Même si les personnes LGBTQ peuvent désormais vivre leurs amours plus ouvertement et en sécurité que jamais, plusieurs se tournent vers les applis/sites de rencontre, délaissant les lieux publics ou les occasions de flirt en personne. Que ce soit dans l’autobus, au gym ou à la maison, c’est souvent le téléphone qui devient le terrain de chasse. À partir de sa propre expérience, Noah, un lecteur au début de la trentaine, se penche sur les mauvaises habitudes qu’il a développées en 10 ans à force de jouer à ce jeu.
Pour celles et ceux qui cherchent un rush passager, perdre des heures à évaluer les profils et attendre la réponse de la personne idéale, c’est ce qu’on appelle jouer au « jeu des options ». Le problème, c’est que cette dynamique nous garde souvent dans un cycle d’isolement et d’attente, à espérer qu’un fantasme devienne réalité. Au lieu de vraies connexions, on devient tous des options dans la quête d’un orgasme.
« Je ne fais que regarder ? »
À Montréal, on vit littéralement l’un sur l’autre. Que tu sois dans le Village, sur le Plateau, dans Homa ou aux alentours des quatre universités, il suffit d’un coup de pouce sur son cell pour voir défiler près de 100 profils, tous à moins de 5 km (dans certains cas ou certains weekends à moins de 1 km…). Le moins qu’on puisse dire, c’est que les applis gaies rendent la navigation rapide, avec des infos claires : rôle sexuel (top, bottom, vers ou side), préférences, et parfois même l’option « amis avec bénéfices ».
Malgré la possibilité de vivre ouvertement, ou peut-être à cause de cette accessibilité instantanée, bien des gars terminent leurs rencontres sexuelles sans même se souvenir du prénom de l’autre. Et souvent, on ne se revoit jamais.
Piégé dans le jeu des options, je constate que j’ai gaspillé beaucoup de temps à attendre celui qui cochait toutes les cases, au lieu de répondre au premier gars respectueux qui m’écrivait. Alors que beaucoup de femmes préfèrent encore passer par des rendez-vous plutôt que de chercher directement une aventure, les hommes, eux, sont socialisés à poursuivre le sexe, en plus d’avoir la testostérone dans le tapis. Dans un univers où le désir est déjà amplifié et les hormones en feu, il n’est pas surprenant donc que le sexe soit plus facilement accessible entre hommes gais, bis ou curieux.
Avant l’arrivée des applis modernes, il y avait Manhunt, Manline et cie. À mes débuts, ces sites étaient déjà passés de la discussion amicale à l’échange direct de photos explicites. Pas de « salut », juste des dick pics et des photos de fesses à la chaîne. Aujourd’hui, si Grindr est la grande référence, elle n’est pas la seule entreprise à offrir ce service… heureusement. Et malgré ses 15 millions d’utilisateurs mensuels, les connexions ne sont pas garanties.
J’y ai souvent fait face à des refus liés à des stéréotypes racistes associés à mon identité de gars noir — je suis de descendance haïtienne, bien que né au Québec —, comme le cliché du big black cock (BBC) qui fétichise les hommes noirs et les limite au rôle de tops. Je trouve ce terme offensant au plus haut point. Être minorisé dans une mer de minorités m’a souvent ramené à la solitude — mais au moins je ne me faisais pas traiter comme un acteur porno.
La pression constante de définir son niveau de masculinité
Comparé à Grindr, Jack’d attire davantage d’hommes racisés et Scruff des types physiques plus diversifiés — c’est d’ailleurs mes applis de prédilection pour « jouer », bien que j’ai redécouvert récemment Gay411, que j’avais délaissée. Cela dit, même sur Scruff, Jack’d et Gay411, le culte de la masculinité toxique continue de régner. Beaucoup se sentent obligés d’agir straight pour plaire. Dans certaines communautés gaies noires, les hommes qu’on appelle trade — virils, discrets, au style de rue — sont souvent glorifiés, au détriment de la gentillesse ou du charisme. Ce modèle hétéronormatif pousse certains à jouer un rôle qui ne correspond pas nécessairement à ce qu’ils sont, uniquement pour décrocher une baise rapide.
