Mercredi, 29 octobre 2025
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    Quand la retraite rime avec isolement

    Si pour des personnes, la retraite est associée à la détente, au temps libre, aux voyages et aux projets personnels. Mais pour plusieurs aîné·es LGBTQ+, cette étape de vie marque plutôt un point de bascule : perte du milieu de travail où l’on se sentait reconnu·e, réduction d’un réseau social déjà mince, éloignement ou décès de membres de la famille choisie, disparition d’ami·es emporté·es par la crise du sida, et impression d’être devenu·e invisible dans une culture LGBTQ+ qui valorise très souvent l’énergie jeune et la performativité de l’image. Ces réalités peuvent peser lourd sur la santé mentale, parfois plus que la société ne le réalise.

    Pierre, 72 ans, Montréal
    « Quand j’ai pris ma retraite, je croyais naïvement que j’allais enfin me reposer. Pendant quarante ans, j’ai travaillé dans une entreprise, où mes collègues savaient que j’étais gai et m’acceptaient tel que j’étais. Ce n’était pas juste un emploi : c’était un espace où je pouvais respirer, rire, et me sentir utile. Quand ça s’est terminé, j’ai eu l’impression qu’on m’avait retiré une partie de mon identité. » Pierre vit seul depuis le décès de son conjoint, il y a quinze ans. Ses amis proches, pour la plupart rencontrés dans les années 1980, sont soit décédés, soit vivent loin. « On se parle sur Zoom, mais ce n’est pas pareil que de partager un repas ou d’aller au cinéma ensemble. »

    Il se sent aussi en décalage avec certains espaces LGBTQ+ actuels : « Quand je vais dans un bar, j’ai souvent l’impression d’être un intrus. Le regard des jeunes est souvent bienveillant, mais parfois je sens qu’ils se demandent ce que je fais là. Certains pensent que je me recherche un prostitué. Les événements sont souvent centrés sur l’apparence, la séduction, la danse jusqu’à 3 h du matin… Moi, je veux juste jaser, mais je ne trouve pas toujours ma place. »

    Pierre a connu une période de dépression légère après sa retraite : perte d’appétit, fatigue, désintérêt pour ses passe-temps. Durant l’entrevue, on lui parle de l’ARC qu’il ne connait pas. «Je pense sérieusement groupe de soutien pour aîné·es LGBTQ+ m’aurait aidé à remonter la pente. Entendre d’autres personnes raconter exactement ce que je vivais, ça m’aurait réconforté. On se comprend sans avoir à tout e Lise, 75 ans, Québec Lise a vécu la majeure partie de sa vie professionnelle dans un milieu où elle n’avait pas fait son coming out complet. « Je travaillais comme enseignante, et même si mes collègues étaient gentils, j’avais peur des préjugés. Ma conjointe et moi étions ensemble depuis 27 ans, mais je parlais rarement d’elle au travail. »

    À la retraite, elle espérait profiter de son temps avec sa partenaire, voyager et s’impliquer dans la vie communautaire. Mais la maladie a frappé : sa conjointe est décédée d’un cancer, trois ans après le début de leur retraite. « J’ai perdu ma moitié, et en plus, je n’avais pas un grand réseau autour. Ma famille biologique ne m’a jamais vraiment acceptée. »

    Lise s’est tournée vers des activités sociales locales, mais s’est vite rendu compte qu’elle était souvent la seule personne ouvertement lesbienne dans les groupes d’aînés. « J’étais polie, mais je me sentais toujours un peu à part. Et puis, il y a des commentaires qui ne sont pas méchants, mais qui rappellent que tu n’es pas comme les autres. »

    Elle a également ressenti un sentiment de « déconnexion » avec une partie du milieu LGBTQ+ : « Quand je vois les affiches ou les photos des événements, je me reconnais rarement. C’est beaucoup de visages jeunes, d’images très dynamiques. Je comprends que ça attire du monde, mais ça donne l’impression que passé un certain âge, on n’existe plus. »

    Entre invisibilité et résilience
    Les récits de Pierre et Lise reflètent une réalité que plusieurs recherches confirment : les aîné·es LGBTQ+ font face à des facteurs de risque accrus pour la santé mentale, notamment l’isolement social, la perte de soutien, et l’homophobie ou la transphobie persistantes. Historiquement, beaucoup ont dû cacher leur orientation ou identité de genre pendant une partie de leur vie, ce qui a pu freiner le développement de réseaux solides. La crise du sida des années 1980-1990 a aussi profondément marqué leur génération, emportant des ami·es, des amant·es et des mentors, et laissant des cicatrices émotionnelles qui rejaillissent parfois au moment de la retraite.

    L’impression de ne plus être représenté·e dans les espaces communautaires peut aussi accentuer le sentiment d’isolement. Les lieux LGBTQ+ restent souvent centrés sur des codes et des rythmes de vie plus jeunes : culture nocturne, esthétique corporelle valorisant la performance physique, usage intensif des réseaux sociaux. Pour les aîné·es, ces environnements peuvent sembler étrangers, voire excluants.

    Vieillir en tant que personne LGBTQ+ ne devrait pas signifier disparaître des radars sociaux ou communautaires. Les histoires de Pierre et Lise nous rappellent que derrière les sourires des photos de retraite, il y a parfois une solitude lourde, amplifiée par l’invisibilité et le manque de reconnaissance.

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