Après un mariage de convenance, Reza voit son amoureux tué en pleine rue et fuit l’Iran pour sauver sa peau. En Europe, il croise Saad, un Marocain qui a quitté son pays natal pour goûter à la liberté d’être et d’aimer. Ensemble, ils arrivent clandestinement à Montréal. Tandis que Reza doit vivre dans l’ombre, Saad, qui a trouvé le moyen d’effacer les traces de son identité, tente de sauver celui qu’il aime en se glissant dans les draps d’un adjoint de la ministre de l’Immigration. Leur histoire poignante est au cœur du film On sera heureux (en salles dès le 7 novembre), scénarisé par Michel Marc Bouchard et réalisé par Léa Pool.
Michel Marc, tu as surtout écrit des histoires qui se déroulent au Québec, même si plusieurs des enjeux que tu abordes sont universels. D’où vient ton désir d’écrire sur des réfugiés homosexuels ?
Michel Marc Bouchard : J’ai rencontré plusieurs hommes et femmes vivant cette situation, que ce soit grâce au festival de films LGBTQ+ afro Massimadi ou lors de festivals de théâtre à travers la francophonie, où j’ai croisé des Africains homosexuels qui partageaient leurs souffrances. Ce sont des gens en exil dans leur propre pays. Ce sujet-là m’est resté en tête. Je voulais témoigner de leurs douleurs tout en racontant une histoire d’amour complexe, pleine de zones d’ombre.

Léa, quelle a été ta réaction à la lecture du scénario ?
Léa Pool : J’avais d’abord été approchée pour être script-éditrice — donc collaborer à la scénarisation, surtout pour la dimension cinématographique — puisque Michel Marc avait écrit surtout du théâtre. Quand j’ai lu le scénario, j’ai été immédiatement emballée. À La première version était déjà très touchante. J’étais bouleversée par cette histoire. J’ai aimé la solidarité entre les trois personnages, qui finissent, après un long cheminement, par se dévoiler et risquer beaucoup pour sauver l’un des leurs.
Qu’est-ce qui t’a poussée à réaliser le film ?
Léa Pool : Je me suis demandé si j’étais la bonne personne pour le faire, parce que c’est un grand défi de réalisation — autant sur le plan dramaturgique que par la complexité du scénario. C’est un projet d’envergure. Je n’aurais pas pu le tourner au début de ma carrière, mais aujourd’hui, j’ai l’expérience nécessaire pour l’assumer pleinement.
Qu’avez-vous fait pour bien représenter vos personnages issus d’une culture étrangère ?
Michel Marc Bouchard : En plus des témoignages que j’avais reçus, j’ai discuté avec des conseillers en immigration pour mieux comprendre les réalités administratives et humaines. Ce n’est pas un documentaire, mais une fiction. Et je revendique encore le droit d’écrire « l’Autre ». Cela dit, notre équipe comptait des personnes marocaines et iraniennes. Lors des lectures préliminaires, certaines précisions culturelles nous ont été signalées et on a ajusté des détails, tout en gardant la trajectoire amoureuse au centre du film.
Léa Pool : Pendant la préparation et le tournage, les comédiens ont apporté énormément de nuances. Pas tant sur le fond, qui était clair pour eux, mais sur la façon dont certaines choses se vivent vraiment dans leurs pays : par exemple la manière dont on se fait arrêter en Iran, la pendaison, le mariage forcé pour cacher son orientation sexuelle… Grâce à eux, on a pu s’appuyer sur une authenticité vécue.
Michel Marc Bouchard : Oui, et il faut parler aussi de la pudeur de Reza face à son homosexualité. Quand il doit exposer son intimité en public pour prouver son orientation sexuelle, ça lui est insupportable, ça fait partie de sa culture d’être pudique à ce sujet. Même s’il avait été hétéro, il n’aurait pas voulu en parler. C’était important de respecter cette pudeur-là.
En quoi le film est-il enrichi par vos regards de scénariste et de réalisatrice qui comprennent, de l’intérieur, ce que c’est de ne pas être hétéro et de vivre en marge ?
