Peu connu, candidat du Parti vert défait aux dernières élections fédérales, Jonathan Pedneault a pourtant une fiche de route impressionnante. Journaliste en zone de conflits, intervenant humanitaire pour de grands organismes, il a côtoyé la mort de près, témoin privilégié de conflits armés, mais il a aussi rencontré plusieurs grands de ce monde, armé de son bâton de pèlerin pour les convaincre d’agir. À toute vitesse, il relate ce parcours dans Tête première, cœur ouvert (éditions XYZ), une autobiographie qui commence avec son enfance, sur la Rive-Sud de Montréal. Il parle aussi de son homosexualité rapidement, conscient des enjeux actuels, mais qu’il englobe dans un combat plus large, celui des droits de la personne et de la défense de la nature.
Pourquoi cette envie de se raconter ?
Jonathan Pedneault : Je ne suis pas quelqu’un qui a envie de raconter ma vie tant que ça, donc il y a quelque chose de paradoxal, mais en me présentant comme cochef du Parti vert et candidat aux élections fédérales, je trouvais nécessaire d’être aussi transparent que possible sur d’où je venais et sur ce qui m’avait formé comme citoyen. Je n’ai pas été à l’aise avec l’exercice, mais dans un contexte où je m’engageais en politique, je n’avais pas le choix. Aujourd’hui, je suis sorti de la politique et je suis de retour dans la vie privée. Mon éditeur détesterait m’entendre dire cela ! (Rires.) Je suis quelqu’un de gêné pour parler de ma vie privée, mais peut-être que ce livre peut inspirer des jeunes, même si je garde de gros points d’interrogation sur la façon dont il faut aujourd’hui absolument se faire connaître.
C’est la raison pour laquelle tu ne t’étends pas trop sur le fait d’avoir reçu un diagnostic de VIH en 2023.
Jonathan Pedneault : Bien sûr, c’est un choc au départ. Mais, j’ai eu cette chance d’avoir [reçu le diagnostic] très rapidement. On se relève et cela m’engage à rappeler qu’il faut continuer à se protéger même si on prend la PrEP, de se faire tester régulièrement, de prendre la PrEP régulièrement, pour se protéger, mais aussi pour protéger les autres. C’est notre responsabilité d’être plus attentif et plus vigilant et donc de continuer d’en parler. Comme cochef d’un parti, je ne pouvais pas non plus me taire. Je connais plusieurs personnes publiques et dans le monde politique qui sont séropositives et qui le disent. Même s’il y a des maladies qui sont socialement moins acceptables que d’autres. Et pourtant, dans les sociétés occidentales, la transmission du virus continue, une problématique qui est liée à la toxicomanie aussi, tout comme avec la pauvreté. On se doit de continuer d’en parler.

Et, bien sûr, à l’international. On voit une recrudescence des cas en Chine actuellement et l’Afrique est toujours aussi touchée. Et au moment où je finissais d’écrire le livre, on a appris l’arrêt du financement de l’USAID (Agence d’aide américaine du développement) et du PEPFAR (Plan présidentiel d’urgence de lutte contre le sida) par l’administration Trump. On sait que les États-Unis étaient un principal bailleur de fonds à l’international [pour la] lutte contre le sida. D’autres pays, le Canada, la Norvège, l’Union européenne vont devoir pallier la disparition de ces programmes. C’est un recul auquel nous allons devoir faire face.
Très jeune, tu as envie de voyager, mais pas pour y faire du tourisme. Tu vas dans des zones de conflits, tu écris des articles et ensuite tu travailles pour des organismes humanitaires. Du témoignage, tu passes à l’engagement ?
Jonathan Pedneault : Pour moi, cela va de pair. Il y a un impératif moral d’être engagé lorsque l’on est témoin, et un impératif moral d’être témoin lorsque l’on est engagé. L’engagement sans l’expérience du réel, sans connaissance, sans savoir vraiment peut même parfois être dangereux. Mais d’être témoin de quelque chose sans, par la suite, et par différentes manières, s’engager, correspondrait, pour moi, à une faillite morale.
Ton engagement se manifeste de quelle façon maintenant que tu as quitté le Parti vert ?
Jonathan Pedneault : Je pense qu’il y a des outils qui existent pour faire avancer les choses, à la disposition de celles et ceux qui veulent s’engager, tout en étant conscient des limites de ces outils […], que ce soit par la force des structures internes ou des pressions externes. J’ai eu la chance de découvrir et de travailler avec certains de ces outils-là, que ce soit dans l’engagement à travers des organismes internationaux, ou comme journaliste, ou même comme politicien, et dans chacun des cas, j’ai découvert aussi les limites. Quant à moi, ce qui est clair et que je tente de faire depuis l’âge de 15 ans, c’est d’essayer de mieux comprendre les structures qui animent notre monde et de comprendre les déficits structurels qui permettent la reproduction [et] la répétition des abus graves contre les humains ou contre la nature et de voir s’il y a des solutions plus systémiques pour faire changer les choses. J’ai utilisé différents outils, comme je le disais, journaliste sur le terrain, [intervenant] pour des organismes humanitaires ou encore, récemment, la politique. Je ne suis pas certain d’avoir réussi encore, mais je crois que chacun se doit de trouver les outils qui lui conviennent le mieux pour permettre le changement.
