Jeudi, 16 janvier 2025
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    Retrouver la folle en soi ?

    Sortons un peu des discours ambiants, propres sur eux, bien pensés, mais qui, à longue, sont lassants. Dès les débuts des mouvements LGBTQ, de ceux qui sont apparus sur la place publique, se dessinait une fissure qui deviendrait à la longue une fracture. Mais que cherchait-on à la fin ?

    Il fallait bien se débarrasser des lois discriminatoires, accéder à une égalité de droits comme le mariage, et être reconnus à part entière dans l’espace social. Certain.e.s espéraient qu’un jour leur différence et leurs amoures longtemps condamnées se fondent dans le reste de la société et s’accordent aux normes hétérosexuelles et bien sûr patriarcales. D’autres se voulaient des réformateurs sociaux qui redéfinissent les rôles, et qui enterreraient définitivement toutes les conventions sociales existantes responsables de nos malheurs.  
     
    Je ne prendrai pas la parole à la place des lesbiennes, des trans et autres, je ne toucherai (sans mauvais jeu de mots) qu’aux gais.
     
    Trop longtemps considérés comme des folles, des sous-hommes, relégués au rang de fausses femmes et pour ses raisons détestées par les mâles hétérosexuels qui ne se privaient pas et ne se privent
    toujours pas de tabasser les gais, une tendance est née dans les annéessoixante-dix et qui perdurent aujourd’hui, de se prouver qu’on était de vrais hommes comme les autres. On a multiplié les signes extérieurs de masculinité, un abonnement dans un centre de gym, la barbe et/ou la moustache, virilité que l’on soulignait par des vêtements choisis. Ainsi on mettait en valeur une virilité reconquise en mettant en valeur ses cuisses de taureau, des pectoraux saillants, s’efforçant d’entrer dans des jeans ultra serrés, que l’on appelait aussi des moule-couilles tant il magnifiait le sexe masculin. Le fantasme du corps viril, n’était plus qu’à une portée d’haltères.

    Mais c’était aussi une quête de respectabilité, puisqu’ainsi transformé nous ne nous faisions plus
    remarquer par le commun des mortels. On a tous entendu un jour un ou une collègue s’exclamer : «Tu es gai ? Comment ça ? Mais ça ne se voit pas !» Le bon côté de la chose, c’est que nous pouvions marcher dans la rue la nuit sans recevoir un lot de moqueries dans le meilleur des cas ou se faire tabasser dans le pire des cas. Un retour à l’invisibilité, un premier pas vers l’effacement. Le bouchon a été poussé plus loin car aujourd’hui, beaucoup de gais demandent que leur partenaire d’une nuit (ou de quelques minutes) ou d’une vie corresponde à ce modèle. Pour éviter toute confusion, certains précisent dans leurs profils : folle s’abstenir. Bonjour la discrimination et peut-être, j’ose l’écrire, l’homophobie intériorisée ou pour employer l’expression usuelle aujourd’hui l’homophobie internalisée.
     
    J’exagère, je sais. La plupart des gais arborant une virilité exacerbée ne sont évidemment pas homophobes. Mais pas au point de se mettre en couple avec un gai qui aurait des allures « féminines ». Moins présentable aux soupers de familles, lors de pots entre collègues, ou encore avec ses copains de sa ligue de hockey amateur?
     
    Aujourd’hui, les mâles hétéros ont beaucoup moins de difficultés à avoir des amis gais, parce que ceux-ci n’en ont plus l’air, ils ne risquent plus de leur foutre la honte. Ils ont des muscles, ils se remontent les couilles toutes les cinq minutes, savent se moucher dans leurs doigts, et conduire un 10 roues, comme de vrais mecs.

    (Je grossis le trait avec humour, oui… ne partez pas en vrille). Comme les mâles hétéros, ils peuvent fonder une famille, s’intégrer dans un conseil d’administration en portant les mêmes costumes et les mêmes cravates que les autres membres. En résumé, ils font partie de la gang.
     
    Après des siècles de persécution, de rejets, de violences, etc., on peut comprendre que ces gars ont enfin la sensation de pouvoir vivre enfin en toute sécurité, de ne plus craindre d’être remarqués ou réduit à leur simple orientation sexuelle. Les concessions qu’ils font ne sont pas si graves, puisque l’image qu’il renvoie colle totalement avec leurs fantasmes sexuels. Bref, du deux pour un.
      
    Le problème est bien encore une fois la question du modèle présenté et auquel on s’évertue à ressembler. Fait-on maintenant partie de cette gang de mâles virils hétérosexuels, qui aujourd’hui nous font la bise et qui hier nous mettait le poing sur la gueule ? Les hommes hétéros dont certains se disent gay-friendly ont-ils changé tant que cela ? Certes, nous avons tous dans notre entourage des hommes hétéros qui ont fait un grand bout de chemin dans leur tête et qui se sont rendu compte à quel point les sociétés, les religions, la science leur avait conféré des pouvoirs et des privilèges immenses du simple fait qu’ils avaient un petit bout qui dépassait à la naissance.
     
    Les «nouveaux mâles»,ont-ils aussi nombreux qu’on le pense. Demandez aux femmes et vous aurez la réponse. Regardez l’état du monde dont les principaux dirigeants sont des hommes. Lisez les textes de nombreux chroniqueurs qui ne cessent de rappeler à quel point l’Homme, le vrai, serait en voie de disparition. Même si ce fameux homme reste encore à plus de 90 % responsables des féminicides, même s’il continue à casser du fif ou pédé, du trans, à violer tout ce qui bouge, ici et ailleurs. Bien qu’un changement s’opère, il progresse à pas de tortue.

    Nous nous sommes travestis au nom de l’acceptation (…mais peut-être le travestissement est-il dans nos gênes). Nous avons revêtu les habits et parfois les us et coutumes de nos anciens oppresseurs pour en retirer les mêmes avantages et privilèges sans même penser que nous pouvions en devenir des agents reproducteurs du système hétéropatriarcal. Je sais, c’est une stratégie pour se faire accepter socialement, un peu comme un ver dans le fruit qui petit à petit change les choses.
    Mais à ce jeu, qui gagne à la fin ? D’une part, le système hétéropatriarcal est capable de faire des petites concessions pour ne pas être bousculé ou déboulonné. D’autre part, les conservateurs, religieux, traditionalistes, dénoncent cette stratégie, en rappelant que nous avons infiltré par ce choix toutes les sphères de la société et d’en appeler à une lutte contre ce qu’ils appellent le wokisme.
     
    Se conformer, est-elle la meilleure, sinon l’unique solution, pour se faire accepter?  Devons-nous nous effacer et taire nos différences, avec comme seule respiration, la journée du défilé pour afficher nos couleurs? Pour se reconnecter avec la folle qui est en nous et que l’on est parfois prêt à sacrifier? En fait, quand on s’habille avec un costume pour faire comme tous les vrais hommes, on risque de se pendre avec la cravate que l’on revêt.  

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