«Excusez-moi, êtes-vous André Boisclair?» Le candidat à la direction du Parti québécois, en ligne à la caisse du Provigo de Saint-Donat en ce samedi de juillet, éclate de rire. Dédé – son surnom dans le havre de paix qu’il visite régulièrement au bord du lac Archambault – porte un vieux t-shirt, un short orange et il est pieds nus. «Oui, monsieur!» lance-t-il, presque méconnaissable sans son habituel complet-cravate. Le client interrompt un instant le dépôt de ses denrées sur le tapis roulant et serre la main de celui qui fut le plus jeune ministre de l’histoire politique québécoise. «Votre candidature m’a convaincu de renouveler ma carte de membre du PQ. Comptez sur mon vote en novembre. Je comprends qu’on se garroche sur Patrick Huard ou Marie-Chantal Toupin au supermarché. Mais sur André Boisclair? L’époque où les hommes politiques pouvaient prétendre au statut de vedette est révolue. Depuis, on se fait plus cynique à l’égard des politiciens. Comment André Boisclair peut-il redonner à ceux qui l’ont perdu le goût de la chose politique? «Il faut arrêter de penser que toutes les réponses doivent venir des politiciens. Notre responsabilité, c’est de définir les enjeux, d’élaborer un agenda des priorités, d’indiquer une direction.»
Come on, André, c’est juste des mots, ça. Dis-moi comment arrêter d’être cynique devant ces parlementaires qui tournent les coins ronds ou qui nous mentent à longueur de semaine. On dirait qu’une mouche vient de le piquer. «Attends un peu, là. Mon grand-père est décédé jeune et sans grands moyens. Mon père n’a pas pu aller à l’école. Aujourd’hui, on dispose d’un réseau d’éducation accessible à tout le monde.» Grâce à l’action des gouvernements.
Il évoque aussi la visite à son bureau de comté d’un gars atteint du VIH en 1989. Il dépensait 15 000 $ par année en médicaments. «Il a dû quitter son emploi et demander l’aide sociale pour obtenir des médicaments gratuits. Aujourd’hui, une assurance médicaments permet aux gens de mieux vivre.» Grâce à l’action des gouvernements.
En somme, aux yeux de l’aspirant chef du PQ, être cynique ou pas est un choix qui appartient aux individus. «Que tous ceux qui pensent que rien ne change s’ouvrent les yeux. Les choses peuvent changer. Les choses changent», martèle-t-il.
T’as raison, André. Les choses changent. Qui aurait cru qu’un jour, les Duceppe, Layton, Harper et Martin s’engueuleraient en plein débat des chefs sur la question du mariage gai? Qui aurait imaginé qu’un jour, un film comme C.R.A.Z.Y. obtiendrait un grand succès auprès d’un très large public? Qui aurait pensé qu’un bon matin, on apprendrait que, non seulement une majorité de Québécois ne voient aucun problème à élire un premier ministre gai, mais qu’André Boisclair est nettement en avance dans la course à la direction du Parti québécois?
Sa réaction en lisant son journal ce matin-là: «Un petit sourire en coin, mais je passe vite à l’autre page. En ce moment, je concentre mes efforts pour trouver les bonnes façons de faire afin que les Québécois reprennent confiance en leurs moyens et en leurs compétences.»
Un nouvel homme
Le soleil resplendit. Nous sommes assis sur la véranda du chalet familial où André Boisclair a passé la plupart de ses étés depuis son enfance. Même dans ce contexte très relax, il n’oublie pas de jouer son personnage politique. Mais il est plus cool que je l’avais imaginé. Il rit beaucoup, aussi. Je songe: «Comment se fait-il qu’on ne voit pas cet homme-là rire plus souvent?» Jusque-là, André Boisclair, dans mon esprit, est un gars très sérieux, pas carrément hop la vie, qui appuie sur chaque syllabe dans les scrums. «Y a des gens qui me disent: André, tu parles trop bien. Faudrait que tu sois plus naturel. Faudrait salir ton image. Les caricaturistes ne savent pas quoi faire avec toi», confie-t-il, interloqué.
Les médias québécois se font parfois cinglants à son égard. Si la plupart reconnaissent qu’il a été un très bon ministre, on dit aussi de lui qu’il manque de transparence. On lui reproche même d’être hautain. «À une époque, je lisais tout ce qui s’écrivait sur moi. S’il y avait une ligne où l’on critiquait le moindrement ma personne ou mon travail, je faisais de l’urticaire. Maintenant, je passe au-dessus de ça.» Il refuse toutefois de croire qu’il s’agit d’attaques personnelles. «Je préfère croire que des gens me critiquent pour m’amèner à repenser à ce que je dis ou fais. J’en ai écrasé des orteils. Je ne fais pas toujours dans la dentelle. Mais je m’applique à corriger le tir.» Selon lui, quand on ne connaît pas les gens, c’est bien facile de les juger. «Que ceux qui me croient hautain viennent me voir dans une brasserie jaser avec des militants du PQ.»
