Alors que les États-Unis se replient et réduisent leur appui aux droits LGBTQ+ à l’international, plusieurs organismes estiment que le Canada n’a plus le choix : il doit assumer le leadership mondial.
Cet automne, le premier ministre Mark Carney déposera son tout premier budget, annoncé comme un mélange d’austérité et d’investissements ciblés. Les groupes de défense des droits queer et trans attendent de voir s’il respectera les promesses formulées en campagne électorale et, plus récemment, lors de la levée du drapeau de la Fierté en juin. Ce jour-là, Carney avait affirmé : « À une époque où l’on assiste malheureusement à un recul face aux progrès réalisés, le Canada se tiendra toujours debout pour protéger les plus vulnérables et défendre les droits égaux auxquels nous tenons. »
Ces paroles, plusieurs comptent bien les lui rappeler quand viendra l’heure des choix budgétaires.
Un vide laissé par les États-Unis
La réduction draconienne de l’aide internationale américaine — amorcée sous Donald Trump et amplifiée depuis — a fragilisé des milliers d’organismes LGBTQ+ à travers le monde. L’USAID offrait non seulement du financement, mais aussi une infrastructure logistique dont dépendaient de nombreux autres pays donateurs. Ce réseau est désormais démantelé, laissant un vide énorme.
Jusqu’ici, Ottawa n’a pas démontré d’empressement à combler cette brèche, même si les conséquences sont déjà visibles, par exemple au Soudan. Ce retrait américain illustre ce à quoi ressemble l’effritement de l’ordre libéral mondial.
Deux programmes fédéraux sont au cœur des attentes :
- Le Programme d’aide internationale LGBTQ2I, qui ne représente actuellement que 0,1 % du budget global d’aide internationale du Canada. Le Dignity Network réclame de tripler ce financement pour atteindre 25 millions $ par année.
- Le Programme d’aide au parrainage de réfugiés Rainbow, crucial pour accueillir des personnes LGBTQ+ fuyant la persécution.
Le Canada est devenu le troisième plus important bailleur de fonds gouvernemental en matière de droits LGBTQ2S+ dans le monde. «C’est essentiel qu’il conserve ce rôle, surtout dans un moment international aussi difficile », insiste Doug Kerr, directeur général de Dignity Network Canada.
Rappelons que 62 pays criminalisent encore les relations entre personnes de même sexe, et que 7 d’entre eux appliquent la peine de mort. Dans plusieurs régions d’Afrique, des lois encore plus dures sont inspirées par l’offensive anti-trans américaine.
Le spectre de l’austérité
Ceci dit, certains signaux semblent indiquer que Mark Carney prépare des coupes dans les subventions et contributions, notamment dans les programmes relevant de Femmes et Égalité des genres Canada. Selon une source du milieu, le gouvernement aurait déjà du mal à maintenir les niveaux de financement établis à l’époque Trudeau.
Cette logique d’austérité est d’autant plus difficile à accepter que Carney vient d’accorder il n’y a pas longtemps une baisse d’impôt qu’Ottawa n’avait pas réellement les moyens de financer. Le risque est que ce sont les groupes les plus vulnérables, ici comme ailleurs, qui paieront la facture.
Un enjeu vital : la lutte au VIH
Un autre champ d’action urgent est la prévention du VIH. Grâce au partenariat entre PEPFAR et Gilead, un traitement préventif révolutionnaire — le Lenacapavir, administré deux fois l’an — pourrait être offert à deux millions de personnes dans les pays à faible revenu. Mais sans investissements additionnels du Canada, ces gains s’éroderont.
« On est à un moment charnière, affirme Justin McAuley, de l’organisation internationale ONE Campaign. La science nous donne enfin la possibilité d’entrevoir la fin de l’épidémie du sida. Il reste à des pays comme le Canada de fournir les ressources nécessaires. Carney a dit en campagne que si les autres ne veulent pas mener, le Canada le fera. Voilà une occasion en or de le prouver. »
Leadership ou recul?
Pour Kerr, la réponse doit être claire : « Les sommes en jeu sont minimes à l’échelle du budget fédéral, mais leur impact est énorme pour les communautés LGBTQ2S+ ici et ailleurs. Que dit-on au monde si on coupe là-dedans? »
En fin de compte, le budget Carney sera un test de crédibilité. Les choix faits détermineront si le Canada se contente de belles paroles ou s’il assume enfin un rôle de leader mondial dans la défense des droits queer et trans — à un moment historique où ce leadership est plus que jamais nécessaire.