Depuis l’invasion à grande échelle lancée par Vladimir Poutine en février 2022, Kharkiv, la deuxième plus grande ville du pays, subit des frappes incessantes : plus de 8 000 bâtiments — écoles et habitations comprises — ont été détruits, des milliers de personnes ont été tuées ou blessées et d’innombrables habitant·e·s ont fui vers Kyiv ou à l’étranger pour se mettre à l’abri. Mais malgré la guerre, les destructions et l’incertitude, la KharkivPride persiste.
Dès les premiers jours du conflit, Kharkiv a été identifiée comme l’une des cibles principales de la Russie, en raison de sa proximité avec la frontière (30 km), de son histoire et de ses infrastructures.
Traditionnellement russophone, Kharkiv fut un centre majeur de l’Empire russe et a même été la capitale de l’Ukraine soviétique entre 1919 et 1934.
Aujourd’hui, la ville demeure un pôle industriel, scientifique et culturel abritant plusieurs universités et instituts de recherche, ainsi que des entreprises employant des milliers de personnes dans les secteurs de la chimie, de l’énergie, des carburants et de l’agroalimentaire.
La ville et l’ensemble de l’oblast de Kharkiv — de plus en plus reconnu pour sa production agricole et détenteur des plus grandes réserves de gaz naturel d’Ukraine — contribuent de façon significative à l’économie nationale.
S’emparer de Kharkiv — qui comptait 1,4 million d’habitant·e·s avant la guerre — représenterait pour Poutine une victoire à la fois stratégique et symbolique.
En février 2022, les forces russes ont pris plusieurs villes et villages de l’oblast en progressant vers Kharkiv, sans parvenir toutefois à s’emparer de la capitale régionale.
Dans ces premiers jours, Kharkiv est devenue un puissant symbole de résistance. Le président Volodymyr Zelensky a d’ailleurs décerné à plusieurs villes, dont Kharkiv, le titre de Ville héroïque d’Ukraine.


Bien que la ville reste sous contrôle ukrainien, elle subit des bombardements continus. Les habitantes et habitants tentent d’y mener une vie quotidienne rythmée par les sirènes d’alerte, les coupures de courant et les ruines.
Pour les personnes LGBTQ+ de Kharkiv, une autre peur s’ajoute à celle de la guerre : la perspective de tomber sous la férule des politiques nationales profondément queerphobes de la Russie.
« C’est ma plus grande peur, confie Anna Sharyhina, co-organisatrice de KharkivPride et présidente de la Sphere Women’s Association, interrogée au sujet d’une liste qu’aurait établie la Russie d’activistes LGBTQ+. Je sais ce que cela signifie : violences sexuelles, violences physiques. Ils peuvent tabasser des gens pendant des heures. Nous avons, par exemple, un collègue du groupe LGBT+ Military qui a été captif pendant 20 mois. Je n’ai aucune idée de ce que je ferais dans un tel cas. Rien que d’y penser me pétrifie. »
Depuis dix ans, le gouvernement russe a adopté une série de lois qui, sans criminaliser formellement l’homosexualité, ont quasiment éradiqué les droits LGBTQ+ : interdiction totale des soins d’affirmation de genre pour les personnes trans, blocage de l’adoption d’enfants russes par des pays ayant des politiques trans-inclusives, et assimilation de l’activisme LGBTQ+ à de «l’extrémisme ».
En 2023, la Cour suprême russe a déclaré que le « mouvement public international LGBT » — non pas une organisation précise, mais un terme englobant l’ensemble de l’activisme LGBTQ+ — présentait des « signes et manifestations » de nature « extrémiste », évoquant un prétendu « appel à la discorde sociale et religieuse ».

La répression a entraîné des sanctions absurdes et sévères : un homme condamné à une amende pour avoir plaisanté qu’il avait « lancé le mouvement LGBTQ+ », des employé·e·s et gérant·e·s de bars queer emprisonné·e·s, plus de 50 fêtard·e·s interpellé·e·s lors d’une soirée, l’application d’apprentissage Duolingo contrainte de retirer ses contenus inclusifs, le dessin animé My Little Pony classé 18+, un étudiant gai expulsé de l’université pour des vidéos de maquillage, et la Elton John AIDS Foundation bannie pour atteinte aux « valeurs spirituelles et morales traditionnelles ».
Des témoignages font état de personnes présumées liées à la communauté LGBTQ+ détenues dans des conditions abjectes et mortes en détention.
Sharyhina admet qu’elle s’efforce de ne pas penser à ces menaces, préférant se concentrer sur son travail au service de sa communauté — LGBTQ+ et ukrainienne au sens large.
« Nous poursuivons notre combat, et je le poursuis même quand je suis à bout, dit-elle. Ce n’est pas seulement que je refuse de retourner dans le placard : je ne peux plus. La seule voie possible, c’est de lutter. Je suis épuisée, mais l’Ukraine est ma maison, et j’ai besoin que notre pays reste le nôtre — pas russe, parce que nous ne sommes pas russes. Nos partenaires nous ont conseillé de quitter Kharkiv pour d’autres villes, mais nous restons ici et nous continuons notre travail. »

Il est important de poursuivre le combat
Fondée en 2019, KharkivPride n’a pas pu maintenir ses activités habituelles au début de la guerre. Quelques mois après l’invasion, l’organisation a toutefois tenu une MetroPride : une marche puissante et résiliente dans le métro de Kharkiv, à l’abri à la fois des frappes aériennes russes et des groupes d’extrême droite qui cherchent habituellement à perturber violemment les événements.
Dans ces journées terribles, l’enjeu était de rester visibles. « Il était vraiment important de continuer le combat et de rester visibles dans ces circonstances », explique Sharyhina.
Au début, la communauté LGBTQ+ a choisi de se taire sur la revendication de l’égalité des droits pour se concentrer sur l’indépendance de l’Ukraine. Mais, accusée ensuite par certains de ne pas « se battre pour l’Ukraine », Sharyhina a conclu que les personnes LGBTQ+ « ne peuvent plus se taire ».

L’édition 2025 de KharkivPride s’est tenue du 30 août au 6 septembre sous le slogan : « Ensemble pour l’égalité et la victoire ». Les 30 et 31 août, le collectif a organisé un PrideFest, suivi le 5 septembre d’une commémoration des militaires LGBTQ+ tombé·e·s au combat, et s’est conclut le 6 septembre par une AutoPride, un convoi de voitures aux couleurs de l’arc-en-ciel à travers la ville.
Plus d’une demi-décennie après le premier KharkivPride — lorsque les organisateur·rice·s « rassemblaient les gens à partir de zéro » faute d’une scène queer visible — le mouvement continue de mobiliser.
« Notre centre communautaire est un espace sûr pour les personnes LGBT. Quand elles viennent, elles se sentent libres, elles peuvent être elles-mêmes et en être fières. Elles n’ont plus peur de faire leur coming out. Quand on a un lieu et qu’on rencontre des personnes comme soi — homosexuel·le, queer ou trans — on se (re)trouve », poursuit Sharyhina, qui affirme que cet espace inspire les habitant·e·s LGBTQ+. « Ensuite, elles viennent à la Pride, parce qu’elles sont prêtes à dire quelque chose sur leurs droits. »
Sources : PinkNews, The Guardian