Des structures existent, elles peuvent être locales ou internationales, les outils sont là, mais comment vit-on la difficulté et la lenteur et parfois la résistance pour aller de l’avant dans la résolution de conflits, par exemple ?
Jonathan Pedneault : Ces structures sont là et sont des leviers sur lesquels on doit appuyer quand on le peut. Ce n’est pas évident et je comprends que beaucoup de personnes qui s’engagent avec un désir brûlant et ardent de changer les choses deviennent impatientes devant la lourdeur et la lenteur avec lesquelles ces changements peuvent naître. Cela peut amener un certain pessimisme. Mais la patience est aussi une clef stratégique qui, sur du long terme, peut amener des résultats. Peut-être faut-il tempérer ses attentes et […] souligner les victoires quand elles sont là. Cette lenteur peut alimenter un découragement qui amène au cynisme, mais en même temps, en ne continuant pas, il y a encore moins de chances de changer le fonctionnement des structures en place. Les gouvernements, comme les grandes institutions de défense des droits de la personne, etc., sont des structures lourdes qui ne bougent pas facilement. Au point où l’on peut se demander s’il n’est pas plus pertinent de s’attaquer fondamentalement aux carences du système que de continuer à jouer avec les institutions en place comme si elles étaient véritablement efficaces. Je pense qu’il faut, à tous les niveaux, ne pas hésiter à les confronter face à leurs erreurs. C’est plus une question, je n’ai pas la réponse. Je continue d’apprendre et à chercher des stratégies qui soient efficaces. Les schémas de pensée avec lesquels on est confronté quand on s’adresse à des décideurs, des ministres, et parfois même à l’intérieur d’organismes humanitaires, sont tellement profonds, enracinés [et] anciens, qu’il est évident qu’on ne peut les faire changer rapidement. Un exemple simple : de parler d’un enjeu humanitaire publiquement représente déjà une victoire, alors qu’énormément de gens, pour de multiples et diverses raisons, préféreraient que l’on n’en parle pas.
Mais c’est un jeu d’équilibriste, quand on sort d’une zone de conflits et que l’on se retrouve devant des ministres, dans des conférences internationales, dans des espaces confortables, sécuritaires, à des années-lumière de la réalité sur le terrain ?
Jonathan Pedneault : La transition est difficile, mais c’est une transition qui est nécessaire, car il est plus facile d’apporter de l’information à des gens de pouvoir que d’amener ces gens de pouvoir ou ces décideurs dans des camps de réfugié.e.s pour qu’ils constatent par eux-mêmes. Très souvent, je nous considère comme des traducteurs de certaines réalités, parce que nous sommes allés sur le terrain et de les traduire pour qu’elles soient comprises par des diplomates, par exemple, qui n’ont pas l’habitude de sortir beaucoup de leur bureau, pour leur faire comprendre la nécessité […] que leur État agisse pour tenter de résoudre tel ou tel problème. Une transition aussi entre les habits sur le terrain et le veston cravate pour se rendre dans une ambassade ou à un congrès. (Rires.)
N’as-tu jamais eu peur de devenir un fonctionnaire de l’« humanitaire » ? De passer en somme de l’autre côté de la barrière et de te contenter uniquement d’apporter la bonne parole ?
Jonathan Pedneault : Bien sûr que c’est un risque. C’est une des raisons qui m’a poussé à quitter Human Rights Watch. Le levier que constituait cet organisme, son pouvoir donc, est pour moi en train de s’effriter et n’a plus le même mordant pour dénoncer ce qui se passe, même s’il continue de faire un très bon travail de documentation sur la question des droits de la personne, mais son pouvoir a passablement diminué.
Actuellement, tu es en Norvège, qu’est-ce qui tu fais là-bas ?
Jonathan Pedneault : Après l’échec des élections, il me fallait un peu de temps pour me remettre. Comme beaucoup d’autres, je peux traverser des périodes, heureusement courtes, de découragement. Mais je ne suis pas inactif, disons que j’accomplis des missions, d’une certaine façon diplomatiques, pour rencontrer des institutions, des diplomates, etc., pour les convaincre d’agir dans certains dossiers. Ce ne sont pas des vacances.
Même si tu viens d’un milieu défavorisé matériellement, tu te considères comme privilégié et donc responsable ?
Jonathan Pedneault : Quand on naît et qu’on grandit en Amérique du Nord, on a une vie plus facile que si l’on naît au Soudan, par exemple. D’avoir pu étudier et d’avoir eu les opportunités que j’aie eues sont des marqueurs avec, bien sûr, des guillemets, mais qui devraient être les mêmes pour tous et toutes dans le monde. Le droit à l’éducation, le droit à la santé, le droit à la sécurité, le droit de manger.
Et peut-être que ce privilège que j’ai eu m’a donné ce sens de la responsabilité, c’est-à-dire, d’avoir conscience de faire partie d’une expérience humaine plus grande que nous. Au-delà d’être en vie, de la joie d’être en vie, c’est notre responsabilité de contribuer à cette expérience humaine, et si l’on n’ajoute pas notre pierre à l’édifice, à tout du moins que l’on n’en enlève pas.
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