Mardi, 22 avril 2025
• • •
    Publicité

    Ces regards amoureux de garçons altérés : Un chant d’amour désespéré

    Une chambre dans un sauna. Un gars se drogue, s’envoie en l’air avec des gars. Ce monologue au titre poétique, Ces regards amoureux de garçons altérés, porté par Gabriel Szabo et signé Éric Noël, dans une mise en scène de Philippe Cyr, prendra l’affiche prochainement au théâtre Prospero. Le chemsex, Éric Noël, il a connu. Ce texte, il l’a écrit pendant cette période d’errance, entre espérance et désespérance. Pas de faux-semblant, pas de faux-fuyant, une plongée pour fuir les autres, se fuir soi-même. Et peut-être s’y reconnaître ?
     
    Quelle est la genèse de ce texte ?
    Éric Noël : C’est un texte que j’avais écrit il y a plusieurs années, un texte que j’avais lu, et puis la production a mis 10 ans, mais il faut tenir compte aussi qu’il y a eu la pandémie, et Philippe Cyr et moi rêvions de le mettre sur scène. On y arrive enfin.
     
    C’est une autofiction ?  
    Éric Noël : Je ne m’en suis jamais caché, mais je ne l’ai jamais revendiqué non plus. Quand on regarde la pièce, on n’a aucun doute que l’auteur sait de quoi il parle. Je ne peux pas me cacher. Je prends aussi toutes les libertés, mais c’est inspiré de mon passé de chemsex. J’ai commencé le chemsex comme le personnage de la pièce, après une rupture amoureuse. Cela a été le déclencheur, mais aussi le déclencheur de l’écriture parce que j’avais mal.

    Quand j’ai commencé à écrire cela en 2014, c’était mes grosses années de consommation, j’ai commencé à faire du crystal meth. En 2011, juste après la production de ma pièce au Quat’Sous, Faire des enfants. Le lendemain de la dernière, à peu près sans que j’aie prévu le coup. Ce qui est drôle, c’est que les gens qui avaient vu cette pièce pensaient que je prenais de la drogue pour avoir écrit cette pièce, mais pas du tout, j’étais alors dans le fantasme et l’imagination. En fait, j’avais très envie d’aller explorer ce monde-là. Il y a eu cette rupture douloureuse et je me suis mis à consommer beaucoup et je n’arrivais plus à créer. L’autofiction est venue naturellement parce que la seule chose que j’arrivais à faire à ce moment-là, c’était d’écrire sur ce que je vivais.

    Mais peut-être qu’il y a eu aussi ce réflexe d’auteur que j’ai toujours eu en fait, la structure est venue rapidement, j’ai toujours ce fantasme des structures et cela me vient rapidement. Donc, l’idée de cet homme enfermé dans une chambre de sauna pendant plusieurs jours, d’où il nous parlerait, s’est imposée. En quelques semaines, j’ai écrit un premier jet, puis après le texte a été retravaillé, mais c’est un texte qui est venu d’un souffle et qui a été écrit en partie sous consommation. Je suis très content de l’avoir écrit, mais je sais aussi que je ne pourrai plus l’écrire, car le Éric que j’étais n’existe plus.

    C’est un fragment, un instantané de ma vie, de l’état d’esprit dans lequel je me trouvais à l’époque et qui peut rejoindre beaucoup de gens. Cela a l’air assez simple, un monologue, mais il y a des allers-retours puisque le personnage raconte en même temps les quelques jours qu’il a passés dans ce sauna et les quelques mois qu’il a passés avec ce gars et leur rupture. Il y a un jeu de miroirs qui se répondent. On est dans l’alternance, dans la multiplicité et l’intensité des rencontres, de la drogue, du sexe dans le sauna, donc, très sexe, et l’intensité du sentiment amoureux, romantique. J’aurais envie de dire que c’est extrêmement classique, l’histoire d’une peine d’amour racontée au public. C’est peut-être ma pièce la plus romantique.

    Le comédien Gabriel Szabo incarnera le texte d’Éric Noël sur scène.

