Jeudi, 25 septembre 2025
• • •
    Publicité

    Calamine avec beaucoup de fierté

    Faire du rap engagé n’est pas de tout repos, mais c’est ce que propose Calamine depuis 2021. Malgré les responsabilités que cette prise de parole implique, l’artiste queer croit fermement qu’il est sain de débattre d’idées par l’art et la culture. Fugues l’a rencontrée après sa prestation aux plus récents Francos de Montréal, en prévision de sa présence à Fierté Montréal, lors du spectacle ImmiX, le dimanche 3 août.

    Tu as récemment sorti un nouveau single qui s’appelle Golden, et il y a aussi un album
    l’année dernière, Décroissance personnelle. Comment décrirais-tu ce projet à quelqu’un qui ne te connaît pas ou qui veut te découvrir ?

    Calamine : Je dirais que c’est de la musique quand même profondément militante, mais sans être trop lourde. J’essaie de balancer ça, que ce soit de la musique qui reste festive, qui est aussi groovy. C’est assez diversifié musicalement : ça va un peu dans le R&B, dans le vieux boombap. J’aime ça jouer avec tout ça. Mais, grosso modo, c’est une trame assez militante, queer, puis orientée vers la justice sociale.

    Comment s’est passée ta rencontre avec le rap ? Qu’est-ce qui t’a donné envie de prendre le micro, de raconter des choses ?
    Calamine : J’ai toujours joué de la musique, j’ai toujours composé. J’ai toujours trippé sur le rap, mais c’était comme une espèce de rêve secret que j’avais de la misère à me projeter dans, à l’époque. Il n’y avait pas des tonnes de rappeuses nécessairement. Je me sentais un peu imposteur. C’est quand je suis arrivée à Montréal que j’ai rencontré Kèthe Magané — dans le fond, mon DJ, mais qui était à l’époque mon coloc. Lui, il faisait des beats avec ses amis, il enregistrait des tounes un peu à la blague. Ses amis réparaient, mais ce n’étaient pas des rappeurs sérieux, ils ne se prenaient pas au sérieux. On dirait que le fait de commencer sans me prendre trop au sérieux, je me suis dit : « Je pourrais essayer. » Mais, dans le fond de ma tête, je me disais : « Je pense que je veux faire ça. » C’est lui qui m’a dit : « T’es bonne, on pourrait faire ça, faire une tape de rap. » J’étais comme : « Ça me tente ! » J’avais vraiment envie de me consacrer à ça.

    Tu fais souvent des clins d’œil à la culture québécoise dans tes textes — entre autres à Hochelaga. C’est important pour toi d’inscrire le Québec dans tes textes ?
    Calamine : Vraiment. Moi, je viens d’un background en arts visuels. J’ai étudié là-dedans, je voulais être peintre avant. Je pense que j’ai un peu la même approche dans mes textes que j’avais en peinture. C’est-à-dire que j’écris beaucoup ce que je vois. J’invente rien. Je parle de ce que j’observe dans la société, dans mon quartier, dans les milieux que je fréquente, ce que j’entends à la radio, ce qui se passe dans le monde. Je fais juste « processer » ça. C’est ma manière de ne pas virer folle avec tout ce qui se passe. Et nécessairement, ça devient central dans mon écriture.

    J’ai vu que tu avais collaboré avec plusieurs artistes comme Sensei H, Naomi, Sloan Lucas. Comment ça s’est passé, ces collaborations-là ?
    Calamine : Super bien. Moi, j’ai toujours envie, le plus possible, de collaborer avec d’autres rappeuses, de créer une sororité dans le hip-hop. Je pense qu’on n’est pas des tonnes et je trouve ça important de se montrer comme communauté. C’est vraiment dans la culture du hip-hop de faire des featurings (des collaborations), il y a souvent trois, quatre rappeurs sur une track. Mais au Québec, ce n’est pas si courant. Pour moi, c’était un défi de faire la toune avec Cynthia H, et selon Lucas, j’étais comme : wow ! Une toune sans refrain, « back-à-back », trois couplets de suite — tac, tac, tac — du rap. Le flot, là ! Je me suis fait plaisir.

    Je trouve aussi qu’au Québec, on a des voix de R&B incroyables. Un gros problème qu’on a ici, c’est le manque de pont entre la scène franco et la scène anglo. Ça, c’est quelque chose qui me fait vraiment plaisir quand on arrive à réunir ces univers-là. Il y a Sha Frank, qui est une super chanteuse de R&B, Magi Merlin aussi, qui fait…

    Parfait pour refaire ma playlist sur Spotify !
    Calamine : Je ne saurais même pas décrire son style musical, mais elle est trop talentueuse. C’est des collabs que j’ai vraiment aimé faire. Moi, je n’ai pas une voix de diva, puis j’admire les personnes qui ont une voix forte. Collaborer avec des gens qui ont une voix exceptionnelle, c’est toujours un plaisir.


    Ça se mélange bien, aussi, quand les voix sont différentes. Par exemple, Louane qui avait fait un featuring avec Grand Corps Malade : c’était deux styles complètement différents, mais ça marchait super bien.
    Calamine : La musique, c’est aussi ça : de l’innovation. Créer, c’est comme… on a tous une palette de couleurs, pis là, on mélange les sauces. On peut faire des trucs complètement nouveaux.