Michel Marc Bouchard : Je ne sais pas trop comment répondre à ça. Je me considère comme faisant partie de la majorité de la société. Je ne sais plus si je comprends davantage certaines choses simplement parce que je suis gai. Honnêtement, je ne sais plus…
Léa Pool : J’ai été hétéro durant la première partie de ma vie. Quand j’ai découvert la part homosexuelle de mon identité, j’ai ressenti une sorte de timidité à l’idée de m’identifier, d’adopter les codes de la communauté lesbienne. Même aujourd’hui, je ne peux pas dire que je suis totalement à l’aise. C’est une culture en soi. Alors, ça me permet de comprendre que les codes des personnages, les miens et ceux de Michel Marc sont différents, et qu’il faut naviguer là-dedans avec respect et bienveillance.
Michel Marc Bouchard : Je m’identifie plus facilement à Laurent et à sa modernité. C’est un homme qui ne se cache pas et qui vit librement dans sa société. Je ne peux pas m’identifier au parcours de Reza et Saad : je me considère davantage comme un témoin. C’est le propre de tout créateur d’être sensible à ce que vivent les autres.

Saad et Reza sont en mode survie, mais pas de la même façon. En quoi diffèrent-ils ?
Michel Marc Bouchard : Reza fait face à un avis d’expulsion : il doit se cacher, vivre reclus. Saad, lui, a une certaine liberté de mouvement, car il n’est pas identifiable par les autorités. Il se donne une mission quasi héroïque, qui sera ébranlée par ses sentiments pour Laurent.
Léa Pool : Ils n’ont effectivement pas le même parcours. Reza a vu son amoureux se faire assassiner en Iran. Il a quitté sa famille dans la honte et ne sait pas ce qui l’attend. Saad, lui, aurait pu rester au Maroc : il n’était pas menacé de mort, mais il ne pouvait pas vivre la vie qui l’intéressait. Il a donc fait un choix personnel d’exil. Et comme il parle français, son intégration au Québec est plus aisée.
Qu’est-ce qui a orienté vos choix d’acteurs pour incarner Reza, Saad et Laurent ?
Léa Pool : Pour Reza, on a eu la chance extraordinaire de trouver Aaron Archer. En auditions, deux jeunes acteurs iraniens pouvaient correspondre physiquement au rôle, mais Aaron était le seul à parler le farsi. Et il est formidable. Il vit à Montréal, mais ses parents sont toujours en Iran, ce qui rendait le rôle encore plus risqué pour lui.
Michel Marc Bouchard : En fait, la majorité des acteurs potentiels avaient décliné l’audition pour des raisons religieuses. Pour Saad, nous connaissions déjà Mehdi Meskar, qu’on avait vu dans la série Le Monstre. Aux auditions, il a été impeccable.
Léa Pool : Quant au personnage de Laurent, je rêvais de tourner avec Alexandre Landry, que j’admire depuis plusieurs années. Il incarne Laurent avec une sensibilité désarmante.
Était-ce une évidence pour vous de montrer la pendaison d’homosexuels en Iran dès le début du film ?
Michel Marc Bouchard : Absolument. Il fallait montrer ce dont on parle : la mort. Ce n’est pas une menace symbolique, c’est une réalité. Il y a eu plus de 1000 exécutions en Iran l’an dernier, pour des raisons politiques, religieuses ou liées à l’orientation sexuelle. Il fallait ancrer le film dans cette vérité brutale.
À travers leurs parcours, on assiste à deux itinéraires de migration clandestine qui s’entrecroisent jusqu’au Canada. Cela implique des scènes tournées à l’étranger. Comment avez-vous réussi à tout réaliser en termes de budget et de logistique ?
Léa Pool : On a tourné au Maroc, dans des lieux très variés, mais on a dû retrancher certaines scènes pour obtenir le droit d’y filmer, à cause de la censure. On a aussi tourné quinze jours au Luxembourg, puisque le tiers du financement venait de là. Le budget total était de six millions de dollars. J’ai fait des choix stratégiques pour que tout soit réalisable. Avec Élise de Blois, la directrice artistique, on a effectué énormément de recherches pour créer un univers crédible dans nos contraintes. Je me suis battue pour faire venir des acteurs iraniens de Montréal au Maroc, malgré les coûts supplémentaires. Tout cela était extrêmement complexe, mais nécessaire pour la vérité du film.
INFOS | ON SERA HEUREUX sera présenté en ouverture du Festival Cinémania avant de sortir en salles au Québec.
Une présentation spéciale du film aura également lieu durant le festival international de films LGBTQueer, image et nation, suivie d’une discussion avec la réalisatrice et l’auteur. Plus de détails sur https://image-nation.org

