Spectacle hommage à ses origines et surtout à son père, le chorégraphe Sidi Larbi Cherkaoui ose, avec Ihsane, se plonger dans ses racines. Un spectacle grandiose, où chaque détail compte : le geste, la musique, le chant, jusqu’aux moindres coutures des costumes. Un véritable travail d’orfèvre, conçu pour éblouir, mais aussi pour rappeler l’importance de la bienveillance. Ihsane, en arabe, évoque la bonté, la gentillesse et l’harmonie. Le spectacle sera présenté à Montréal dans le cadre de Danse Danse, du 1er au 4 octobre 2025.
Dès le début de l’entrevue, Sidi Larbi Cherkaoui insiste sur ce qui lui tient à cœur en s’adressant à un magazine LGBTQ+. Ihsane est aussi le prénom d’un jeune homme, comme lui, né d’une mère flamande et d’un père marocain, qui a été battu à mort à la sortie d’un bar gai de Bruxelles en 2012. «Nous avions le même âge, des origines semblables et nous étions gais, se souvient avec émotion le chorégraphe. J’ai rencontré son père, professeur d’islam, qui a fondé une association pour lutter contre l’homophobie. L’histoire d’Ihsane et de son assassinat ne m’a jamais quitté.» Sa mémoire est d’ailleurs évoquée dans la pièce.

Ihsane prend sa source dans une quête de la culture paternelle, sans être pour autant une autobiographie dansée. Des références à la culture marocaine se mêlent à des échos du présent, par le choix des musiques, des voix et des images projetées sur écran. « Mon père est mort quand j’avais 19 ans, confie Sidi Larbi Cherkaoui. J’ai eu une relation complexe avec lui. Et peut-être parce que j’arrive à la cinquantaine, j’ai eu envie de réfléchir à ce qu’il m’avait transmis, souvent à mon insu. »
Le spectacle se déploie en grand : sur scène, 26 danseurs et danseuses, un chanteur, une chanteuse et un quatuor de musiciens. « Les musiciens et chanteurs viennent de différentes régions du monde arabe. La chanteuse est libanaise. J’avais envie de voir comment ils et elles pouvaient s’intégrer aux danseurs du Ballet du Grand Théâtre de Genève, dont je suis le directeur artistique depuis trois ans, ainsi qu’aux quatre danseurs de ma propre compagnie, Eastman, basée en Flandre. Les interprètes viennent de partout, et il était touchant de les voir découvrir le monde arabe et créer des liens à travers l’art, la musique, le chant et la danse. Sur scène, cela donne un univers hybride qui fait toute la richesse de la pièce. »
Pour l’artiste, l’art vivant est un accélérateur de rencontres entre nos racines, ce qui nous est familier, et ce qui semble étranger. De cette tension naît la possibilité de véritables dialogues.

Dans ce voyage intérieur, Sidi Larbi Cherkaoui ne s’impose aucune limite. Il tente de rendre compte d’une culture flamboyante, intense et colorée, où le chant, la musique et la danse se conjuguent. La culture marocaine y est revisitée dans un parcours onirique ponctué de retours aux réalités contemporaines : la dénonciation de la masculinité toxique, de l’homophobie ou encore du racisme. Entre un présent parfois désespérant et un ailleurs rêvé, porteur d’espérances. « C’est vrai que je vois grand. Mais quand on est issu de deux cultures, comme moi, on apprend souvent à se faire petit, à ne pas déranger. J’ai dû me cacher comme Arabe, puis comme gai, et passer beaucoup de temps à clarifier qui j’étais. Avec Ihsane, j’ai voulu créer quelque chose de vaste, mais aussi un espace sécuritaire, un temple où je peux vivre toutes mes émotions et exprimer pleinement ce que je suis. »
Chaque détail compte, même pour l’œil du profane : la scénographie d’Amine Amharech, la musique de Jasser Haj Youssef, ou encore les costumes somptueux d’Amine Boudriouich. « J’ai toujours aimé travailler en étroite collaboration avec toutes les personnes impliquées, dit-il. C’est parfois difficile, mais j’ai besoin de leurs retours. Je me vois comme un chef d’orchestre : c’est exigeant, mais extrêmement enrichissant. Même si, parfois, certains danseurs auraient voulu m’étrangler (rires !) tellement j’insistais sur les détails. »

Spectacle hommage au père, comme il l’avait fait avec Vlaemsch autour de sa mère en 2022, Sidi Larbi Cherkaoui y affirme aussi sa propre identité, affranchie des obstacles qui l’ont façonné. « Mon père me répétait que l’art ne m’aiderait pas, ne me sauverait pas. Mais il parlait de sa propre expérience, celle d’un homme qui avait renoncé à ses passions. Pour moi, c’est l’inverse : l’art m’a sauvé. Malheureusement, mon père ne le saura jamais. C’est aussi là que réside la tragédie », confie le chorégraphe.
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Il faut donc se laisser envoûter par la musique et la danse, se laisser guider par les émotions mêlées. Car il y est aussi question de violence et de rencontre : rencontrer « l’étrange étranger » peut susciter plus de curiosité que de peur. « Nous avons besoin de bienveillance les uns envers les autres. Quand on regarde ce qui se passe aujourd’hui dans le monde, au Moyen-Orient entre autres, c’est ce que je veux offrir avec Ihsane : un lien entre l’histoire, mon passé et le présent, entre les différentes communautés. En somme, une invitation à se rencontrer », conclut Sidi Larbi Cherkaoui.
INFOS | Ishane Dans le cadre de Danse-Danse, du 1er au 4 octobre 2025, au Théâtre Maisonneuve, dansedanse.ca Chorégraphe : Sidi Larbi Cherkaoui. Production Ballet du Grand Théâtre de Genève