréal et ce n’est pas la première fois qu’elle accorde à Fugues une entrevue. Elle a de nouveau rappelé l’importance de se préoccuper des minorités sexuelles en Afrique. Première femme avocate au Cameroun en 1968, elle n’a cessé depuis de défendre les droits des personnes LGBTQ dans son pays et sur les tribunes internationales.

Vous êtes la première femme au Cameroun à avoir exercé le métier d’avocate ?
Alice Nkom : Je pense que je n’ai pas eu beaucoup de problèmes, parce que j’ai compris tout de suite que l’on pouvait dépasser des barrières devant l’intelligence, le travail et la détermination. Quand j’ai eu envie de devenir avocate, j’ai quitté mes études de droit à Toulouse parce que je voulais avoir un diplôme camerounais, je voulais être fière d’être détentrice d’un diplôme de mon pays. En 1968, munie de mon titre d’avocate, j’ai commencé à frapper à toutes les portes de bureau d’avocats. Le premier bureau était tenu par des Français, mais ils m’ont refusé sous prétexte que j’étais trop jeune. Ce bureau existait depuis 1926 et avait donc ouvert ses portes en pleine colonisation [l’indépendance du Cameroun remonte au 1er janvier 1960, NDLR]. Le seul avocat qui m’a accueillie m’a avertie que je pouvais travailler chez lui, mais qu’il n’était pas en mesure de me payer. J’ai accepté dans la mesure où j’étais logée chez mes parents et j’avais été tellement blessée par tous les autres bureaux qui m’avaient refusée que je me suis mise à étudier la nuit les dossiers de ce bureau pour démontrer que j’étais capable.
 
En tant que femme, vous ne pouviez échouer, vous étiez condamnée à l’excellence ?
Alice Nkom : Absolument, j’ai toujours eu cela en tête, sachant que si j’échouais ce serait terrible. Je n’ai jamais perdu cela de vue. D’autant que l’on disait à cette époque qu’une femme qui travaille comme avocate ne serait pas épousable. C’était complètement fou. Donc je savais que j’étais un miroir et que je renvoyais une image qu’il fallait briser et j’ai ouvert des portes puisqu’aujourd’hui, au Cameroun, sur les 4 000 avocats, plus de la moitié sont des femmes.
 
Quand avez-vous commencé à vous intéresser plus spécifiquement aux femmes et aux
minorités sexuelles au Cameroun ?

Alice Nkom : Dès le début, je me suis intéressée aux femmes et à leurs droits. À l’époque, il y avait un parti unique au Cameroun, l’UPC (Union des populations camerounaises) et il y avait une section de femmes où l’on s’intéressait au sort des femmes au Cameroun. Je me suis tout de suite engagée dans la protection des femmes pour les défendre dans des causes de divorce, de garde des enfants, de pension alimentaire, de droits des veuves. Et, bien sûr, les femmes venaient me voir. Sauf une fois où j’ai reçu la visite d’un mari qui voulait divorcer. Il m’a dit qu’il avait décidé très vite de me prendre comme avocate avant que sa femme ne me choisisse… (Rires.) En 2003, j’ai décidé de m’intéresser aux droits et à la sécurité des LGBT parce que, entre autres, aucun avocat ne voulait les défendre. Les gais arrêtés arrivaient en salle d’audience, généralement enchainés deux par deux, sans défenseurs. On sentait qu’ils voulaient qu’on les juge le plus rapidement possible pour partir le plus vite possible. Mais à cette époque-là, les condamnations n’étaient pas sévères, un mois avec sursis. C’est ce que je voyais. Au Cameroun, être homosexuel.le ou transgenre n’est pas illégal, c’est l’acte qui constitue le crime. Il s’agit donc d’une violation flagrante de leurs droits humains.

Ils devraient immédiatement être libérés. Et puis un jour, je reçois la visite d’un gars dont je connaissais très bien les parents, accompagné d’un ami français. Je me rends compte qu’ils étaient plus que des amis et je les mets en garde contre les dangers d’être homosexuels au Cameroun, que l’homosexualité était une infraction. Et en même temps, je me suis interrogée en me disant : mais je suis une rabat-joie qui préférait mettre en garde plutôt que de changer les choses. C’est là que j’ai commencé le combat.
 
On peut assister à un changement aujourd’hui ?
Alice Nkom : Bien sûr, un grand changement, car pour moi c’est un combat des droits de l’homme et cela ne devrait pas se trouver dans le Code pénal du Cameroun. J’ai donc monté une association et j’ai déboursé de ma poche pour mettre l’avocate que je suis au service de cette cause. L’association s’appelle Défense de l’homosexualité, sachant qu’une telle association serait mal reçue. Il fallait que l’association, pour être légale, soit autorisée et le préfet avait deux mois pour l’accepter ou l’interdire, car elle pouvait constituer un trouble à l’ordre public et une atteinte aux bonnes mœurs. Mais je n’ai pas attendu deux mois et j’ai demandé à rencontrer le préfet. Je suis arrivée dans son bureau avec la Constitution sous le bras et lui ai dit à peu près ceci : que l’homosexualité n’était pas un délit, mais au contraire qu’elle devait être soumise au régime de la protection, et ce, au plus niveau de l’État. Il y a un changement, car aujourd’hui des personnes homosexuelles et transsexuelles inculpées
peuvent être correctement défendues, ce qui n’était pas le cas il y a 20 ans et, dans la plupart des cas, ces personnes sont relaxées. Mais dans les premières années, j’ai été menacée, on me lançait des pierres, je recevais des lettres de menace et parfois je devais engager des « gros bras » pour me protéger quand je me rendais dans un tribunal. Ce n’est plus le cas aujourd’hui.

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