Le mois de novembre fut marqué par deux événements médiatiques qui ont eu lieu dans le monde du soccer. D’abord, deux joueurs de soccer iraniens sont condamnés pour «geste homosexuel» et le joueur de soccer David Testo fait son coming-out. Simon Louis Lajeunesse, professeur associé à l’École de service social de l’Université de Montréal et auteur du livre L’épreuve de la masculinité, sport, rituel et homophobie tente de répondre brièvement, à la lumière de ses travaux, aux questions suivantes : le geste des deux Iraniens était-il homosexuel et pourquoi il est si difficile d’être homosexuel quand on est membre d’une équipe sportive.
Le 4 novembre dernier lors d’une victoire importante, deux joueurs de soccer iraniens se sont embrassés et dans une mêlée traditionnelle, ont touché les fesses d’un autre joueur, sous l’œil des caméras qui diffusaient le match à toute la planète. Ils ont été condamnés par le président iranien, Mahmoud Ahmadinejad, à des amendes, un arrêt du jeu à vie et à 74 coups de fouet. Moins d’une semaine plus tard,le 10 novembre, David Testo, ancien champion de L’impact de Montréal, faisait sa sortie et affirmait au monde son homosexualité. Les médias ont fait grand bruit des deux événements.
Pour comprendre ce qui se passe, il faut analyser les choses d’un peu plus loin en arrière afin de saisir comment un homme se sent un homme et comment la pratique du sport lui permet de construire sa masculinité. Nous vivons dans une société homophobe, une société qui craint que ses hommes soient homosexuels. Les récents progrès légaux envers les personnes homosexuelles, depuis 1969, n’ont rien changé à cet état de fait. Tout homme grandit, depuis sa petite enfance, dans la peur d’être associé à l’homosexualité. Que cette association soit fondée ou non n’a aucune importance, la symbolique l’emporte ici sur le réel. En même temps, les hommes ont besoin de contacts physique et psychologique entre eux. De plus, la société prive complètement les hommes de rituels et de contacts entre eux, malgré ce besoin criant.
C’est particulièrement vrai au Québec et en Amérique du Nord où les hommes ne s’embrassent pas ce qui n’est pas le cas dans d’autres cultures. Les femmes ne vivent pas ces problématiques. En effet, dès l’enfance, les femmes ont une tradition de « catinage » et de copinage entre elles où le contact physique et le caring sont à l’honneur. Le seul endroit, le seul moment, où les hommes peuvent vivre une intimité et une complicité libre de jugement quant à l’intimité physique, c’est dans la pratique d’un sport où, enfin, le toucher est permis. La masculinité, que peu d’hommes savent définir d’ailleurs, a besoin pour se confirmer et se construire, de contacts, de contagions, de complicité, tant psychologiques que physiques.
Mais voilà, comment entre-t-on dans le fief de la masculinité que représente, de manière symbolique et donc réelle pour les hommes, une équipe sportive avec son lot de contacts essentiels ? On le fait de la même manière que l’on entre dans n’importe quel groupe, par une initiation en bonne et due forme. À la différence des autres initiations que nous vivons aux quotidiens, celle-ci est nommée, identifiée et propose des étapes annoncées d’avance. Le point central est qu’elles sont le plus souvent réalisées dans le secret entre hommes seulement. L’arcane du vestiaire lui confère d’ailleurs un plus grand pouvoir, car seuls les initiés peuvent être bénis dans le cercle magique des initiations virilisantes.
Mes travaux (en 2008) et les scandales occasionnels, comme celui des Redmens de McGill en 2005, révèlent d’ailleurs de temps à autre le caractère un peu trop intime ou osé au goût de certains de ces ri-tuels initiatiques. Par exemple ? Je vous épargne les détails, mais souvent ces rituels recèlent un caractère de domination, pour ne pas dire d’humiliation, pour les recrues où la génitalité est à l’honneur. Il semble ici que les hommes ont besoin de tout partager, surtout à un âge, où la découverte de sa propre génitalité est particulièrement perturbante pour les jeunes hommes que l’on laisse sans éducation sexuelle et sans vision positive de la masculinité.
Il est inévitable que dans ces conditions d’abandon social, aient lieu, ce que certains qualifieraient d’égarement ou de gestes obscènes. Mais attention, cela donne aussi lieu à de magnifiques moments de plaisir, de bonheur, pour ne pas dire d’exaltation de vivre entre hommes et de se sentir confirmé dans sa masculinité par une camaraderie où les liens entre hommes dépassent l’univers symbolique pour déboucher dans des relations épanouissantes.
Mais comment les hommes sportifs manifestent-ils leur affiliation à cette équipe, à ce groupe d’hommes qui les construit et les valorise ? En pratiquant les mêmes codes et les mêmes gestes qui bâtissent et maintiennent au quotidien leur masculinité, leur virilité, leur amour des uns envers les autres et leur fierté d’appartenir à leur groupe privilégié. La danse des mains, telle que je l’avais nommée en 2008, est essentielle à cet accomplissement. Il arrive donc que les mains touchent à des endroits du corps qui vu dans un autre contexte apparaissent comme des gestes indécents ou homosexuels alors qu’ils ne sont que des gestes symboliques d’amour, d’amitié et de joie intense. Il semble que cela échappe totalement au président iranien et à bien d’autres personnes, malheureusement.
Mais voilà, comment être homosexuel pour vrai dans un groupe sportif où on sous-entend l’hétérosexua-lité de chacun dans un modèle masculin, viril et homophobe ? Comment ces gestes, qui sont ordinairement loin du désir et de la sexualité accomplis dans des rituels initiatiques et tribaux, peuvent-ils rester dans l’univers symbolique qu’ils sont sensés contenir quand la personne qui y participe ne respecte pas la norme hétérosexuelle initiale ? Ces jeunes hommes se sentent des imposteurs. Ils vivent dans la crainte d’être découverts, dénoncés et d’avoir à renoncer à leur groupe d’appartenance qui les a construits dans leur identité.
Dénoncés pour avoir agi avec d’autres intérêts, d’autres buts que ceux originellement annoncés. C’est dans cette tourmente que s’est retrouvé David Testo et se trouvent tant d’autres jeunes hommes homosexuels dans la pratique de leur sport. David Testo a été, d’une certaine manière, chanceux; les autres joueurs ont, pour la plupart, toujours su et l’on accepté. C’est face au public et aux admirateurs qu’il craignait la déchéance. L’image du sportif, du héros indéfectible fait aussi partie du personnage symbolique de la masculinité et de la virilité.
L’homosexualité est encore un stigmate particulièrement tachant surtout dans la culture sportive qui semble avoir échappé aux effets du féminisme. Voilà qu’enfin des hommes se prennent en main et rejettent le modèle homophobe pour se libérer du joug de la masculinité traditionnelle. Des sportifs hétérosexuels, un peu partout, demandent maintenant de mettre fin à l’homophobie et invitent leurs confrères homosexuels à sortir et à se libérer à l’égide de David Testo. Après la libération de la femme et après le mouvement gai, voilà que les hommes hétérosexuels se libèrent peu à peu de l’homophobie dont ils sont eux-mêmes victimes.
— Simon-Louis Lajeunesse