Mercredi, 29 octobre 2025
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    Le bon queer respectable

    Je scrollais sur Instagram un soir où j’aurais clairement dû faire autre chose (genre dormir). Je suis tombé sur une vidéo d’un jeune gay d’à peine vingt ans. Le gars disait qu’il avait honte des drags, des gays extravagants, de ceux qui en font « trop ». Selon lui, ça donne une mauvaise image, ça nuit à la cause. J’ai lâché mon cell. Pas fâché, juste écoeuré. Ça me dépasse qu’il y en ait encore qui pensent qu’il vaut mieux être un « bon queer » tranquille, qui dérange personne. On cherche encore à être validé, à paraître « comme tout le monde ».

    Moi, j’ai jamais su être discret. Même si je voulais, je pourrais pas. Je boite depuis que je suis petit. Pas beaucoup, juste assez pour que ça attire l’attention. J’ai compris assez tôt qu’il y a des gens qui n’ont pas le luxe de passer inaperçus. Alors, aussi bien décider comment on veut vivre avec le regard des autres. C’est pour ça que ce discours me gosse autant. Il part de l’idée que ceux qui se fondent dans le décor valent plus que ceux qui détonnent. Pourtant, dans notre histoire, ce n’est pas en se conformant qu’on a obtenu quoi que ce soit.

    Si la communauté avait toujours joué ça « safe », on serait encore cachés dans des apparts aux rideaux fermés, de peur de se faire pogner. On n’aurait pas de droits, pas de Pride, pas même un film de Noël quétaine et queer sur Netflix. Rien. Tout ce qu’on tient pour acquis, on le doit à celles et ceux qui ont pris des risques, qui ont osé se montrer quand c’était dangereux. On les pointait du doigt, on les insultait, on les arrêtait pour « trouble à la paix ». On les traitait de tapettes, de folles, de dégénérés. Ils ont tenu tête pendant que le reste de la société les regardait de travers.

    Aujourd’hui encore, on a besoin de ces gens-là. Ceux qui sortent du cadre, qui refusent de se tasser. Y’en a toujours pour les trouver « trop » : trop flamboyants, trop visibles, trop tout. Mais se cacher fait pas avancer grand-chose. Se taire non plus. Je dis pas que tout le monde doit militer, s’afficher ou défiler en cuir sur un char allégorique. C’est correct de vouloir vivre sa vie tranquille, sans forcément se reconnaître dans la culture LGBTQ+. Mais de là à dire que ceux qui se montrent trop « nuisent à la cause » ? Mais c’est quoi, la cause, au juste ? Être accepté seulement si on évite les malaises ? Ça, ce n’est pas une cause. C’est un compromis.

    On dirait que beaucoup confondent liberté et confort. Être libre, c’est pouvoir être soi, même si ça fait lever les yeux au ciel. Le confort, c’est faire comme les autres pour pas faire jaser. On le voit souvent : des gens convaincus qu’on gagnerait le respect du monde si on restait sages et bien habillés. C’est faux. L’histoire l’a prouvé mille fois. Peu importe qu’on porte un crop top ou une chemise Ralph Lauren, ceux qui veulent nous mépriser trouveront toujours une raison. Fait qu’à quoi bon essayer de leur plaire ?

    Des fois, j’envie ceux qui peuvent passer inaperçus. Ça doit être reposant de pas toujours attirer le regard. En même temps, je sais que je m’y perdrais. J’ai déjà essayé d’avoir l’air plus « normal », de marcher droit dans tous les sens du terme. Mais à chaque fois, je me sentais pas moi-même. Pis je le faisais clairement pour les mauvaises raisons. C’est peut-être pour ça que j’ai autant de respect pour le monde qui s’assume pour vrai. Ces gens-là se tiennent debout, peu importe qui regarde.

    C’est ironique, pareil. On s’est battu pendant des décennies pour avoir le droit d’être nous-mêmes, et maintenant qu’on le peut, on juge ceux qui se démarquent trop à notre goût. On se met à dire qu’il y a une bonne et une mauvaise façon d’être queer : les discrets, ceux qui passent bien dans un brunch de famille, pis les autres, un peu trop voyants, qu’on préfère ne pas inviter.

    J’essaie de pas tomber là-dedans. Pas pour faire la morale, mais pour éviter de reproduire ce qu’on a subi. Quand je me surprends à juger, je me demande d’où ça vient. Souvent, c’est juste de la peur. La peur d’être associé, d’être vu, d’être dévisagé encore une fois. Mon boitement m’a appris une chose : t’as beau craindre le regard, il est là pareil. Alors autant marcher quand même.

    Et au gars de la vidéo, je lui en veux pas tant que ça. Peut-être qu’il répète juste ce qu’on lui a appris : pour être accepté, faut pas déranger. Quelque part, il me rappelle pourquoi il faut continuer à se montrer, même quand ça déplaît. Parce que si aujourd’hui, il a le luxe de dire publiquement qu’il est gay et qu’il a honte de certains d’entre nous, c’est justement grâce à celles et ceux qui ont refusé de se faire discrets.

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