Pour beaucoup, le FTA est un rendez-vous attendu chaque année. Du 22 au 5 juin prochain, une vingtaine de spectacles se retrouveront sur diverses scènes montréalaises, mais aussi dans des parcs de la ville. Depuis sa création, le FTA tient à partager l’effervescence des créations culturelles qui émergent aussi bien en Afrique, en Amérique du Sud et dans les Caraïbes et qui auraient plus de difficultés à se retrouver dans la programmation régulière des salles d’ici.
La 18e édition ne se fond pas sous un thème précis même si, comme le précise en entrevue la codirectrice artistique Jessie Mill, des lignes de force se dessinent : « Nous ne choisissons pas les spectacles en fonction d’un thème choisi, mais on se rend compte qu’une fois la programmation arrêtée, des thèmes se rejoignent, se recoupent. » En ce sens, il n’y aura pas de dépaysement pour le public puisque les préoccupations de notre temps se retrouvent encore une fois déclinées dans de nombreuses variations nées de l’imagination d’artistes, eux aussi bien ancré.e.s dans les enjeux actuels. « On y retrouve la question de la famille et de celle que l’on s’invente, continue Jessie Mill, des nouvelles technologies, de la présence du plus qu’humain, ou du non-humain, et pour la danse, l’accent est mis sur la relation avec l’autre, avec les autres. »
Bien sûr, beaucoup des créations approchent de près ou de loin les questions de l’identité de genre, de la place des femmes, ou encore des difficultés d’appartenir à une minorité sexuelle ou de genre dans des pays marqués par le conservatisme, où l’intolérance est une pratique quotidienne.
Pour le spectacle d’ouverture, la danse, le théâtre et le chant se trouvent réunis par l’artiste libanais Ali Chahrour pour présenter une fresque familiale mêlant deux histoires qui se répondent, Du temps où ma mère racontait. Il y est question de l’absence, de l’attente, du deuil, de l’acceptation du chagrin, le tout porté par l’espoir et l’amour. La voix de la chanteuse Hala Omran, la chorégraphie d’Ali Chahrour lui-même ou encore celle de la tante du créateur, Leila Chahrour et d’autres comédiens, nous emmènent dans un récit inscrit dans l’histoire actuelle, celle de ces jeunes hommes qui partent à la guerre et dont la famille souhaite et attend, dans la peur et l’angoisse, le retour.
Du 22 au 24 mai, Monument-National
Autre création majeure d’un bientôt habitué du festival, Catarina et la beauté de tuer des fascistes, de Tiago Rodrigues. L’actuel directeur du Festival d’Avignon avait marqué le FTA en 2015 avec By Heart, puis en 2017 avec un remarquable et improbable Antoine et Cléopâtre, tant la proposition était osée. Avec Catarina et la beauté de tuer des fascistes, la question centrale est de savoir si l’on peut tuer froidement, pour contrer la montée du fascisme. Ici, chaque année, une tradition familiale veut que l’on rappelle la mémoire de Catarina Eufémia, ouvrière agricole assassinée sous la dictature de Salazar il y a plus de 70 ans. Et cette commémoration revient à la dernière de la famille qui doit tuer un fasciste kidnappé pour l’occasion. Acte de résistance, ou simple crime ? La question mérite d’être posée et l’on ne pourra s’empêcher d’apercevoir les fantômes d’Albert Camus ou encore de Bertold Brecht, qui ont entre autres écrit sur le crime de sang-froid commis au nom d’une idéologie.
Du 26 au 28 mai, Place des Arts, théâtre Jean-Duceppe Côté danse, place aux femmes. Des chorégraphes qui viennent de Côte-d’Ivoire, de France, d’Océanie, des États-Unis, d’Uruguay et bien évidemment d’ici. Des chorégraphes qui osent, bousculent codes et conventions, défient les genres aussi, et pour certain.e.s revendiquent l’épithète queer sans aucun complexe.
À titre d’exemples, Prophétique (on est déjà né.e.s) de la chorégraphe Nadia Beugré nous plonge dans l’univers des personnes trans d’Abidjan. Le soir, elles montent sur scène et s’exposent, le jour, elles retournent à la clandestinité. Nadia Beugré les met en scène au plus près de leur vie, avec les paillettes et les faux cils, tout en n’oubliant pas leur quotidien beaucoup moins glamour, bien au contraire. Malgré l’exclusion et la violence auxquelles elles sont confrontées, Nadia Beugré tient à ce que ses six interprètes portent aussi la liberté et l’espoir.
Pour les chorégraphes de la scène locale, Catherine Gaudet présentera Ode, une procession qu’elle qualifie de pop-païenne, alors que Clara Furey exhibe son Unarmoured, un voyage au cœur du désir et de l’érotisme. Et l’on peut ajouter à cette liste la proposition du chorégraphe Sébastien Provencher, Floreus, qui s’interroge sur la représentation du corps queer.
Côté théâtre, outre la pièce de Tiago Rodrigues, un détour s’impose par le théâtre Prospero et le Centre du Théâtre d’Aujourd’hui, si vous êtes encore en quête de thématiques qui touchent nos communautés. Dans le premier, Safia Nolin et Philippe Cyr, directeur artistique du Prospéro, se livreront sur scène, avec Surveillée et punie, à un exercice d’exorcisme de l’exclusion. En chansons, Safia Nolin s’appropriera et retournera l’injure, s’imposera dans l’espace qu’on lui refuse. Au Centre du Théâtre d’Aujourd’hui, une proposition plus intimiste mais tout aussi percutante, Sur tes traces, de Dany Boudreault et Gurshad Shaheman, la rencontre d’un Québécois et d’un Iranien qui croisent leur histoire respective de gai dans des contextes culturels, économiques et religieux différents. Et qui croisent aussi leur voix puisque chacun racontera l’autre dans un dispositif à découvrir. Dans un monde qui tente d’opposer de plus en plus les identités nationales et religieuses, des passerelles peuvent se construire en se fondant sur les ressemblances et en s’enrichissant des différences.
On ne pourrait conclure ce premier aperçu du FTA 2024 sans faire mention des spectacles et performances ouvert.e.s à toustes, dont Multidud de la chorégraphe uruguayenne Tamara Cubas. Sur la place des Festivals, 75 personnes de tous âges et tous horizons se laissent aller collectivement dans une danse jubilatoire. Peut-être pouvez-vous encore vous inscrire pour être du party. Pour la chorégraphe, tout projet se fonde sur l’agentivité, la différence et la dissidence. Dans un registre plus intimiste mais tout aussi original, l’artiste et performeuse anglaise Sonia Hughes construira une petite maison dans des places publiques de la ville.
I am from Reykjavik, une performance et une rencontre avec le public où l’on tentera de répondre à la question : on est d’où, de là où l’on vient où de là où nous vivons ?
INFOS | Festival TransAmériques, du 22 mai au 5 juin 2024 https://fta.ca
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