Corriger le tir. Voilà ce qu’il aurait fait au cours de la dernière année passée à Harvard. Il aurait «grandi, pris de la maturité». Est bonne. Le gars a quand même passé les 15 dernières années à l’Assemblée nationale, à gérer une masse critique de dossiers névralgiques! C’est pourtant un «Boisclair-version-améliorée» qui a pris, seul dans sa Audi A4, de retour de Boston, la décision d’entrer dans la course au leadership du PQ. «J’ai revisité mes erreurs politiques. J’ai pris une distance qui m’a fait énormément de bien. Est-ce de la maturité ou de la profondeur. J’sais pas, mais j’ai vécu une année très enrichissante.» Son rapport à la politique n’a pas changé fondamentalement, mais la pause a été salutaire. «Sortir de la québécitude, avoir le plaisir, chaque jour, de lire le New York Times et de discuter avec des gens qui viennent de partout dans le monde, ne pas voir les mêmes visages à la télévision quand t’écoutes les nouvelles, c’est fantastique!» laisse-t-il tomber dans un éclat de rire.
Il ne parle pas de sa vie privée ou de ses amours. J’en aurais bien envie, mais il a raison, ça ne me regarde pas. Tout ce que je saurai, c’est qu’actuellement il est célibataire, avis aux intéressés. Par ailleurs, même si cette attention portée au «candidat gai» l’a un tantinet embêté ces derniers temps parce qu’il a férocement hâte de parler d’autre chose, il ne contourne plus les questions à ce sujet. En 2000, dans Voir, il avait prononcé cette phrase célèbre : «Je ne retire aucune fierté de mon orientation sexuelle.» En avril dernier, il confiait à L’actualité : «Je ne redirais pas ça aujourd’hui.» Quand je reviens sur la question, il précise sa pensée, qui a joliment évolué: «Malgré les lois adoptées chez nous, il y a encore beaucoup de chemin à parcourir. Dans plusieurs cultures, on considère encore l’homosexualité comme un crime. La bataille pour les droits de la personne est loin d’être gagnée. Et je suis convaincu maintenant que c’est avec l’énergie de la fierté qu’il faut mener ces combats.» Belle façon de corriger le tir.
Après 15 ans de réalisations politiques, il aurait pu tirer sa révérence en pleine gloire, acceptant cette job bien payée qu’on lui avait offerte dans une société de consultation réputée. Mais son mandat n’est pas terminé: «J’ai toujours pensé qu’une grande partie de ma vie serait consacrée à l’activité publique. Il y a encore de la place pour conquérir de nouveaux espaces de liberté», le principal étant la souveraineté, auquel il est convaincu de «pouvoir contribuer de façon originale».
La différence gaie
Plusieurs gais pensent que ce serait bien d’avoir «l’un des leurs» comme chef du PQ, voire à la tête du gouvernement. Sachant qu’il souhaite passer à l’histoire pour d’autres raisons que son homosexualité, je m’attends à ce qu’il reste de glace en entendant cette affirmation. Je me trompe: il s’esclaffe. «Ce serait un beau pied de nez à faire au Canada anglais. Et aux Américains. Et à tous ceux qui pensent que la religion des uns doit devenir la loi des autres.»
Cela dit, même s’il est enfin à l’aise avec le fait d’être gai («depuis l’âge de 30 ans», affirme-t-il), il veut jouer «dans le grand carré de sable». «Je veux être reconnu pour mes idées, pas pour mon orientation sexuelle. Je saute sur la glace pour construire un pays, moi, là. Je veux parler de développement économique et régional, d’environnement et d’éducation. Je ne m’en vais pas là pour entretenir qui que ce soit de mes états d’âme!» Et vlan.
Remarquez, André Boisclair a beau dire qu’être gai ne fera pas de lui «un meilleur ou un pire candidat à la chefferie du PQ», je ne suis pas d’accord avec lui. Si on veut que les choses changent, on devra élire des gens différents. Des femmes, des personnes handicapées, des artistes, des anglophones francophiles, j’sais pas, moi, des gens qui n’ont pas le même profil que ceux qui les ont précédés. Qui sait, un gai à la tête du gouvernement aurait peut-être un effet significatif sur la gestion de l’État. Il reste sceptique: «Je sais que des gens sont tout à fait opposés à cette idée [un candidat ouvertement gai]. D’autres pensent que ça pourrait être le fun. À mon avis, les deux vont s’annuler. Je ne crois pas que ce sera un enjeu électoral», conclut-il froidement.
L’ex-ministre souligne que la question gaie n’a jamais été un enjeu non plus autour de lui, à l’Assemblée nationale. Non, il n’a pas fait de déclaration officielle à Jacques Parizeau quand ce dernier est venu le tirer des bancs d’école à la fin des années 1980, mais «quand Lucien Bouchard m’a nommé au conseil des ministres, je lui ai dit : Monsieur Bouchard, vous savez que je suis gai. Il m’a répondu: Ça me dérange pas, la famille prend toutes sortes de formes aujourd’hui. Un poids de 1000 livres est alors tombé de mes épaules», se souvient-il.
