Dans les derniers mois, certaines organisations ont blâmé publiquement Fierté Montréal à plusieurs égards. Une impression de déjà-vu qui amène souvent les gens à prendre position. Pendant que certains claquent la porte, ou organisent des festivals alternatifs, d’autres défilent et s’impliquent. Le sujet est polarisant au sein de la communauté. Et cela ne date pas d’hier.
En mai dernier, Radio-Canada rapportait « qu’une dizaine d’organismes lesbo-queers ont claqués la porte du festival Fierté Montréal, dénonçant des pratiques teintées de misogynie, de racisme, de sexisme et de capacitisme à l’interne. L’organisation, elle, se dit surprise et attristée tout en assurant qu’elle prend ces allégations au sérieux ».(1) Je me souviens qu’en 2018, le Réseau des Lesbiennes du Québec et le Centre de Solidarité Lesbienne (qui comptent parmi les organismes qui se sont détachés de Fierté Montréal cette année), avaient milité afin que les femmes de la diversité sexuelle ouvrent le défilé, et ce, à la suite de rencontres avec Fierté Montréal et la création d’un comité femmes. Il y avait eu des actions concrètes découlant de ce partenariat avec Fierté, mais les discussions avaient été teintées d’un certain manque d’écoute et d’un ton paternaliste, qui donnait l’impression qu’on faisait partie plus d’une checklist que d’une transformation organisationnelle. D’où l’impression de déjà-vu, que j’ai d’abord eu, à la lecture des actualités récentes.
Cela dit, l’administration de Fierté Montréal n’est plus la même et quelques jours avant que ces organismes claquent la porte de l’organisation, Fierté Montréal rappelait dans un communiqué, être en train de finaliser le processus entamé en 2023 d’une « refonte complète de sa gouvernance et l’évolution de son modèle d’affaires, consolidant ainsi son rôle clé dans l’écosystème des festivals et celui de la diversité et l’inclusion.»
À travers cette transformation majeure, l’organisation rappelait s’être dotée « d’une structure inédite et inclusive, à l’image des communautés 2SLGBTQIA+ qu’elle célèbre et rend visible ». (2) La nouvelle structure de membership de Fierté Montréal a d’ailleurs été élaboré pour mieux refléter la diversité des parties prenantes notamment du défilé et des journées communautaires. Le premier défilé de la Fierté, à Montréal, en 1979 sur la rue Duluth est d’abord une marche pour souligner les 10 ans des évènements de Stonewall. Puis les défilés ont été des moyens de revendications sociales, que ce soit pour les droits, l’acceptation, la visibilité de nos communautés LBGTQ+.
Mais après s’être émancipées, de «l’illégalité à l’égalité» et de «l’égalité juridique à l’égalité sociale», que revendiquent nos communautés aujourd’hui? Les groupes communautaires travaillant avec des populations spécifiques vous le diront, le travail n’est pas terminé. Et pour certain.es des évènements liés à l’actualité sociopolitique, économique, religieuse ou climatique, devraient s’y annexer, ce que d’autres considèrent comme faire de l’ombre aux causes premières LGBTQIA+ pour ne pas dire les diluer.
Cela dit, depuis plusieurs décennies déjà, certains reprochent aux organisations derrière le défilé de la Fierté (de Divers/Cité à Fierté Montréal), le caractère commercial de la « grande fête », parce que les grandes corporations et les syndicats ont embarqué et affichent plus que jamais leur ouverture au sein du défilé. Des condoms, aux banques, en passant par diverses entreprises de toutes dimensions, les syndicats, la police, sans oublier les élus de tous les paliers de gouvernement (surtout dans les années pré-électorales), toustes veulent être de cette « grande fête » qui célèbre nos couleurs dans les rues… Pour montrer que socialement les LGBTQ+ sont plus visibles et « acceptés. Pouvons-nous vraiment les blâmer d’exprimer leur soutien? N’est-ce pas ce que nous voulions : l’inclusion, l’égalité juridique,
l’acceptation sociale? N’est-ce pas là, le signe que nos sociétés ont évolué quant à l’acception des mœurs homosexuelles et des identités de genre? J’ose croire que oui. Et s’il faut évidemment souligner le travail qu’il reste à faire, décrier les injustices, il est aussi nécessaire de célébrer nos acquis.
