Mercredi, 15 octobre 2025
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    L’affaire Tony Sfeir, un mauvais précédent pour les droits trans?

    Un jugement récent de la Cour Supérieure de l’Ontario, R. c. Tony SFEIR, a provoqué tant du côté des communautés queers et trans que du côté de ses détracteurs des spéculations que cela impliquerait que les personnes trans doivent déclarer le fait qu’elles sont trans pour respecter le consentement libre et éclairé de leurs partenaires sexuels. Y a-t-il donc des limites à explorer son identité sexuelle et de genre au sens de la loi? Pour voir plus clair dans cette histoire nébuleuse et les questionnements judiciaires qu’elle soulève, Fugues s’est entretenu avec un avocat criminaliste qui se fait rassurant. 

    Tony Sfeir a été condamné à 28 mois de prison pour avoir violé l’intégrité sexuelle de ses victimes et de les avoir agressées sexuellement, deux hommes qu’il a rusé à avoir du sexe anonyme avec lui à travers un glory hole en prétendant être une femme. 

    En résumé, Tony Sfeir communiquait avec ses victimes sur des applications de rencontre en utilisant le nom d’Angela et des photos de femme, qu’il a invité à avoir des rapports sexuels anonymes par l’entremise d’un glory hole chez lui. Alors que Tony Sfeir performait une fellation sur une de ses victimes à travers ce glory hole, il a soudainement inséré le pénis de la victime dans sa cavité anale sans préavis, ce qui a justifié le crime d’agression sexuelle car le consentement n’a pas été obtenu. La victime dit avoir alors remarqué que la personne de l’autre côté du glory hole n’était pas une femme, car elle n’avait pas l’impression d’être en contact sexuel avec un vagin. 

    La cour a déterminé que Tony Sfeir utilisait les images d’une femme fictive, donc il n’a pas été reconnu coupable de l’accusation d’avoir personnifié une femme en bout de ligne, mais le fait qu’il ait rusé des hommes à avoir du sexe avec lui croyant qu’il était une femme a quand même pesé dans la balance comme ayant violé leur consentement, car les victimes ne savaient pas qu’elles couchaient en réalité avec un homme. Le condamné a tenté de se faire entendre en cour d’appel, sans succès. Les victimes n’ont pas fait assez attention et la cour les a déresponsabilisés, aux yeux de Me Eric Sutton, qui s’est dit très surpris que le cas ait abouti en cour criminelle. « Cela revient aux victimes de poser plus de questions avec qui l’on choisit d’avoir des rapports sexuels. La même logique s’applique à un adulte qui couche avec quelqu’un qui n’a pas 18 ans et qui n’a pas posé la question. L’administration publique a des responsabilités et ne devrait pas infantiliser les victimes comme elle l’a fait ici. 28 mois de prison pour un cas comme ça c’est énorme. »

    Puisque Tony Sfeir n’a pas invoqué questionner son genre ni être trans, ce jugement ne représente pas explicitement une menace aux droits LGBTQ+, mais il rappelle l’importance de ne pas induire en erreur sur qui l’on est et de respecter les principes du consentement, même si l’on veut expérimenter avec sa sexualité et son genre.

    Si Tony Sfeir avait dit être une femme ou soulevé le questionnement de son identité de genre, le dossier aurait eu une tournure différente. « En droit criminel il faut un mens rea, c’est-à-dire un esprit coupable, donc les personnes trans ne seraient pas concernées. Si quelqu’un se considère femme mais est biologiquement un homme, ou vice versa, la personne peut sincèrement croire qu’elle est de l’autre sexe. » 

    Toutefois, cette sincérité peut être remise en cause devant la justice. Sur la question de l’obligation à révéler la transidentité, l’avocat criminaliste Eric Sutton ne croit pas que ce type d’accusations criminelles n’affecterait les personnes trans, mais il met en garde qu’il y a toujours un risque de recours en justice, et qu’il est préférable de ne pas mentir si la question est posée pour bien se prémunir. « En 2025, c’est bien connu qu’une partie de la population est transgenre. Si la question n’est pas posée, je ne vois pas comment on peut imposer à la personne transgenre l’obligation de révéler quoi que ce soit, à moins que cette personne cherchait à tromper la vigilance de la “victime”. »
    Pour le criminaliste, cette affaire est un mauvais usage de l’argent des contribuables. « Les avocats de la poursuite et les tribunaux ont des ressources limitées, alors qu’il y a des victimes vulnérables et sans défense, donc je ne vois pas la pertinence, » dit-il.

    « Il y a des enfants victimes d’actes sexuels qui n’ont pas de ressources allocalisées dans les corps policiers pour enquêter, tandis qu’un cas comme celui de Tony Sfeir aurait dû être placé au bas de la liste de priorités, » déplore l’avocat.

    Des questions demeurent sans réponse dans cette affaire. Est-il possible que Tony Sfeir ait un trouble de personnalités multiples, ou qu’il questionne son identité de genre? Est-il possible que la culture d’origine de Tony Sfeir, un immigrant libanais, ait pu influencer son attitude sur son identité de genre, voire qu’il ait un manque d’éducation à cet effet? Selon Eric Sutton, l’avocat de Tony Sfeir aurait dû creuser plus loin dans ces questions de la défense, quoiqu’il souligne que « C’est aussi possible que Tony Sfeir ait simplement du plaisir sexuel en rusant des hommes à croire qu’il est de l’autre sexe. »

    Journaliste indépendante basée au Québec, Ophélie Dénommée-Marchand a été vérificatrice des faits et recherchiste de 2021 à 2025 chez Lead Stories, aux États-Unis, membre de l’International Fact-Checking Network. Depuis, elle a mené des enquêtes sur les réalités et les enjeux trans ainsi que sur la
    politique mohawk, entre autres.

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