Mardi, 10 septembre 2024
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    Prophétique (on est déjà né.es) : Danser entre l’ombre et la lumière

    Qui sont-ils, elles, iels ? La nuit, la scène devient leur lieu de prédilection, le jour iels sont coiffeus.e.s. Iels habitent Abidjan, des marginal.e.s, des clandestin.e.s dans une certaine mesure, méprisé.e.s par la population. La chorégraphe, Nadia Beugré, leur donne le premier rôle dans cette chorégraphie qui célèbre la différence mais surtout rappelle aussi le courage de celleux qui cherchent à s’inventer et à exister. Prophétique (on est déjà né.e.s) laisse alors ces interprètes non professionnel.le.s accompagnées de danseurs d’Abidjan livrer leur belle folie. Une ode à la différence.

    Qu’on ne se trompe pas, Nadia Beugré, qui souhaite ouvrir la scène aux «échoué.e.s», comme elles les appelle, porte aussi un regard sur ce que c’est qu’être une chorégraphe noire en occident, sur le regard que l’on porte sur elle, mais aussi sur ce que c’est qu’être noire aujourd’hui dans une culture marquée encore par la colonisation.

    Dans le cadre du FTA, la chorégraphe d’origine ivoirienne avait présenté en 2022, L’homme rare, sur le corps masculin, magnifié tel que les colons le percevaient comme avant tout force de travail à bon marché. Des hommes nus sur scène qui défaisaient et déjouaient tous les mythes autour de ce corps, qui évoque tout à tour l’animalité, la virilité exacerbée, mais qui suscite aussi de la peur. Il apparaissait important, pour la chorégraphe de réfléchir sur la perception des hommes noirs par les occidentaux, mais aussi comme en miroir, comment les hommes noirs se construisaient face aux clichés et aux stéréotypes qui leur étaient renvoyés. Avec Prophétique, c’est vers les plus méprisé.e.s de nos sociétés qu’elle tourne sa création, les personnes trans.

    Méprisé.e.s, pas seulement en Côte-d’Ivoire, en Afrique mais souvent aussi en Occident. Et cette création signe aussi le retour de Nadia Beugré dans son pays d’origine après avoir vécu longtemps en France. Et bien sûr, la chorégraphe afroféministe s’est intéressée à la situation des femmes avant de découvrir les «coiffeuses», qui deviennent le soir des drag-queens. Ce qui a suscité l’intérêt de Nadia Beugré. Une fois installée la confiance entre la chorégraphe et ces artistes improbables pour les amener ailleurs — car iels rêvent mais ne croient pas aux chimères —, un véritable travail de création a pu commencer. Non sans difficulté, toujours selon la chorégraphe qui revient sur les étapes qui ont conduit à Prophétique, car ces reines de la nuit ont tout un passé marqué par leur histoire individuelle, un chemin marqué par le rejet, la violence, la peur. Et c’est aussi ces parcours qui intéressaient Nadia Beugré. Sur scène, un salon de coiffure, où les six interprètes venues des bars d’Abidjan côtoient des danseurs professionnels, et par le corps et le mouvement, peuvent porter une voix différente, mais au fond qui rejoint l’universel si nous nous attardons.

    À son retour à Abidjan, Nadia Beugré a créé une formation artistique Entr’Ailes pour montrer aux femmes que les champs dans lesquelles elles peuvent s’épanouir est beaucoup plus large même si cela demande beaucoup de courage. Il y a pour elle une création féminine africaine qu’il faut défendre, soutenir, montrer. Pour casser un autre mythe qui voudrait que pour les femmes africaines, «la réussite c’est d’avoir un salon de coiffure».

    INFOS | Prophétique (on est déjà né.es), Chorégraphie de Nadia Beugré.
    Spectacle présenté par Fugues, au Monument-National, Salle Ludger-Duvernay,
    les 28,29,30 mai 2024. https://fta.ca

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