    Y a-t-il des artistes avec qui tu aimerais collaborer ? Au Québec, aux États-Unis, en France ?
    Calamine : Des tonnes ! Aux États-Unis, il y a tellement de rappeuses badass… Mais c’est comme des rêves inatteignables. On dirait que je n’ose pas rêver trop grand, pour ne pas être déçue. En France, il y a aussi des artistes trop cools. J’adore Eesah Yasuke, la rappeuse suisse. Catégorique aussi, qui est trop hot. Lala &ce en France, elle est vraiment cool. Au Québec, on dirait que je suis gênée de tendre la perche, mais je rêve d’avoir ma toune avec Sarahmée, évidemment. Et, soyons fous, j’aimerais bien une toune avec Ariane Moffatt. Ce serait quand même un rêve, franchement.

    Voilà, c’est dit… (Ariane et Sarahmée, vous avez bien reçu le message ?) Comment vis-tu le fait d’être perçue comme une figure queer publique ? C’est une pression, une fierté, un mélange des deux ?
    Calamine : Pour moi, c’est une fierté, presque un mandat. J’ai beaucoup souffert, jeune, de ne pas voir de modèles, de ne pas voir de personnes androgynes ou non binaires. Ce n’était pas encore très visible ni théorisé. J’en ai vraiment souffert dans mon adolescence. Aujourd’hui, être un peu une porte-parole de ma communauté — sans me donner ce titre-là — mais pouvoir parler de ma communauté et à ma communauté, c’est important. Il y a beaucoup de monde queer dans mes shows, et de pouvoir se retrouver ensemble, c’est précieux. J’essaie toujours de garder ça en tête dans ma musique. À chaque album, je me dis : j’ai envie de visibiliser ce qui se passe chez nous, c’est quoi nos enjeux. On parle souvent de nous dans l’espace public, sans nous. Des rapports, des chroniques, des médias de droite qui nous décrivent comme des extrémistes, qui disent que la cause trans va trop loin…

    On a besoin de reprendre le micro, de parler pour nous-mêmes.
    Calamine : Exactement. C’est une responsabilité que je prends avec sérieux.

    Et tu fais bien, parce qu’on en a besoin avec tout ce qui se passe. Est-ce que tu trouves que la scène musicale québécoise est plus inclusive aujourd’hui ? Qu’est-ce qui reste à faire ?
    Calamine : C’est un peu un cercle vicieux. Tant qu’il n’y a pas de figures queers visibles, les gens ne se projettent pas à en devenir. Il faut briser ça. Je pense que la scène est prête à accueillir des personnes queers, mais qu’on s’autosabote parfois. Moi, ça m’a pris du temps à me lancer, parce que je doutais. On se sent imposteur, on a de la misère à se projeter. C’est difficile de prendre sa place, mais honnêtement, je suis agréablement surprise de voir à quel point on peut être bien reçu.e.s. Mon équipe, on est des personnes queers, des personnes trans, et on est super bien accueilli.e.s partout où on va. Même dans des régions où on se demande si ça va passer… franchement, les gens sont là, ils sont ouverts. Faut pas se laisser miner par les populistes de droite. Les gens, ils sont prêts, ils sont accueillants.

    Pour les jeunes qui t’écoutent : c’est quoi le message que tu aimerais qu’ils retiennent de ton parcours ? Quels conseils tu leur donnerais s’ils veulent se lancer, peu importe le domaine ?
    Calamine : Je pense que ça prend du courage. Comme je disais tantôt, on a tous et toutes un petit syndrome de l’imposteur. Moi, ce qui m’a le plus freiné, c’est moi-même, ma peur. Le courage, ce n’est pas l’absence de peur, c’est de faire les choses malgré la peur. Je leur dirais d’être courageux et courageuses, de foncer. Personne ne peut le faire à notre place. Il faut prendre l’espace, prendre le micro, parler pour notre communauté, se lancer, se solidariser, s’entourer des bonnes personnes. Ensemble, on est plus fort.e.s. Faut faire acte de courage, puis prendre la place qui nous revient.

    Dernière question : à part ta participation à Fierté Montréal dans le cadre de ImmiX, c’est quoi tes prochains projets ? Ou c’est secret ?
    Calamine : Je travaille sur le prochain album. Il est pas mal composé, écrit, presque dans la boîte. On va mixer ça à l’automne, enregistrer les collabs cet hiver, puis on vise une sortie au printemps prochain. Le prochain album va s’appeler Rétrograde. C’est moi qui vais avoir composé tous les beats. C’est un gros morceau, je me suis engagée, mais ça vient du cœur. J’ai vraiment hâte que ça sorte. D’ici là, on se revoit à Immix !

    INFOS | CALAMINE sera du spectacle ImmiX, le dimanche 3 août à 21h, sur la scène de l’esplanade Tranquille, aux côtés d’Angelo, Fernie, Gabrielle Destroismaison, Kinkead, Lennikim, Lisa Leblanc, Martine St-Clair et Tabï Yösha. https://www.fiertemontreal.com

    Du même auteur

    SUR LE MÊME SUJET

    LAISSER UN COMMENTAIRE

    S'il vous plaît entrez votre commentaire!
    S'il vous plaît entrez votre nom ici

    Publicité

    Actualités

    Les plus consultés cette semaine

    Publicité