C’est un livre bref (il ne fait que 111 pages) mais fort. Un premier livre signé Franck Varjac, qui paraîtra scandaleux aux yeux de plusieurs, car il porte sur une histoire d’amour entre un garçon de treize ans et un homme de trente-deux.
L’enfant se nomme David, il est le héros du livre. Il est le troisième enfant de la famille Langlade, après Marc, surnommé «P’tit mec», et Élise. L’adulte est Fabrice. Il est marié avec Martine et ils ont un bébé. Lui et sa femme sont des amis des parents de David. En vacances, sous le soleil du sud de la France, David est invité par Fabrice à aller à la pêche, invitation insolite qui le fait ruminer.
Sortie en mer : une crique, le soleil qui frappe dur, la crème solaire dont il faut enduire le corps de l’autre, les vêtements retirés, et David qui a le temps d’apercevoir ce qu’il n’avait jamais vu : «un sexe d’homme en érection, une queue brune, deux testicules enflés entre des cuisses ouvertes». Il en reste figé, le cœur battant. Il ne peut dormir la nuit suivante, fiévreux, obsédé par l’image du corps de Fabrice.
Il y aura une deuxième invitation, une seconde sortie en mer. Même trajet que la fois précédente. Mêmes gestes : les tee-shirts et les maillots retirés. Puis le moment fatidique : les lèvres de Fabrice sur les lèvres de David.
«Fabrice a exploré tout mon corps de sa langue, de ses mains, avec une douceur infinie. (…) Il ne veut rien forcer, ni brusquer parce que, pour moi, c’est la première fois. Mais je vois bien qu’il brûle de jouir. Il tremble, et je recueille ses soupirs, ses caresses, ses mots d’amour comme d’inestimables trésors. Je n’ai plus treize ans. Je suis un être immatériel aux pouvoirs immenses. Dans mes bras il y a un homme de trente-deux ans, abandonné et vulnérable.»
Après la fin des vacances, le retour en ville : David et Fabrice se voit une fois par semaine sous le prétexte de leçons de judo dans un gymnase. Ils font l’amour, ils s’aiment. Fabrice habite tout entier l’esprit de David, qui perd le sommeil et l’intérêt pour les matières scolaires.
«Il y a l’éblouissement, quelque chose qui ressemble au bonheur, mais aussi l’angoisse, une douleur sourde qui gâche tous les autres jours de la semaine.»
Ils savent que ce qu’ils font est inacceptable, condamnable par la société. Et un jour ils sont découverts et dénoncés par le gardien du gym. David sera mis en pension. Il ne reverra plus Fabrice, n’entendra jamais plus parlé. Trente ans plus tard, David travaille depuis quinze ans pour une banque. Il ouvre une succursale dans une sous-préfecture de la province française.
La ville est triste, lui aussi. Il n’a revu, depuis son exclusion de la famille, que sa sœur Élise. Fabrice aura été le seul amour de sa vie :
«De toute mon existence, je n’ai embrassé qu’une seule bouche, caressé qu’un seul corps…. Je sais, aujourd’hui, que j’ai vécu des moments de bonheur infini, et rien, ni l’exil, ni l’oubli assassin de mes proches, rien ne me fera regretter ces moments d’amour pur. Que connaît-on de la pureté? Il faut avoir treize ans pour le comprendre.»
C’est ce récit d’un amour pur devenu le désastre d’une vie qu’a écrit avec talent Franck Varjac. Pour un premier roman, chapeau! Il fallait un maniement exemplaire des mots pour raconter cet amour tabou. Une écriture simple, presque enfantine, réussit à décrire les tourments des sentiments, leur bousculade dans le cœur et le corps, l’inquiétude et la joie d’aimer, sans que jamais la morale et la rectitude les recouvrent de leur regard.
Pas de dénonciation, pas de culpabilité. Pas de reniement, pas de négation. Mais que la tornade tranquille d’un amour qui doit se dire. Mais que la beauté d’un amour dans un monde cruel qui le nie. C’est bouleversant.
L’Agneau chaste: roman / Franck Varjac. Paris: Éditions de la Différence, 2000. 111p. (coll. Littérature)