Les butch queens, ces gars à l’identité hybride, masculine et féminine, sont souvent mal compris. J’ai entendu des commentaires du genre : « Je pensais qu’il était straight jusqu’à ce qu’il parle » ou encore « Il est gai, mais il devient agressif si tu montres trop d’affection. » Par peur d’avoir l’air « trop fem », plusieurs se camouflent. Ce n’est pas leur vérité intérieure qui parle, mais une stratégie de survie. Comme gars vers-top avec des allures viriles, je suis bien placé pour savoir que la douceur — la liberté d’être expressif, même si c’est perçu comme féminin ou ridicule — ne figure pas haut dans les critères de plusieurs hommes gais. Moi aussi, je me suis déjà fabriqué une armure de virilité pour plaire à un butch queen ou à un trade. Mais, au final, ces échanges manquent souvent de substance, des deux côtés.
Premier venu, pas toujours meilleur choix
Attendre le « match parfait », c’est souvent une perte de temps. Mais sauter sur le premier venu sans savoir à qui l’on a affaire, ce n’est pas mieux. Une fois, un gars m’a envoyé ses photos : beau visage, corps sculpté. Je vais chez lui pour ce que je croyais être une connexion tranquille. Mais il est déjà tout nu. On commence les préliminaires dans le salon. Avant de passer à l’acte, il part à la salle de bain, allume un bong et m’offre une bouffée. Devant mon hésitation, il me dit : « C’est juste des poppers, ça fait pas de mal. » Je voulais paraître cool, alors j’ai tiré une bouffée. Dès la première inhalation, mon corps s’est embrasé.
On a commencé à baiser. Mais après quelques minutes, j’ai éjaculé. J’ai tenté de me « remettre dedans » sans succès. J’ai essayé pendant deux heures, sans résultat. Le soleil s’est levé. J’avais perdu ma nuit… et ma lucidité.
Rétrospectivement, je suis persuadé qu’il m’a fait fumer du crystal meth sans mon consentement. Ce fut un signal d’alarme. Je me suis dit « shame on him », mais j’ai aussi dit « oui ». Maintenant, je me dis : si tu te sens mal à l’aise ou sous pression, pars. Je suis reconnaissant d’avoir appris cette leçon — le crystal, ce n’est pas pour moi. Et maintenant, je fais attention à ce que je laisse entrer dans mon corps.
Se choisir comme première option
Un jour, un ami m’a informé que mes photos circulaient sur un site de petites annonces pour travailleur du sexe. J’étais furieux. Quelqu’un avait probablement pris mes images sur les réseaux sociaux ou fait des captures sur une appli. Après avoir tout essayé pour les faire retirer, j’ai décidé de ne plus afficher mon visage sur mes photos explicites que j’utilise sur les applis de rencontres rapides.
À force d’observer, j’ai compris que la masculinité n’a pas besoin d’être le noyau de ma personnalité. J’ai aussi adopté une sexualité plus sécuritaire — j’en parle ouvertement, je passe des tests réguliers pour les ITSS, je prends la PrEp et la Doxy Pep. Avec du recul, je regrette de m’être tant négligé pour satisfaire les désirs des autres. Se faire valider sexuellement, c’est rarement satisfaisant. Aujourd’hui, je prends un peu plus le temps de créer des connexions réelles avant de baiser avec quelqu’un.
Depuis, je sors au théâtre ou voir des shows de danse, je vais au resto avec des hommes qui se montrent plus gentils, je ressors à nouveau dans les bars d’abord pour prendre un verre et discuter avec des gars et tant mieux s’il y a une connexion qui donne le goût de baiser ensuite. Le pire avec le jeu des options ? C’est que souvent, ça se finit entre une bouteille de lubrifiant et ta propre main. Peut-être que la meilleure option, c’est d’abord de se choisir soi-même.