L’empathie, cette « capacité à se représenter ce que l’autre ressent ». En possédez-vous ? En recevez-vous ? La convoitez-vous ? Petite chronique sur l’empathie. Pourquoi un papier sur l’empathie dans une chronique lesbienne ? Parce que je me demande à quel point « Monsieur et Madame Tout-le-Monde » possède cette capacité à se mettre dans la peau de l’autre, surtout lorsque cette personne est marginalisée par rapport à la norme, au groupe social dominant. Qui plus est, les lesbiennes font rarement l’objet d’empathie.
Elles sont l’objet de curiosités, de fantasmes, de méconnaissances, de moqueries, de désintérêt, d’invisibilité, d’indifférence, de haine, de mépris, mais rarement d’empathie. Probablement parce qu’on ne les ramène toujours qu’à leur orientation sexuelle, par surcroît leur sexualité, alors qu’elles sont bien plus que ça ! Vous me direz que c’est la même chose avec une personne handicapée ou une personne atteinte de troubles de santé mentale. Certes, rares sont les gens qui n’ont pas d’empathie pour ces personnes.
Pour expliquer mon point, j’avais envie de revenir sur l’excellente série Empathie, dont la saison 1 est désormais disponible sur Crave. Ce drame psychologique, réalisé par Guillaume Lonergan et signé
Florence Longpré, récipiendaire du très mérité prix Séries Mania à Lille, en France, lève le voile sur le trouble mental, par le biais d’une psychiatre, Suzanne (Florence Longpré), qui travaille à l’Institut carcéral Mont-Royal. Sans dévoiler toute l’intrigue, on apprend rapidement que Suzanne a récemment perdu sa conjointe, enceinte de leur premier enfant, dans un accident tragique. Alors qu’elle dévoile ce pan tragique de sa vie (qui l’a menée à une tentative de suicide puis à sombrer dans l’alcool) à son collègue Mortimer, ce dernier l’écoute, puis scande : « Oh, tu es lesbienne ?! » Et Suzanne de rétorquer : « C’est vraiment tout ce que tu as retenu de ce que je viens de te dire ? » Quel bel exemple, ici, d’un manque d’empathie au profit de la « curiosité » lesbienne. Alors que Suzanne dévoile avec difficulté le fait qu’elle a été témoin d’un évènement traumatisant, son collègue ne retient qu’une chose : elle est lesbienne ! Bien sûr, nous avons ici affaire à une fiction qui, soit dit en passant, est extrêmement bien faite (parmi les meilleures séries québécoises que j’ai vues depuis des années), avec un scénario bien ficelé, un personnage lesbien loin des clichés et, bien sûr, beaucoup d’empathie révélée par des interprétations remarquables. Mais que nous dit cette scène d’Empathie ? Que les lesbiennes en génèrent peu, au profit de la curiosité que suscite leur orientation sexuelle.
J’ai tellement ri lors de cette scène, d’anthologie selon moi, car j’ai pu m’y identifier. J’ai ri jaune, puisque des situations similaires me sont déjà arrivées. Si vous êtes lesbienne et lisez cette chronique, probablement que vous avez déjà également vécu une situation de ce genre. Vous savez, ce moment où votre interlocuteur ne fait que penser à votre « condition » lesbienne, votre orientation sexuelle, sans aucune empathie. Et parfois, ce n’est même pas un manque d’empathie, mais de la méconnaissance, de la désinformation, ou même de l’indifférence. Je me souviens, il y a plus d’une décennie, autour d’une table, il y avait une discussion à propos des enfants, de la maternité. Un homme hétéro s’était retourné vers moi, à la blague, en me disant quelque chose du genre :
« Toi, ça ne te concerne pas cette conversation ! » Vraiment ? « J’ai encore un utérus à ce que je sache ! », avais-je rétorqué, au grand malaise de ce dernier. Cette intervention découlait, jusqu’à un certain point, d’un manque d’empathie. Que ressent une lesbienne dans une conversation sur la maternité (il y a plus d’une décennie) ? Rien, car elle ne peut pas avoir d’enfant, selon un homme hétéro qui, à l’époque du moins, était probablement désinformé ou aveuglé par mon orientation sexuelle et n’avait pas la « capacité à se représenter ce que l’autre ressent ». Non seulement j’ai un utérus et je peux adopter, mais j’ai aussi une opinion sur la conversation ! N’est-ce pas quelque peu réducteur, comme si l’orientation sexuelle primait sur le sentiment, le ressenti, le fait même d’exprimer
son opinion ?
Cela dit, je ne blâme personne. Pour avoir un réel sens de l’empathie, cette « capacité de se mettre intuitivement à la place de son prochain, de ressentir la même chose que lui, de s’identifier à lui », il faut beaucoup d’humilité, de vulnérabilité, d’écoute et d’altruisme, dans une société qui, malheureusement, ne valorise pas ces qualités. Comment avoir une compassion profonde pour autrui dans une société si individualiste ? C’est triste, mais cette individualité va de pair, notamment, avec les réseaux sociaux qui entraînent les gens à consommer de la mésinformation ou à en créer pour avoir de l’attention, de l’empathie même, à s’exhiber pour être aimés. Lorsque vous voyez quelqu’un qui se plaint sur les réseaux sociaux, êtes-vous empathique ? Écrivez-vous personnellement à cette personne, avec compassion, où vous continuer à scroller ? Lorsque vous voyez quelqu’un réussir, êtes-vous empathique, content pour la personne, ou envieux de son statut ? Peut-être êtes-vous davantage indifférent, insensible ? Si c’est le cas, vous êtes à l’opposé du spectre de l’empathie, où trône l’égoïsme. J’ose croire que nous avons tous déjà été dans les deux spectres, l’important est de ne pas s’y perdre, de ne pas oublier que l’amour de soi, des autres, passe par une gamme d’émotions et que demeurer authentique, à l’écoute de ses émotions et de celles des autres, renforce l’empathie et notre capacité à évoluer vers un monde meilleur.
À la question « comment développer son empathie ? », j’avais beaucoup aimé la réponse de la créatrice d’Empathie, Florence Longpré, à TLMEP : « Juste le fait de consommer de la fiction, c’est un geste empathique. De vivre des émotions avec quelqu’un d’autre, qu’il soit réel ou non, de pleurer pour quelqu’un d’autre, de rire avec quelqu’un d’autre, de comprendre l’autre, de s’intéresser à l’art, de vivre des émotions grâce à l’art, c’est déjà un geste empathique. Juste en faisant ça, on a gagné ! Puis, évidemment, d’essayer de comprendre l’expérience de notre voisin, par exemple, c’est quoi sa réalité, comment il pense, c’est quoi ses enjeux, ça peut juste être bénéfique, tant pour la personne qui éprouve de l’empathie que pour la personne qui en reçoit, car on dégage plein de sérotonine quand on vit de l’empathie. »
La série Empathie est disponible en totalité sur Crave. Une seconde saison est en production.
https://www.crave.ca/fr/tv-shows/empathie