    La pièce a été lue, quels ont été les premiers commentaires.
    Éric Noël : La pièce a été lue au Festival du Jamais Lu, […] à Strasbourg. Au départ, je ne pensais pas que la pièce serait choisie, mais je me souviens que Marcelle Dubois, l’ancienne directrice du Festival du Jamais Lu, m’avait dit qu’elle avait été touchée par ce récit de quelqu’un qui échappe à sa vie, où il y a une perte de repères complète. Peu importe ce qui la provoque, tout le monde pouvait s’y reconnaître. Alors que, moi, j’étais persuadé que cela n’intéresserait qu’un petit groupe de nos communautés.

    Tu as lu plusieurs fois ce texte, mais tu ne joueras pas ?
    Éric Noël : C’est une pièce que j’aime beaucoup, mais je suis content de ne pas avoir à la jouer pour une raison simple. Il était prévu de la monter en 2017 et je pense qu’à l’époque j’aurais très mal vécu de me retrouver dans les médias, confronté au public, d’autant que je consommais encore [à ce moment]. Aujourd’hui, je me sens beaucoup plus serein pour la présenter dans le cadre de la production actuelle et cela me permet d’être dégagé dans les choix de mise en scène. Je suis détaché dans un bon sens, je n’interviens pas beaucoup. Ce recul me fait du bien. Lorsque j’ai fait la première lecture à l’époque au Jamais Lu, je me suis dit tout de suite après : plus jamais ça.

    D’autant qu’à l’époque, bien sûr, les gens autour de moi savaient que je n’allais pas très bien, mais ils ne se doutaient pas de ce que je vivais et comment je vivais. Cela m’a forcé à en parler, de commencer à suivre un chemin quelque part vers la guérison, mais en même temps je me mettais en danger puisque tout de suite après la première lecture je me suis sauvé, sachant que j’avais mon stock de conso dans mon sac à dos. Il n’y avait aucune distance entre ce que je venais de faire, lire ce texte, et ce que je vivais. Et si j’avais eu cette distance, je ne sais pas si j’aurais eu le courage de me mettre à nu comme cela. Heureusement, j’ai été assez inconscient. Je me souviens, après la lecture, être sorti de scène en tremblant, me demandant ce que je venais de faire. Et en retravaillant le texte, même 10 ans ou presque plus tard, alors que je me croyais détaché de ce que j’avais écrit, je me suis rendu compte que cela pouvait être encore dur pour moi. Donc, pas question de monter sur scène pendant trois semaines et d’incarner ce personnage. 
     
    Ce qui est fort, c’est que le texte ne se veut pas pédagogique, pour nous mettre en garde contre les dangers du chemsex, on est loin de ce type de théâtre documentaire ?
    Éric Noël : Ce qui m’intéresse, c’est ce le chemsex peut nous dire, sur nous, sur nos relations. Je sais que pour moi cela répondait à un besoin, et ça a fait sa job. Je pense que j’avais besoin d’aller explorer cela. Cela m’a permis un grand changement aujourd’hui. J’avais des enjeux personnels à régler et je suis arrivé au chemsex parce que cela n’allait pas. C’est un peu cliché ce que je vais dire, mais on sait que la drogue, ce n’est pas le problème, c’est une «solution».

    La drogue vient régler quelque chose temporairement. Je suis allé au bout de cette solution et lorsqu’elle n’a plus fonctionné, cela m’a obligé à affronter ce que je ne voulais pas voir chez moi. Le personnage le dit. Il parle de sa relation amoureuse en disant qu’il avait cherché à être jeté de cette relation toxique comme une justification pour abattre le mur entre le crystal meth et lui. Il y avait aussi ce désir du danger, l’attirance de la transgression. Je pense que j’ai cherché cela inconsciemment.  

    INFOS | Ces regards amoureux de garçons altérés, du 8 avril au 3 mai 2025, au Théâtre Prospero.

    Texte : Éric Noël
    Mise en scène : Philippe Cyr
    Interprète : Gabriel Szabo
    Du 8 avril au 3  mai 2025
    Supplémentaire du 29 avril au 3 mai 2025.
    https://theatreprospero.com
     
    – Ces regards amoureux de garçons altérés, d’Éric Noël, Théâtre Leméac, 2025.

    Abonnez-vous à notre INFOLETTRE!

    Du même auteur

    SUR LE MÊME SUJET

    LEAVE A REPLY

    Please enter your comment!
    Please enter your name here

    Publicité

    Actualités

    Les plus consultés cette semaine

    Publicité