Mais si les célébrations et le défilé «festif et commercial» de Fierté Montréal avec des miliers de participant.e.s ne sont pas pour vous, il est toujours possible de joindre ou créer une version alternative. La Dyke Marche qui se tient plus ou moins chaque année depuis une environ 20 ans a comme objectif de mettre de l’avant les femmes de la diversité sexuelle et leurs enjeux. Un moyen de parler à un groupe plus spécifique de la communauté et de lui permettre d’exprimer ses enjeux spécifiques et de descendre dans la rue, sans être noyé dans une mer de revendications LGBTQ+, de logo et de bannières commerciales.
Bien sûr, ce genre d’activité n’a pas le même rayonnement médiatique que le défilé officiel, mais il réussit tout de même réussi à faire parler de nous, une victoire en soi. La Dyke March/Marche des gouines de Montréal se déroulait cette année, le 1er juin dernier, au Parc Lahaie, et était organisée par Résistance Montréal. En 2007, l’organisme Divers/Cité annonce qu’il cesse d’organiser le défilé de la Fierté et la journée communautaire à Montréal, pour se consacrer à un festival artistique et culturel. Avec un fort ancrage communautaire, Fierté Montréal est alors créé, avec la mission de reprendre le flambeau, à la demande de toutes. Les deux événements majeurs ont coexisté pendant près de 8 ans. Ils ne se chevauchent pas, mais se suivaient.
Certains festivals alternatifs ont aussi émergé en protestation, dont Pervers/Cité dès 2006. De ses débuts protestataires, organisant courtes marches et évènements, l’organisme a évolué au fil de sans vers l’activisme et la créativité queer émergente, à la manière d’un festival OFF Fierté. «Cette organisation a été fondée en réponse au besoin reconnu de résister à la corporatisation de la Fierté, et de favoriser un cadre anticapitaliste et anarchiste pour soutenir la production d’une culture queer non normative et renforcer les liens entre les communautés queers» (3), déclarait les organisateurs en 2018, cinq ans avant que ce festival, qui prenait ses assises chez les jeunes de la communauté anglophone montréalaise, ne cesse ses activités.
En 2025, l’histoire semble vouloir se repèter, un nouveau festival alternatif est annoncé : Wild Pride / Fierté Indomptable. Organisé par des groupes souhaitant une alternative, on annonce le retour « d’un festival «politique», «communautaire» et «intergénérationnel». (4) Les guillemets demeurent, car les aspects communautaires et intergénérationnels se retrouvent déjà au sein de la programmation de Fierté Montréal, même si ce n’est pas toujours très visible dans les reportages des médias grand public. Et l’aspect politique est véhiculer via les revendications de certains groupes communautaires. Néanmoins, comme le stipule Shannon Thompson, qui coorganise le Wild Pride avec Yara Coussa, « l’idée c’est d’offrir le choix à la communauté LGBTQ+. »
Avoir le choix, c’est probablement le plus bel hommage à l’esprit de la communauté LGBTQIA2S+. Cependant, faire ce genre de choix amène une possible division, qui peut affaiblir le mouvement… À l’instar de Fierté Montréal, Fierté Indomptable ne sera probablement pas à l’abri des critiques et des prises de position, que seuls le temps et les évènements sociopolitiques sauront révéler. Cela dit, peu importe la voix/voie que vous emprunterez, bonne Fierté!
Fierté Montréal se tiendra du 31 juillet au 10 août. https://fiertemontreal.com/fr/festival/evenements
Fierté Indomptable/Wild Pride aux lieu lieu du 30 juillet au 17 août https://linktr.ee/wildpride
Sources des citations:
1. https://ici.radio-canada.ca/nouvelle/2165871/fierte-montreal-critiques-lesbo-queer-organismes
2. https://fiertemontreal.com/fr/actualites/communique-de-presse-30-avril-2025
3. https://www.cbc.ca/arts/pervers-cite-is-an-alternative-pride-that-s-refreshingly-unlikely-to-be-sponsored-by-a-bank-1.4776632
4. https://www.24heures.ca/2025/06/03/fierte-indomptable-le-nouveau-festival-queer-aura-lieu-en-meme-temps-que-fierte-montreal
Le triste constat dans tout ça, c’est que ça crée des divisions dans certaines communautés qui constituent l’ensemble de nos communautés 2ELGBTQIA+. Le RLQ se retire de Fierté Montréal, alors que les Archives lesbiennes du Québec collabore à un projet avec Fierté Montréal. La communauté trans est aussi divisée. Des personnes trans qui ont des choses à raconter se font conspuer par d’autres qui leur reproche de ne pas être assez militantes, et certaines ne se reconnaissent plus dans l’ATQ. La première priorité après le festival est d’établir un dialogue, car l’union fait la force, alors que nos communautés sont attaquées de toutes parts par une droite montante.