«Je ne suis ni un héros ni un sauveur»
Parlons un peu de souveraineté, un dossier croustillant. On dirait que tous les chefs péquistes veulent s’enfuir en courant lorsqu’on l’aborde. À ce sujet, il affirmait récemment: «la souveraineté se fera naturellement», soulevant de vives réactions chez tous ceux qui attendent impatiemment qu’on leur donne la date et l’heure à laquelle le Québec deviendra indépendant.Tant pis pour les impatients, il ne se rétracte pas. «Plus besoin de monter sur les tables et de déchirer sa chemise, comme d’autres l’ont fait avant moi, pour convaincre les gens. On a assez entendu les tambours et les trompettes de la souveraineté.» Le jeune candidat ne croit pas qu’il faille «prononcer les mots de la souveraineté» pour qu’elle se fasse. «Moi, je veux reprendre la pédagogie de la souveraineté. Je compte expliquer aux Québécois comment, par exemple, le Canada nous pénalise dans la mise en œuvre du protocole de Kyoto; que la crise de la vache folle serait gérée de façon bien différente si le Québec était un pays souverain.» Aux yeux d’André Boisclair, on ne se farcirait pas tous ces pèlerinages à Ottawa, «où l’on doit aller s’agenouiller pour demander de l’argent, si le Québec avait sa pleine autonomie sur le plan financier».
Dédé n’est déjà plus sur la véranda de Saint-Donat en shorts et en t-shirt élimé. La ferveur politique l’emporte sur la beauté du lac. «Je ne suis pas un héros, je ne suis pas un sauveur. J’ai décidé d’être prudent et de mener, d’abord, une campagne pour devenir chef du PQ. Je ne suis pas encore en campagne électorale, moi, là! Ensuite, je m’occuperai des autres priorités.» André Boisclair connaît fort bien les mots qu’il faudrait prononcer, mais ne semble pas pressé de le faire. «Ce serait trop facile d’agiter le drapeau de la souveraineté et d’utiliser tous les accents d’un social-démocrate pour être applaudi de l’ensemble des péquistes. Je le sais, par cœur, ce vocabulaire-là.»
Comment expliquer cette prudence? Pourquoi refuse-t-il d’utiliser ce «vocabulaire-là»? Pourquoi ne propose-t-il pas une question de référendum, comme l’a fait Louis Bernard? «En ce moment, le Parti québécois n’est pas prêt à faire la souveraineté, clame-t-il. Malgré tous les grands débats qu’on a tenus, notre organisation stagne dans son membership.» Il a raison: en 2003, le Parti québécois s’est fait donner une leçon par l’opinion québécoise. Il faut rebâtir la confiance. «Ce n’est pas tout de trouver les mots justes pour faire rêver les gens. Je me donne le défi de faire travailler cette équipe-là, de remettre le Québec à l’ouvrage. Je ne retourne pas là-bas pour canaliser à travers ma personne les angoisses et les anxiétés du peuple québécois.»
Je me questionne. L’histoire se souvient-elle des gens qui ont joué de prudence ou de ceux qui ont pris des risques? Même s’il avoue avoir le vertige («Je n’ai pas les réponses à toutes les questions, j’ai mes angles morts»), il répond très directement à ma question: «L’histoire se souvient des gens qui réussissent. Et moi, je vais réussir. Je vais réussir.» La suite de l’histoire le 15 novembre.
QUELQUES QUESTIONS EN RAFALE …
Un vrai ami à l’Assemblée nationale ?
Camille Laurin.
Une personnalité célèbre que tu admires ?
Churchill.
Le dernier livre lu et adoré ?
Ensemble, c’est tout, d’Anna Gavalda.
Le dernier film québécois que tu as vu ?
C.R.A.Z.Y.
Un film que tu ne te lasses jamais de regarder encore et encore ?
The Pillow Book, de Peter Greenaway… et presque tous les films d’Almodovar.
Une chanson qui te rappelle de bons souvenirs amoureux ?
Les amoureux des bancs publics, de Georges Brassens.
La couleur qui te va le mieux ?
Le rouge!
Un designer dont tu aimes porter les vêtements ?
Dubuc.
Un voyage que tu n’as pas encore fait et que tu as hâte de faire ?
L’Inde. Un trek au Tibet.
Une grande folie ?
J’ai fait mille et une folies, comme inviter à la dernière minute un amoureux à partir un week-end se tremper les pieds dans la Seine. Je suis très, très Alexandre Jardin.
As-tu déjà eu une blonde ?
C’est privé, ces affaires-là.
Si tu pouvais changer une partie de ton corps, ce serait quoi ?
Mon nez.
Le premier bar gai dans lequel tu es entré ?
Le Garage, en 1986.
Si je t’invite à voir un show de Mado Lamotte ce soir, viens-tu ?
(Rires) Non. J’ai un barbecue avec mes amis ce soir sur la plage.
Si je t’invite à aller au Stock ce soir, viens-tu ?
(Rires plus forts) Non. J’ai un barbecue avec mes amis ce soir sur la plage.
— Une entrevue réalisée et rédigée par Jean Paré