Étienne Bergeron signe la postface du livre d’Éric Noël qui vient d’être publié, Ces regards amoureux de garçons altérés. Enseignant, Étienne Bergeron s’intéresse depuis longtemps aux littératures queers et, plus spécifiquement, à celles qui touchent aux pratiques sexuelles. Il termine actuellement son doctorat. Sa thèse porte un titre qui fait écho à celui de la pièce d’Éric Noël, Le désir de neutre des garçons altérés : autodestructions ascétiques et éthique du (de)devenir, et tente d’aller au-delà des clichés de ce qu’on peut lire et entendre, entre autres, autour du chemsex.
Peut-être, regarder ces expériences parfois extrêmes à travers un prisme paradoxal : l’oubli de soi et la recherche de soi.
Comment en es-tu venu à t’intéresser à la littérature queer ?
Étienne Bergeron : Disons que cela vient d’un désir personnel. Comme gai, je lisais ces livres-là et cela m’intéressait. J’avais commencé avec ma maîtrise en étudiant l’écriture du corps dans Son frère de Philippe Besson, mais je n’étais pas encore dans cette optique de recherche dans la littérature queer. Puis, je me suis rendu compte que dans la littérature québécoise récente, il y avait de plus en plus d’auteurs gais qui parlaient des expériences sexuelles. Je pense bien sûr à Éric Noël, mais aussi à Antoine Charbonneau Demers et d’autres. Et donc, j’ai décidé pour mon doctorat de me lancer dans cette étude de l’écriture du corps dans une perspective queer.
Est-ce difficile d’arriver devant ses pairs avec un tel sujet, où il sera question de sexe, d’orgies, de drogues, etc., et de recevoir leur aval ?
Étienne Bergeron : Non, que ce soit à l’Université de Sherbrooke ou à l’UQAM, où je termine ma thèse, je n’ai rencontré aucune réticence. Je n’ai jamais croisé un.e professeur.e qui m’a fait sentir que je ne devais pas continuer dans cette voie-là. On s’entend aussi pour dire que L’UQAM est très ouverte sur ces questions-là. Peut-être pour un milieu plus large, on peut s’étonner de la pertinence d’une telle recherche, mais dans mon entourage il n’y a aucun problème. Quand je regarde les postes qui s’affichent pour enseigner la littérature à un niveau universitaire, il y a de plus en plus de demandes pour des chercheur.e.s qui s’intéressent aux études queers, aux études postcoloniales, je crois que l’ouverture est plus grande.

S’intéresser aux pratiques sexuelles hors normes ou encore au chemsex reste-t-il tabou ?
Étienne Bergeron : Baignant dans cette littérature-là et ce sujet-là, je sais que pour beaucoup cela reste encore tabou, j’en suis conscient, mais en même temps cela vient confirmer la pertinence de mes travaux pour, d’une certaine façon, déconstruire les a priori que l’on peut avoir sur le chemsex. C’est aussi mettre en parallèle ce à quoi on assiste aujourd’hui avec un retour à la norme ou aux normes, comparé à ce que l’on pouvait voir il y a encore une dizaine d’années.
Comment en es-tu arrivé au texte d’Éric Noël au point d’en signer la postface ?
Étienne Bergeron : C’est un peu un hasard. Je n’ai jamais assisté à une des lectures de ce texte. Au début de mon doctorat, je cherchais un texte. J’avais lu sa première pièce Faire des enfants, et j’avais aimé. Continuant mes recherches, je suis tombé sur le manuscrit de Ces regards amoureux de garçons altérés à la bibliothèque de l’École nationale de théâtre et j’ai eu un grand coup de cœur par la façon dont Éric Noël abordait cet univers-là, de façon complètement décomplexée. Et surtout la description des saunas, ce que l’on ne retrouve pas beaucoup dans la littérature québécoise, si ce n’est dans quelques poèmes de Jean-Paul Daoust dans les années 80. Éric Noël est l’un des premiers à en avoir fait le cœur d’un texte. Il en montrait ce que l’on pourrait voir comme sombre, mais aussi le côté libérateur, une vision qui ne tombait pas dans le pathos, mais simplement de montrer les choses.
Et c’est devenu le premier texte de mon corpus de textes pour ma thèse.
Y a-t-il un lien aussi avec ta propre expérience ?
Étienne Bergeron : Sur le plan personnel, bien sûr, dans une moindre mesure peut-être, mais j’ai aussi quelques fois participé à du chemsex. Mon premier contact avec ce type de pratique a été, comme pour Éric Noël, au départ, une fascination. Mon premier contact a été à travers la littérature et je m’y suis intéressé au tout début comme cela, avant d’essayer. Je me suis rendu compte que l’on pouvait associer ce type de pratiques à d’autres formes de libération, donc ce n’est pas propre au chemsex. Et de faire des parallèles avec d’autres pratiques qui permettent la même chose et je pense que l’on peut se reconnaître quand on parle de chemsex. On associe ce comportement à une forme d’autodestruction, alors qu’à mon sens c’est aussi une façon de se sentir plus vivant. On trouve aussi ce besoin de sortir des structures sociales, sortir de sa tête, sortir de ses identités pour revenir uniquement au corps et aux sensations, aux fluides corporels et à tout ce que cela peut apporter comme plaisir. Et à une forme de liberté.
Est-ce que l’on peut parler d’une certaine forme de réappropriation de l’abjection ?
Étienne Bergeron : De l’abjection au sens large, pour moi, et associé au corps et aux plaisirs de ce qu’il peut nous apporter et qui a été longtemps condamné. Et si l’on reprend la définition de Julia Kristeva dans son Essai sur l’abjection, c’est tout ce qui ne respecte pas les limites. Et, en moi, j’associe le Queer à ce qui ne respecte pas les limites. Et je veux continuer à travailler dans ce sens-là, entre autres sur le concept d’autodestruction, pour le déconstruire. Et de voir comment on explore les phantasmes dans d’autres pratiques, et aujourd’hui aussi dans des pratiques virtuelles.